De la littérature blanche écrite
par un Canadien juif. Si avec ça je n’intéresse pas les lecteurs traditionnels
de HuMu, c’est à désespérer.
La rue St-Urbain passe à deux
coins de rue de chez moi. Elle traverse Chinatown du nord au sud comme un coup de
katana vengeur délivré par Toshirō Mifune en personne. Mais comme énormément de rues
nord-américaines, elle est si longue qu’elle passe par des réalités socio-économiques
très différentes à mesure qu’elle trace à travers les différents quartiers de
Montréal. Et justement, dans les années 40, la rue St-Urbain était dans le nord
de la ville une artère importante du quartier juif. Un ghetto anglo-yiddish où
est né en 1931 Mordecai Richler, l’auteur. Et ce court livre de 185 pages est
une évocation des années 40 dans cette rue symbolique de la situation juive
montréalaise de l’époque. Des maisons pauvres, qui n’ont pas nécessairement l’eau
courante et l’électricité. Des familles qui tirent le diable par la queue en rêvant
que leurs fils deviennent rabbin ou médecin. Une communauté qui ne brille pas
toujours par ses qualités, aux yeux de Mordecai. Une population qui accueille à
bras ouverts les Juifs qui fuient l’Europe nazie pour finir par les détester
car ils sont plus éduqués qu’elle. Un groupe qui déteste les Canadiens français
(les fameux Pea Soups) parce qu’eux aussi sont pauvres et rêvent de devenir prospères
comme les Canadiens anglais.
Mordecai Richler a toujours été
un emmerdeur de première. Il a dit des horreurs savoureuses sur les Québécois,
et a été servi en retour d’une haine tenace et entière de la part de ses
voisins francophones qui ne peuvent toujours pas le sentir. Richler était
tellement un polémiste dans l’âme que même sa propre communauté a fini par le
traiter d’antisémite tant il se plaisait à montrer tous les petits travers des
siens. Ainsi dans cette biographie des années 40, il est sans complaisance pour
ses parents (avec un splendide chapitre où ils deviennent complètement dingues
quand ils louent une chambre de leur maison à un écrivain qui fera chavirer
tout le quartier), ses amis d’enfance ou ses voisins. Il décrit les choses crument
en faisant passer toute cette comédie humaine avec un humour qui fait grincer
des dents. Car même quand il évoque l’antisémitisme ambiant de l’époque (à la tête
duquel on retrouve Adrien Arcand, le chef du parti national socialiste canadien
qui rêvait d’une victoire nazie), c’est toujours en ricanant.
Ceci étant dit, ce n’est pas un
livre qui intéressera forcément un lecteur européen tant les références
politiques et sportives sont canado-canadiennes. Mais c’est un bon moyen pour
un goy comme moi de goûter la plume de Richler et d’entrer par la petite porte
dans son univers yiddish qui est savoureux. D’ailleurs, si vous voulez avoir
une idée de l’esprit de Mordecai Richler, vous pouvez regarder le film Le Monde
de Barney (avec Paul
Giamatti et Dustin Hoffman) qui raconte la vie amoureuse et rocambolesque
de Barney Panofsky, un producteur
de télé qui ne fait pas dans la simplicité.
Sur ce coup, je vais passer mon tour.
RépondreSupprimerDe ce que je lis, le roman le plus marquant de Richler est "L'apprentissage de Duddy Kravitz", qui est dans ma PÀL.
RépondreSupprimerRue St-Urbain n'était qu'une mise en bouche, mais du coup elle est parfaitement oubliable pour les non-Montréalais.