Je donne dès le départ aux Bienveillantes la palme très personnelle de la couverture la plus hideuse. Je reconnais la difficulté de résumer le livre par une image, mais j'aurais aimé quelque chose de plus inspiré que ce détail en gros plan d'une oeuvre d'art que j'imagine moderne.
Or donc, Les Bienveillantes sont un vrai succès commercial. Les chiffres de vente sont énormes, comme si tous les ménages français avaient acheté un exemplaire du roman. Bien évidemment, beaucoup de monde l'a acheté, donc peu de monde l'a lu. Car un Goncourt, ça se montre, ça ne se lit pas.
Je vous pitche : Max Aue est un SS plutôt éduqué qui se débat entre son homosexualité et son amour incestueux pour sa soeur tandis que sa carrière le promène sur différentes lieux iconiques de la guerre où il fait son travail : rédiger des rapports.
Le roman est dense. 1400 pages qui mitraillent à tout vent et qui touchent beaucoup de thèmes. Bien évidemment, c'est avant tout le point de vue d'un SS sur la guerre, mais étrangement, ce n'est pas (au début du moins) un boucher. Même si son travail est de trouver des solutions pour accélérer le massacre, il émet des réserves sur certaines pratiques. Sa haine des juifs est mitigée, il reconnait la logique de leur élimination mais n'est pas prêt à tout pour y arriver. Mais les rapports qu'il rédige sont remplis d'une inhumanité qui ne laisse aucun doute sur sa folie institutionnelle. Si Max Aue ressemble par moment plus à un étudiant du Quartier Latin qu'au SS allememand moyen, la guerre va vite le faire rentrer dans les rangs et achever de le transformer en monstre, jusqu'à d'étranges épisodes psychotiques qui laissent le lecteur sur l'impression que cette autobiographie est parfois bien mensongère.
La vie à Berlin, la campagne d'Ukraine, le siège de Stalingrad, la visite des camps, un petit passage en France... Max Aue va partout, survie à tout et rencontre tout le monde. Par moment, on a l'impression que l'auteur "en beurre un peu épais". Mais pour une fois que le point de vue est allemand, on se laisse aller à une certaine indulgence quand à l'invraissemblance du récit. (et cet aspect burlesque de l'enquête qui le vise). Car ce qui est mis en scène est tout sauf glorieux. Si au début les victoires et les espoirs allemands sont énormes, la réalité politique et morale est elle toujours aussi médiocre. Les protagonistes sont constamment plongés dans des petites luttes stratégiques pour prendre du galon, mettre en difficulté un collègue et s'attirer les faveurs d'un plus haut gradé. C'est l'arrivisme qui semble être la cause première de la défaite.
Évidemment, c'est étrange de lire un roman de 1400 pages sans avoir une once de sympathie pour le personnage principal. Autant la littérature ou la télévision nous offrent parfois des salopards qu'on aime détester, autant là, Max Aue est haïssable, malgré ses faiblesses qui humanisent son portrait de bourreau. On sait à l'avance qu'il perdra son combat, sa froideur analytique sur les problèmes de gestion des juifs est insultante à souhait, sa vie privée le conduit de plus en plus loin dans un amour dénaturé... et pourtant, les pages défilent. Fascination malsaine, j'en conviens aisément. Mais curiosité, envie d'être de l'autre côté du miroir pour une fois, d'échapper à cette autre forme de propagande que sont les éternelles histoires de resistance héroïque ou d'opérations militaires homériques avec des alliés nobles et bons contre des nazis forcément dotés de tous les défauts du monde.
Une partie de ma curiosité était de savoir comment Max Aue allait, une fois la défaite consommée, échapper à ses responsabilités. C'est hélas un aspect de l'histoire que l'auteur esquive totalement. Il s'en sort, point barre. Je comprends difficilement comment, mais il survit à tout ça, malgré ses psychoses pourtant très envahissantes et meurtrières.
Autre chose qui m'a rebuté : le language. Accumulation de titre en allemand, de sigles plus ou moins obscures, de citations non traduites... Entrer dans le récit est très difficile, car la narration débute de manière très directe en plongeant le lecteur sous une tonne d'informations. Je dois avouer que bon nombre de protagonistes étaient pour moi indifférentiables, et les arguties linguistiques sur les dialectes du Caucase étaient parfaitement incompréhensibles pour ma petite personne.
Bref, un livre bourré de défauts et de qualité. Une fois le livre terminé, il faut aller lire sa page sur Wikipédia. Vous y retrouverez toutes les accusations plus ou moins fondées, les hésitations morales, les critiques les plus acerbes (j'adore en particulier les critiques concernant le niveau littéraire du roman. Jonathan Littell est américain de naissance, alors il est possible qu'il ait glissé quelques anglicismes dans son manuscrit. Mais de là à le condamner au bûcher... Au passage, le premier livre de Littell était un roman cyberpunk). À lire certains critiques, le simple fait que je me sois intéressé à cette lecture démontre que je suis un petit nazi moderne. Je comprends parfaitement l'inconfort des survivants de la Shoah vis à vis de ce genre de roman. Je comprends même très bien Claude Lanzmann quand il dit que "La fiction est la transgression la plus grave dans une histoire pareille." Mais à l'heure où des gens comme Robert Faurisson sont encore applaudis, je pense que c'est se tromper d'ennemi que d'attaquer ces Bienveillantes.
Or donc, Les Bienveillantes sont un vrai succès commercial. Les chiffres de vente sont énormes, comme si tous les ménages français avaient acheté un exemplaire du roman. Bien évidemment, beaucoup de monde l'a acheté, donc peu de monde l'a lu. Car un Goncourt, ça se montre, ça ne se lit pas.
Je vous pitche : Max Aue est un SS plutôt éduqué qui se débat entre son homosexualité et son amour incestueux pour sa soeur tandis que sa carrière le promène sur différentes lieux iconiques de la guerre où il fait son travail : rédiger des rapports.
Le roman est dense. 1400 pages qui mitraillent à tout vent et qui touchent beaucoup de thèmes. Bien évidemment, c'est avant tout le point de vue d'un SS sur la guerre, mais étrangement, ce n'est pas (au début du moins) un boucher. Même si son travail est de trouver des solutions pour accélérer le massacre, il émet des réserves sur certaines pratiques. Sa haine des juifs est mitigée, il reconnait la logique de leur élimination mais n'est pas prêt à tout pour y arriver. Mais les rapports qu'il rédige sont remplis d'une inhumanité qui ne laisse aucun doute sur sa folie institutionnelle. Si Max Aue ressemble par moment plus à un étudiant du Quartier Latin qu'au SS allememand moyen, la guerre va vite le faire rentrer dans les rangs et achever de le transformer en monstre, jusqu'à d'étranges épisodes psychotiques qui laissent le lecteur sur l'impression que cette autobiographie est parfois bien mensongère.
La vie à Berlin, la campagne d'Ukraine, le siège de Stalingrad, la visite des camps, un petit passage en France... Max Aue va partout, survie à tout et rencontre tout le monde. Par moment, on a l'impression que l'auteur "en beurre un peu épais". Mais pour une fois que le point de vue est allemand, on se laisse aller à une certaine indulgence quand à l'invraissemblance du récit. (et cet aspect burlesque de l'enquête qui le vise). Car ce qui est mis en scène est tout sauf glorieux. Si au début les victoires et les espoirs allemands sont énormes, la réalité politique et morale est elle toujours aussi médiocre. Les protagonistes sont constamment plongés dans des petites luttes stratégiques pour prendre du galon, mettre en difficulté un collègue et s'attirer les faveurs d'un plus haut gradé. C'est l'arrivisme qui semble être la cause première de la défaite.
Évidemment, c'est étrange de lire un roman de 1400 pages sans avoir une once de sympathie pour le personnage principal. Autant la littérature ou la télévision nous offrent parfois des salopards qu'on aime détester, autant là, Max Aue est haïssable, malgré ses faiblesses qui humanisent son portrait de bourreau. On sait à l'avance qu'il perdra son combat, sa froideur analytique sur les problèmes de gestion des juifs est insultante à souhait, sa vie privée le conduit de plus en plus loin dans un amour dénaturé... et pourtant, les pages défilent. Fascination malsaine, j'en conviens aisément. Mais curiosité, envie d'être de l'autre côté du miroir pour une fois, d'échapper à cette autre forme de propagande que sont les éternelles histoires de resistance héroïque ou d'opérations militaires homériques avec des alliés nobles et bons contre des nazis forcément dotés de tous les défauts du monde.
Une partie de ma curiosité était de savoir comment Max Aue allait, une fois la défaite consommée, échapper à ses responsabilités. C'est hélas un aspect de l'histoire que l'auteur esquive totalement. Il s'en sort, point barre. Je comprends difficilement comment, mais il survit à tout ça, malgré ses psychoses pourtant très envahissantes et meurtrières.
Autre chose qui m'a rebuté : le language. Accumulation de titre en allemand, de sigles plus ou moins obscures, de citations non traduites... Entrer dans le récit est très difficile, car la narration débute de manière très directe en plongeant le lecteur sous une tonne d'informations. Je dois avouer que bon nombre de protagonistes étaient pour moi indifférentiables, et les arguties linguistiques sur les dialectes du Caucase étaient parfaitement incompréhensibles pour ma petite personne.
Bref, un livre bourré de défauts et de qualité. Une fois le livre terminé, il faut aller lire sa page sur Wikipédia. Vous y retrouverez toutes les accusations plus ou moins fondées, les hésitations morales, les critiques les plus acerbes (j'adore en particulier les critiques concernant le niveau littéraire du roman. Jonathan Littell est américain de naissance, alors il est possible qu'il ait glissé quelques anglicismes dans son manuscrit. Mais de là à le condamner au bûcher... Au passage, le premier livre de Littell était un roman cyberpunk). À lire certains critiques, le simple fait que je me sois intéressé à cette lecture démontre que je suis un petit nazi moderne. Je comprends parfaitement l'inconfort des survivants de la Shoah vis à vis de ce genre de roman. Je comprends même très bien Claude Lanzmann quand il dit que "La fiction est la transgression la plus grave dans une histoire pareille." Mais à l'heure où des gens comme Robert Faurisson sont encore applaudis, je pense que c'est se tromper d'ennemi que d'attaquer ces Bienveillantes.
Merci pour ta critique, Cédric. J'aime bien avoir ton point de vue, en complément de tout ce qu'on a pu lire sur le livre. Tu rends un avis argumenté qui n'oublie jamais de mettre en relation le plaisir et l'intérêt de la lecture, très intéressant à lire.
RépondreSupprimerEt au passage, je note que Homo Disparitus est dispo en poche.
C'est vrai qu'elle est un peu bizarre, cette couverture. Elle est de Lucio Fontana, un artiste abstrait qui s'est démarqué par ses surfaces maltraitées (merci Wikipédia). Je suppose que l'image est censée agir sur le subconscient. Elle rappelle, par exemple, les entailles que font les prisonniers sur les murs pour marquer le passage du temps. Avec un peu d'imagination, on trouvera des interprétations plus métaphoriques que celle-là, les scarifications pouvant être physiques ou psychologiques. Des heures de plaisir en thérapie!
RépondreSupprimerMerci pour ces précisions, Laurine, je savais bien que ta passion pour les couvertures te pousserait à intervenir.
RépondreSupprimerEffectivement, les taches symétriques de Rorschach sont dépassées, un bon psychologue peut désormais s'appuyer sur l'art abstrait pour faire parler ses patients.
Cela dit, je comprends que l'éditeur n'ait pas souhaité mettre une photo d'époque et j'apprécie qu'il n'ait pas collé une svastika. À la limite, une représentations des Bienveillants m'aurait aidé à comprendre le titre car il a fallu que je lise l'article de Wikipédia pour apprendre que c'était lié à une tragédie d'Eschyle.
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