Joe Sacco - Gaza 1956


Avant de lire ce livre, je ne connaissais pas du tout Joe Sacco. Et je n'étais pas non plus particulièrement informé de l'histoire de la bande de Gaza : j'en savais ce qu'en sait un adulte européen qui lit la presse et picore de l'information sur Internet, ni plus ni moins. J'ai craqué en librairie en voyant l'objet livre lui-même. Le thème m'intéressait, mais n'aurait pas à lui seul déclenché l'achat.

Le livre s'attache à raconter des événements survenu en 1956 à Gaza, pendant le conflit avec l'Egypte. Joe Sacco a vécu plusieurs mois sur place pour reconstituer, à partir des récits des survivants, les événements de 2 ou 3 jours. Mais 50 ans, c'est long, et les souvenirs sont partiels, les informations pas toujours de première main, et les récits se contredisent. Patiemment, Sacco collecte les fragments, les compare, avant de décider de les intégrer ou non. C'est un passionnant travail de journalisme, dont on voit à la fois le résultat - la reconstitution des événements de 56 - et l'élaboration. C'est aussi, évidemment, une réflexion sur la mémoire, le témoignage, et la subjectivité. Mais c'est aussi une réflexion sur l'intemporalité du problème palestinien, puisque les récits de 1956 se croisent avec ceux des gazaouis que Sacco fréquente pendant son investigation. Jamais prétentieux, toujours profond, le livre est d'une très grande richesse, et, en replaçant les individus au sein de l'Histoire, permet finalement de la mettre en perspective et de mieux l'aborder. Pour tout cela, Gaza 1956 est une très grande réussite.

Mais je ne peux pas m'empêcher de rapprocher ce livre avec les travaux de Scott McCloud (L'Art invisible), le grand théoricien de la BD, qui démontre que la BD peut servir de medium à autre chose que la fiction. Joe Sacco livre ici une très belle démonstration de son affirmation : le support BD est ici indissociable de la construction de l'enquête, permet des allers-retours entre 1956 et aujourd'hui, des juxtapositions, des effets de style (Sacco se dessine façon comics underground des années 70 alors que tout le reste est dessiné de façon réaliste et épuré), des jeux formels, des reconstitutions. Au final, on est scotché tout au long de la lecture, sans savoir si c'est le travail de fond qui impressionne le plus, ou l'inventivité formelle. Inutile de chercher à départager, les deux sont indissociables, finalement.

Critique chez Lectures libres

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