À la base, c’est Gromovar qui a posté une réponse à une question rhétorique de Sylvie Denis :
Pour quelle raison bizarre et irrationnelle des êtres humains adultes, responsables et occidentaux, pourvus pour la plupart de conjoints et de progéniture, de métiers, de positions sociales même, enfin bref, des gens comme vous et moi, lisent-ils des histoires d'empires galactiques, de batailles spatiales, d'aventuriers stellaires et autres fariboles situées dans des futurs aussi lointains qu'improbables ?
Et bien moi, ce qui m’intrigue, c'est que personne ne remet en cause les habitudes de lecture des amateurs de littérature blanche. Comment expliquer que des femmes intelligentes et émancipées puissent lire Katherine Pancol ? Que des gens qui votent et font du compost acceptent volontairement de lire Jean d'Ormesson ? Que des personnes s'administrent volontairement un livre de Franz-Olivier Giesbert sans y être obligé par un jugement du tribunal ? À mon sens, c'est là que réside la vraie incongruité.
Ainsi, ça serait à nous, amateurs de SFFF, que reviendrait le fardeau de la charge. Mais qu'y a-t-il de si sidérant à vouloir, l'espace de 500 pages, échapper au tumulte de la semaine de la mode, du dernier off faussement transgressif lâché pendant la visite du salon de l'agriculture ou des entrevues complaisantes de David Pujadas servant la soupe à qui mieux-mieux ? Vous croyez que je me reconnais dans un livre où Stéphane Bern dresse le portrait des chienchiens d'un Ostrogot à particule ? Que je me sens concerné par le dernier prix Femina ou n'importe quelle autre boursoufflure germanopratine ? Il faudrait que j'achète le dernier Christine Angot pour être considéré comme un français moyen ? Que je lise de l'autofiction racoleuse ou un livre pondu par Amélie Nothomb en 3 nuits d'insomnie ?
J'ai tout de suite pied quand je m'immerge dans les univers de China Miéville. C'est écrit avec un talent rare et il y a une idée géniale par page. Et vous voudriez que je retourne au gruau littéraire en m'infligeant un Orhan Pamuk sur la déliquescence de l'amour dans l'Istanbul de 1975 ? Vraiment ? Que je me cogne une pastorale de Pascal Sevran, comme ça, gratuitement ? Qu'est-ce qu'il y a de si enlevant dans un roman sur les chats d'Anny Duperey ? Quelle révélation je loupe en ne lisant pas le dernier Pierre Assouline ? La lecture de "L'Accro du shopping attend un enfant" va-t-elle m’aider à supporter la morosité de la vie de bureau ? Les aphorismes boiteux de Paulo Coelho feront-ils de moi un meilleur être humain ? Je ne pense pas.
Chacun sa came. Moi, c'est la SFFF. L'espace d'une anthologie, je vis en Cimmérie. La semaine suivante, je furette dans le dédale des couloirs de Gormenghast. Je frissonne d'effroi et de froid en lisant le Terreur de Dan Simmons. Entre deux enquêtes du juge Ti, Asimov m'explique comment pourrait fonctionner les circuits d'un robot ou une utopie socio-probabiliste. Pendant ce temps, Robert Charles Wilson fait se télescoper des univers entiers sans oublier de mettre en scène des personnages touchants. Alors excusez-moi de ne pas être capable de savourer Guillaume Musso. De renâcler devant les souvenirs d'enfance de Guy Carlier. Mais il y a Cory Doctorow qui est en train de m'expliquer que le futur c'est maintenant. Fritz Leiber veut me raconter comment le Souricier gris et Fafhrd ont dilapidé leur or dans les bordels de Lankhmar. Des mondes incroyables. Des aventures extraordinaires. Des auteurs talentueux. Mais, Patrick Poivre d'Arvor, non merci.
Imaginer l’ailleurs. S’y croire pour quelques heures. Faire comme si. Parce que les nouvelles anxiogènes nous submergent. Parce que l’ordinaire nous assiège. Parce qu’inventer ces terres lointaines nous oblige à penser en dehors de la boite. Et que pendant ce temps-là, on ne traine pas au PMU.
D'autres répondent à cette question :
Gromovar : La réponse est 42
Lhisbei : 42 - La Grande Question du Lundi
Blop : Très bonne question
Stéphane Gallay : Pourquoi lire de la science-fiction?
Le traitement est savoureux, et la question très pertinente, je me la suis posée moi-même ces jours-ci. C'est pourquoi j'avais une forte ambition pour la conclusion du billet qui ne répond malheureusement pas à la question. Bien sûr que la SFFF te permet d'échapper à ton quotidien, c'est un lieu commun. Ca ne dit pas ce que nous apporte chaque livre à l'intérieur du genre, pourquoi on préfère aujourd'hui gemmel à moorcock, pourquoi il n'y a pratiquement plus de SF traditionnelle, qu'est ce qu'on y trouve à lire ces éniènes versions du passage à l'âge adulte à travers toutes sortes d'archétypes médiévaux, pourquoi on s'ennuie s'il n'y a pas des combats et des intrigues imbriquées, et ainsi de suite.
RépondreSupprimerEn résumé, le billet ne traite que la première partie de la question : pourquoi on n'aime pas les autres littératures. par contre, le pourquoi on aime la SFFF, qu'est ce qu'on y trouve, n'est pour moi pas traité.
Pourquoi on n'aime cette littérature là et pas une autre ? Je me dis parfois que c'est parce qu'elle répond aux questions qu'on se pose autrement.
RépondreSupprimerBien sûr que ça fait du bien d'arpenter la Cimmérie avec Conan, parce que ce serait tellement facile s'il suffisait de régler ses problèmes à coup d'épée.
Mais la "SFFF", comme dit Cédric, nous parle aussi de problèmes quotidiens. Quand Tolkien nous parle d'inimitié entre elfes et nains, il nous parle de racisme, et il nous oblige à repenser la question autrement.
Toute la littérature de SFFF est partie d'interrogations. Quand tout le monde voyait des ovnis, elle s'est dit : "Et si on avait affaire à des extra-terrestres, ils se passerait quoi ?"
Quand on parlait des robots, elle s'est dit : "Et si, les robots devenaient aussi intelligents que l'homme ?"
Quand on parle de bioéthique, la SFFF s'intéresse à la cyberpunk et à la nanotech.
Tous ces "et si" ne sont pas des questions d'enfant, mais des réponses d'adultes qui donnent à réfléchir autrement. En se posant le problème concrètement.
Dans "Star Trek", tout le monde se sert de tablettes tactiles. Elles n'arrivent sur le marché qu'aujourd'hui.
Alors la SFFF est-elle si éloignée de nos préoccupations actuelles ?
En clair, la SFFF est le moyen de s'aristocratiser, ou plutôt, de faire un pas de coté, de souffler un instant et de se mettre à l'écart, au repos.
RépondreSupprimerBelle idée.
En résumer, c'est regarder les choses en prenant un peu de distance, plutôt que de se coller à la vitre.
RépondreSupprimerSur l'impulsion qui nous mène à la SFFF, je n'ai que mon expérience de lecteur/auteur, c'est pourquoi je ne me suis pas lancé dans une théorie unifiée.
RépondreSupprimerJe ne suis pas un grand lecteur de SF.
Mais quand je m'y mets, c'est souvent pour me poser des questions différentes de celles d'Envoyé spécial.
C'est peut être que j'ai le sentiment qu'on n'arrive à rien ici bas quand il faut régler les problèmes globaux comme la faim dans le monde, les changements climatiques ou la déréglementation du secteur financier. Alors je me laisse absorber par des problèmes différents qui font appel à des zones de mon cerveau qui ne sont pas utilisées quand je suis au bureau ou devant la télé. J'ai un sentiment oppressant d'impuissance face à notre réalité mondialisée. La SF me montre qu'il peut y avoir des problèmes encore plus massifs et m'apprend donc à relativiser. Elle s'amuse à faire s'écrouler les utopies sous leur propre poids, m'indiquant ainsi qu'il n'y pas de société miracle, qu'il faut faire avec ce qu'on a en se méfiant des dogmes. Elle laisse souvent la porte entrouverte sur un avenir plus électrisant qu'y m'aide à supporter la quinzaine du blanc ou la qualification d'une équipe sportive à un championnant quelconque. Elle agit par moment comme une carotte, me donnant une idée (souvent déformée) de demain. Doctorow nous parle des imprimantes 3D depuis des années et aujourd'hui, il y a des gens qui bossent sur une imprimante 3D biologique, qui fabriquera du vivant en remplaçant l'encre par des cellules qui s'entassent jusqu'à former un foie ou un rein.
La fantasy, maintenant.
C'est le premier truc qui m'a accroché quand j'ai été exposé au jeu de rôles.
Il y a un truc primaire là-dedans, une choses universelle qui titille l'imaginaire de tous les gamins. Un chevalier, un dragon, du danger, une quête…
Peut être un ressurgeance des générations de conteurs qui devaient raconter des histoires au coin du feu pour faire passer l'hiver.
Quand je suis passé à l'acte en écrivant Wastburg (je vous en ai déjà parlé ?), j'ai mis dedans des choses très personnelles, liées à mon expérience intime. Au final, sous le prétexte de raconter le quotidien d'une bande de gardes d'une cité médiévale, ça parle de prostitution, de mixité linguistique, de la difficulté à s'adapter à un monde qui change, des petits compromis que la vie impose, des idéaux bafoués, de ce qu'on peut faire au nom du bien commun. Bref, que des trucs finalement très contemporains. Seulement, au lieu de me secouer la nouille en faisant de l'autofiction racontant mon expérience nombriliste d'immigrant dans un pays neuf, j'ai enrobé tout ça avec une cité imaginaire et lointaine. Pour avoir le plaisir de raconter cet ailleurs au lecteur, de l'embarquer avec moi dans un voyage plus dépaysant que si je devais lui faire visiter les quartiers cradingues de Montréal. J'agis comme un prestidigitateur : pendant que je fais un geste qui attire l'œil du spectateur, mon autre main fait un petit truc qui du coup parait invisible. Je dis donc "Ça se passe il y a très longtemps dans un pays qui n'existe pas vraiment" et pourtant j'y balance des choses éminemment viscérales pour moi, parce que si j'avais écrit directement un livre sur des putes contemporaines qui vivent dans des ghettos à cause d'un problème d'intégration entre deux peuples, il n'y aurait eu personne pour me lire (sauf 2 ou 3 travailleurs sociaux, et encore).
Maintenant, les prophéties, les dragons, les jeunes paysans qui découvrent qu'ils sont en fait le prince d'un trône occupé par leur oncle maléfique, ça fait quelques années que je regarde tout ça avec la même morgue que quand mes yeux glissent sur la couverture du dernier Bernard Werber.
"Penser en dehors de la boîte" Tout est dit ! Sinon que quoi de pire que de se reprendre une tranche de quotidien quand le sien est déjà terne et morose. Merci pour cet article qui résume à merveille pourquoi j'aime tant cette littérature dite de l'imaginaire. Parce qu'elle nous titille l'imaginaire.
RépondreSupprimerMerci.
A.C.
Je fais mon troll, si tu permets : c'est moi qui avait posé la question initialement. Je suis affreusement envieuse et jalouse, d'ailleurs je vais tous vous dézinguer avec mon sabre-laser.
RépondreSupprimerBien, cela étant réglé, ta réponse savoureuse, comme le dit justement FX, me fait un bien fou : le genre de littérature blanche que tu évoques, je suis obligée de me la taper dans mon boulot, et, pire, de faire semblant d'aimer ça pour être crédible.
Et pourtant... Le nombrilisme des littérature contemporaines me débecte ; avons-nous oublié la force du conte, de la parabole ? Ils sont pourtant à l'origine de quelque religion extrêmement populaire en ce bas-monde, me semble-t-il...
Nous pensons que la réalité nue nous fait mieux réfléchir. Mieux ? Je ne suis pas sûre. Car quand on se prend en pleine poire des images d'enfants somaliens mourant de faim, on ne réfléchit pas, on réagit avec ses tripes, sans comprendre. On fait ce qui est attendu de nous, on n'agit pas en citoyen indépendant. Mais je digresse.
Donc, merci pour ta réponse, Cédric.
Superbe article, qui m'a en plus bien fait rire.
RépondreSupprimerJ'aurais adoré que tu te secoues la nouille genre Amélie Nothomb dans Stupeurs et Tremblements ;-)
Cédric Ferrand n'écrit pas que des histories de petits Mickeys, lisez La Soupe, tordant et terrifiant http://fr.feedbooks.com/userbook/17261/la-soupe
Parce que les gens aiment voyager ?
RépondreSupprimer@Cédric : Je partage complètement ce que tu dis sur l'écriture de "Wastburg".
RépondreSupprimerTu réponds très bien à la question de Sylvie Denis du coup...
RépondreSupprimerEt pour répondre en parti à la tienne, la réponse doit être la même que la réponse à la question "comment des gens peuvent s'asseoir sur un fauteuil pendant deux heures et regarder Secret story ?" Par paresse, pour pouvoir comparer sa vie à celle des autres, pour pouvoir en parler le lendemain au boulot, parcequ'on a pas idée de ce qu'on pourrait faire d'autre vu que papa et maman regardaient Dallas ??????
Question subsidiaire :Si le monde entier avait lu la trilogie martienne, est-ce qu'on y serait pas déjà sur Mars ?
"Chacun sa came." C'est ce que je me tue à expliquer à ma mère qui a toujours une petite note de dédain dans la voix quand elle dit que je lis de la SF.
RépondreSupprimerPourtant c'est plus agréable sur le monde dans lequel on vit par le biais de voyages dans l'espace, de colonisation de planète etc. Et le cours que j'ai eu sur la littérature contemporaine y'a 3 ans m'a pas vraiment donné envie de m'intéresser au domaine, ça m'a semblé assez nombriliste en effet...
Merci à tous pour vos commentaires et réflexions.
RépondreSupprimer> J'aurais adoré que tu te secoues la nouille
> genre Amélie Nothomb dans Stupeurs et
> Tremblements ;-)
J'ai eu une phase de normalisation littéraire, à un moment. J'ai lu tout Amélie Nothomb, tout Beigbeider, même du Catherine Millet. Disons que ça n'allait pas bien dans ma vie à ce moment-là.
Excellent réquisitoire !
RépondreSupprimerDésolé de faire mon ignare sous lecteur de SF(FF?) inculte qui devrait aller lire de la vrai littérature plutôt que ce blog mais qu'est ce exactement que la "littérature blanche". J'ai bien fait du google mais les définitions trouvées ne me satisfont pas vraiment...
RépondreSupprimerMerci d'avance
Pour définir qu'un livre fait partie de la littérature blanche, il faut que ce livre ne fasse partie d'aucune autre catégorie littéraire.
RépondreSupprimerIl est de la littérature blanche par dépit, parce qu'il n'est ni SF, ni fantastique, ni fantasy, ni polar.
La blanche, c'est l'anti-littérature de genre.
Enfin, à mon sens, hein. C'est pas comme si j'étais expert.
Donc, si je suis le principe, les essais sont tous dans la catégorie littérature blanche ?
RépondreSupprimerJe parlais des romans.
RépondreSupprimerJoli billet sous forme d'invitation au voyage.
RépondreSupprimerL'image est tirée d'où?
J'ai piqué l'image sur Reddit.
RépondreSupprimerLa science-fiction, et ses congénères, fantasy, fantastique, ça éveille l'imagination, ça pose des questions, souvent très pertinentes.
RépondreSupprimerÇa nous écarte du quotidien et nous éloigne des futilité.
Ça nous élève… ( « Visez les étoiles … » )
Question : d'où vient l'illustration qui conclue l'article ? J'aime beaucoup !
RépondreSupprimerTel qu'indiqué plus haut dans les commentaires, l'image a été trouvée sur www.reddit.com mais je n'en connais pas l'auteur.
RépondreSupprimerExcellent point de vue que tu donnes là. Je n'ai pas lu, par fainéantise les avis des autres, mais je suppose que d'autres s'y retrouve aussi.
RépondreSupprimerJ'arrive sur le tard mais j'y vais quand même de mon avis... D'une part, le simple fait qu'on se pose (ou qu'on nous pose) la question indique qu'il faudrait une justification quelconque... Et au nom de quoi ? La lecture passe de plus en plus pour un passe-temps "intellectualisant" (j'ai pas d'autre terme sous la main à cette heure-ci) mais on oublie trop souvent la notion de plaisir. La culture, c'est avant tout du plaisir, mais une culture-plaisir serait populaire, or la culture populaire est considérée comme "sous-culturelle" (là, y'a peut-être que moi qui me suis encore tellement ça sonne peu clair ce que j'raconte...). Bref, décrédibiliser la culture populaire permet de garder une culture élitiste qui reste l'apanage de vaniteux dépressifs pour qui l'évasion est infantile, le rire puéril et la vie une lutte austère ou une représentation tragique dont le seul terme est la mort. Triste perspective... Allez, j'vais m'prendre un hydromel à la taverne du coin et p'têt' bien déclencher une p'tite bagarre (quitte à lutter...).
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