Warbreaker


Pour celles et ceux qui auraient louper le billet de Philippe à propos de Warbreaker, je vous la fait courte : Brandon Sanderson a écrit son bouquin en rendant publiques les différentes versions de travail du livre. À moins de n'avoir particulièrement rien à faire de sa vie, comparer les différentes versions est insipide. Mais Sanderson a eu une idée sympathique : il a également rendu disponible en téléchargement la version finale (celle de l'éditeur) du roman. C'est ce PDF final que j'ai lu.... à reculons. Parce que Philippe avait beau être enthousiaste, les 4e de couverture de Sanderson me faisaient autant rêver qu'un bulletin météo sur France 3 Nord-Pas-de-Calais.

Ce qui est admirable chez cet homme (je parle de Sanderson, pas de Philippe. Ce dernier est occupé à mettre un point final à son mémoire intitulé "Tautologies et truismes dans l'institution oratoire de l'arrière-pays meudonnais entre 1632 et 1714"), c'est son approche technique de la magie. Il invente un système de magie (dans le cas présent, une histoire de Souffles qui sont transférables d'un être à l'autre) puis en fait découler fort logiquement un décor qui met en scène les particularités de son système. C'est une approche très soigneuse, très rôlistique. Un personnage qui obtient X Souffles atteint tel niveau de pouvoir qui lui permet précisément de déclencher tel pouvoir. C'est tellement précis qu'on a plus l'impression de lire un livre de règles novélisé qu'un roman. Mais bon, Sanderson n'écrit pas pour la ménagère esseulée, il sait précisément qui est son public-cible : les rôlistes à poil dure. Il a tellement l'amour des systèmes bien foutus qu'il va même jusqu'à offrir en annexes les règles exactes de son système de magie. Si bien que l'on termine son livre et que l'on peut pratiquement se lancer dans une partie de jeu de rôles. Presque, parce que ce n'est pas un système de jeu complet, c'est juste une explication chiffrée de la magie.

Et l'histoire ? Oh, un truc simple : deux royaumes qui menacent d'en venir aux mains. L'un (d'inspiration protestante façon "Toute ostentation est mauvaise") a promis à son voisin (une théocratie où certains hommes ressuscitent pour devenir des dieux temporaires) d'envoyer une princesse pour respecter un vieux pacte. Le roi n'envoie pas la bonne princesse, ce qui va entraîner un mic-mac politique avec toujours l'idée d'une guerre qui pèse comme une épée de Damoclès. En fait, le récit met de l'avant une princesse un peu gourdasse mais énergique qui va apprendre à la dure ce qu'est la géopolitique en débarquant dans un royaume qu'elle a appris à détester depuis toujours. On suit également sa frangine, celle qui devait se marier au Roi-Dieu voisin, qui se lance à corps perdu dans une tentative de sauvetage de sa petite soeur. Accessoirement, on regarde aller un personnage solitaire qui bidouille de la magie et manie une épée intelligente. Ah oui, le récit met aussi en scène un dieu local qui passe son temps à jouer au con. Ils se croisent bien évidemment tous à mesure que l'intrigue avance jusqu'au happy end prévisible.

Disons que Sanderson est plus doué avec les systèmes de magie que pour raconter les histoires. Je suis arrivé malgré tout à m'intéresser à la perte de l'innocence de la jeune princesse plongée dans un système de valeurs qui lui est étranger. Les vicissitudes de sa grande soeur m'ont laissé de glace. Le dieu qui cache son jeu sous des dehors de crétins nihilistes était plaisant à suivre. Le mystérieux magicien avec l'épée qui parle, par contre, j'ai détesté. Surtout qu'il sert finalement à boucler l'histoire d'une manière très grossière. Le bouquin met progressivement la table pour raconter le conflit entre les deux royaumes, pour expliquer comment fonctionne la théocratie. C'est pas extraordinaire, mais ça allait. Sauf qu'à la fin, l'histoire s'accélère à la va-vite pour bâcler le final en deux coups de cuillère à pot. C'est frustrant. Sanderson est un peu un éjaculateur précoce, d'un point de vue littéraire. On commence à peine à se mettre dans le bain que lui termine sa petite affaire dans son coin sans se soucier de son partenaire.

Bon, pendant que j'y suis, je vais y aller d'une remarque plus générale : les apostrophes dans les noms fantasy. C'est nul. Pire, c'est un tue-l'amour. Moi des noms de bled comme T'Telir, ça me fait décrocher. Et comme en plus l'auteur ne décrit pas du tout la cité en question (alors que toute l'histoire se déroule en ses murs), ça donne vraiment l'impression que ce sont des décors de carton-pâte, des noms créés en tapant au pif sur son clavier puis jetés au hasard sur une carte moche dessinée par le petit frère d'un cousin spécialisé dans le Crayola.

Vais-je lire d'autres livres de Brandon Sanderson ? Oui (s'ils sont eux aussi gratuits), car c'est un bon technicien. Il a de bonnes idées fantasy (comme son jeu avec les couleurs, qui est simple mais très efficace). Un bon coup d'un soir, quoi. Mais comme il a le lyrisme d'un fonctionnaire de sous-préfecture, il me donne l'impression d'être un Auguste Maquet qui n'a pas rencontré son Alexandre Dumas. Ce n'est pas pour rien qu'il a pris la suite de Robert Jordan sur la Roue du Temps : c'est un bon élève qui peut imiter le style du maître.

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Commentaires

  1. Moi je n'ai lu que son boulot sur la roue du temps, qui est honnêtement très bon, il arrive à déboucler ce qui était devenu un gros merdier...quant au reste, j'ai en effet des doutes. Les critiques sont souvent bonnes, mais il a une énorme tête de noeud, et je juge les auteurs à la tronche (faux, sinon je lirais jamais Martin ou Wolfe). En fait ce qui me fait douter c'est son côté hyper marketing. En plus, il écrit toujours 12 livres en même temps, c'est une machine de guerre, donc il doit bien y a voir du baclage...

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