La Cité de Dieu a été une des claques cinématographiques de 2001. Après l'avoir pris en pleine figure, j'avais acheté le bouquin, qui sommeillait depuis enfoui sous plusieurs strates de romans de fantasy. Après avoir pris la décision de tous les donner à Bob, j'ai redécouvert plusieurs livres achetés il y a des années, que j'ai commencé de lire.
La Cité de Dieu est un quartier pauvre de Rio de Janeiro, construit à la va-vite dans les années 60 pour reloger en périphérie de la ville les habitants des favelas du centre-ville. Le projet urbain a consisté à aligner les maisonnettes et les immeubles bon marché, sans y mettre de véritable infrastructure. Surpopulation, pauvreté, isolement : tous les ingrédients sont réunis pour que le crime et la délinquance explosent, et c'est ce que raconte Paulo Lins, l'auteur du livre, d'après sa propre expérience et des années de recherche sur la criminalité carioca.
La lecture du livre fera voler en éclats les clichés que l'on pouvait avoir sur la "cidade maravilhosa" : pas de fille en string ondulant des fesses sur la plage de Copacabana sur des airs de samba, mais un quotidien âpre, violent, et misérable, entre des truands qui meurent jeunes et des travailleurs qui meurent pauvres. Les flics sont corrompus, le gouvernement est complice, les riches sont isolés dans leur sphère, et les habitants de la Cité de Dieu crèvent dans la poussière. Le livre est construit comme un collage de la vie de myriades d'habitants du quartier, d'histoires qui se croisent, reviennent en arrière, juxtaposés avec des faits divers macabres et des fragments de poésie. On perd de vue un habitant au surnom coloré, on le retrouve cent pages plus loin, est-ce le même ? Non, en fait c'est son frère - mais qu'est devenu le premier ? Ah, on apprend au détour d'une conversation qu'il est mort en taule. L'ensemble forme un magma de noms, de destins broyés, de vies misérables, d'enfants sacrifiés, dont le trait commun forme le thème dominant, et qui se fait de plus en plus lancinant, de plus en plus douloureux, à mesure que la fin approche.
J'avais beau avoir vu le film, lu d'autres livres sur le sujet, et même visité des favelas, je ne m'attendais pas à une telle secousse. Il m'est donc venu naturellement l'envie de revoir le film.
Le film a été réalisé en 2001 par Fernando Mereilles. Avant de faire carrière dans la pub, ce réalisateur avait été intéressé par le cinéma expérimental. On retrouve ces deux influences dans ce film secoué, qui adapte avec maestria le tumulte du livre. Car la comparaison entre les deux supports révèlent le talent du réalisateur, qui a su reprendre les scènes fortes, les adapter, les enfiler différemment; qui a supprimé des personnages, fusionné plusieurs autres, en fonction de ses besoins; et surtout, qui a su créé visuellement l'équivalent du maelström de destins individuels qu'est le livre.
La Cité de Dieu est aux Affranchis ce que Slumdog Millionnaire est à la Cité de la Joie : l'inventivité visuelle, le montage furieux, la bande-son faite de funk et de samba, appuient l'impact de l'histoire et la crédibilité des acteurs, quasiment tous amateurs et recrutés sur place. Fernando Mereilles, qui ne connaissait pas le quotidien des favelas, résidera avec l'équipe du film à la Cité de Dieu pendant tout le tournage, et la petite histoire dit qu'il y est resté après. En tous cas, il s'est suffisamment attaché à son équipe et son sujet pour prolonger le film d'une série, la Cité des Hommes, dont je vous parlerai la prochaine fois. En attendant, vous pouvez vous détendre avec une lecture plus réjouissante en suivant les conseils de Cédric dans ce billet-ci.
Allez, ce n'est pas bien, mais en guise d'amuse-bouche, on trouve les 10 premières minutes du film sur Youtube. A regarder pour la scène d'ouverture de préparation de churrasco du point de vue de la poule sur le point d'être embrochée.
Ébahi par le film (dès que j"entends la chanson "Everybody was kungfu fighting" de Carl Douglas, je repense à la scène de danse du film), j'avais voulu lire le livre pour remonter aux sources. J'avais très vite décroché devant la densité du bouquin. Je ne suis jamais arrivé à plonger dedans.
RépondreSupprimerÇa a d'ailleurs été mon seul plaisir en regardant le dernier Hulk : retrouver les favelas.
Le bouquin est en effet très dense, et très dur aussi : il l'est même plus que le film, qui utilise plus volontiers l'ellipse ou le hors-champ pour suggérer une atrocité. Ce n'est pas une lecture pour la plage.
RépondreSupprimerPour lire un livre comme ça, il ne faut pas focaliser (au sens propre : ne pas chercher à accommoder) sur un personnage, et accepter d'être baladé d'un endroit à un autre, d'un moment à un autre, et d'un personnage à un autre. Ce qui reproduit, dans une espèce de montage en gigogne, à ce que font les protagonistes eux-même : "Comment il s'appelle ton pote ? C'est pas lui qui a flingué le boulanger ? Ah non, je confonds. Mais le boulanger a bien été flingué, non ?".
Bonjour
RépondreSupprimerje vous contacte suite à votre critique de la cité de dieu
Nous développons une jeune maison d'édition pour faire émerger la littérature des favelas. Cette littérature est inspirée de la Cité de dieu et Paulo Lins, son auteur, a préfacé notre premier livre le Manuel Pratique de la Haine (Ferrez).
Nous avons déjà édité 2 autres livres le recueil de nouvelles Je suis Favela (collectif de 9 auteurs) et le livre qui a inspiré le film Troupe d'élite 2 (LE Soares, A Batista, C Ferraz, R Pimentel). Chaque livre donne une vision propre de la favela les trafiquants dans le Manuel Pratique de la Haine, les habitants dans je suis favela et la police dans Troupe d'élite 2
Pour vous faire une idée, vous pouvez lire gratuitement des extraits sur http://www.anacaona.fr/uncategorized/lire-un-extrait/
note : désolé, si ce message vous gêne. Nous ne cherchons pas à spammer mais juste à faire connaître nos livres aux lecteurs qui devraient être intéressés
Merci pour ce message informatif, parfaitement raccord avec le billet, et félicitations pour votre belle initiative. Votre projet semble passionnant, et nous le suivrons avec intérêt.
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