La génération de nos parents a été élevé dans le mythe journalistique incarné par le livre puis le film Les hommes du président. Pensez donc, deux journaleux qui posent des questions, insistent, ne se satisfont pas des mensonges d'état et finissent par révéler au monde le scandale du Watergate. Énorme. Probité. Pugnacité. Indépendance. Tout le monde voulait alors devenir journaliste, c'était devenu les nouveaux super héros, l'incarnation du fameux 4e pouvoir capable de contrebalancer les manigances politicardes.
Notre génération a eu d'autres modèles, bien évidemment. PPDA et Fidel Castro. Les journalistes agenouillés à l'Élysée au lieu de poser les questions qui fâchent. Les belles présentatrices du 20h qui partent en épousailles avec des ministres bien propres sur eux. Il faut maintenant lire la presse suisse ou belge pour avoir les détails des frasques de Nabulio. Il y a bien le bon vieux Canard enchaîné et Rue89, certes, mais le journalisme a perdu une bonne partie de ses plumes. Qui rêve encore d'obtenir sa carte de presse pour devenir collègue avec Jean-Michel Apathie, David Pujadas ou Nicolas Demorand ?
Et puis il y a la crise du journal papier. Le gratuit, Google, les revenus publicitaires qui dégringolent... C'est vraiment une belle époque pour piger dans une feuille de chou. Et justement, The Imperfectionists raconte comment ça se passe dans une salle de rédaction. L'action se déroule dans un journal fictif basé à Rome mais écrit en anglais par des journalistes américains. Il faut couper dans la masse salariale du journal, envoyer des stagiaires faire le sale boulot au Caire, gérer des vieilles gloires en fin de parcours, lutter pour garder son petit trône dans l'équipe rédactionnelle, se fader l'ego gargantuesque du rédac' chef, supporter le type bizarre qui écrit les mots-croisés... C'est à travers 11 portraits de membres de la rédaction que Tom Rachman, lui-même journaliste canadien en poste à Rome et dans plein d'autres coins du monde, dézingue son petit univers. Tout le monde en prend pour son grade à travers des nouvelles assassines où ces journalistes étalent leur incompétence. Le type qui écrit les chroniques nécrologiques et qui va visiter les personnalités proches de mourir pour mettre leur biographie à jour en prétextant que le journal veut publier un gros portrait d'eux. Le journaliste qui n'a jamais écrit le Grand Roman qu'il s'était promis d'écrire en débutant sa carrière. La relectrice un peu dingue que tout le monde déteste. Le correspondant à l'étranger qui se prend pour le nombril du monde...
C'est très efficace comme construction, mais c'est parfois très caricatural dans le contenu. Et très franchement, les 11 chapitres ne sont pas tous de la même eau. Moi j'aime quand une nouvelle a un revirement ou une surprise finale, une chute qui me prend par surprise. Là, les chapitres vont exactement dans le sens que l'on imagine au départ. Le plus ironique, c'est que tous les journalistes ADORENT ce petit livre mesquin. On raconte même que Brad Pitt a acheté les droits pour l'adaptation ciné. Ça pourrait être l'équivalent de Burn after reading pour le monde du journalisme. Moi, je trouve ce cynisme corporatif plus inquiétant qu'autre chose. Ils rigolent tous en regardant le bateau couler. J'ai du mal à les plaindre. S'il le milieu se reconnait si bien dans ces 11 archétypes, c'est peut être qu'il mérite la traversée du désert qu'il subit.
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