Qu’il
soit su en ouverture que je suis un apostat, un mécréant, un athée, un
incroyant, un infidèle, un païen et même un kâfir. N’attendez donc nulle charité chrétienne de
ma part.
Ceci étant dit, Au pays de Dieu raconte une expérience typiquement
américaine : un road-trip. Douglas Kennedy, non content d’être yankee et
pas très catholique, a quitté son cher pays pour aller vivre loin, et notamment
à Londres, pour y prétendre vivre de sa plume. C’est un cosmopolite dans tout
ce que le terme peut charrier de libéralisme athée. Et un jour, il décide
d’aller visiter la Ceinture
de la bible (la fameuse Bible belt) pour essayer de comprendre le phénomène
religieux du sud profond. Il loue une Mustang et roule, roule, roule en
écoutant du Johnny Cash et des stations de radio chrétiennes. Il s’arrête dans
une église, taille le bout de gras avec le révérend du coin, entend parler d’un
prêcheur connu dans le comté d’à-côté… Bref il y va un peu à l’improviste en se
laissant guider par ses rencontres. D’aucun dirait qu’il laisse Jésus lui
montrer la voie à suivre.
Et Douglas Kennedy rencontre des tas de croyants. Des pentecôtistes qui
se roulent par terre quand ils sont en transe, des anciens roadies qui sont
sortis du sexe, drogue et rock’n roll par la prière, des retraités qui claquent
tout pour aller visiter un parc d’attraction chrétien, des prêcheurs itinérants
qui tirent le diable par la queue (ahah), des stars locales du
télé-évangélisme. Kennedy brosse des portraits très crus mais sans jamais être
hostile à son interlocuteur. Il y a bien des petites piques acerbes ça et là,
mais il garde malgré tout une réserve bienveillante même quand il est confronté
à des zélotes vraiment azimutés. Il n’est pas dupe, mais reste ouvert à travers
ses rencontres. Il fuit régulièrement quand il sent que l’ambiance devient
pesante ou quand les tentatives de conversion sont trop éhontées, mais il ne
confronte pas la foi de ces gens. Il veut comprendre ce qui les anime, comment
ils sont arrivés à la certitude que Jésus les avaient choisis.
Et la chose qui revient le plus souvent à travers ces rencontres, c’est
le pognon. Et vas-y que je donne 10% de mon salaire à la communauté, tiens voilà
ma carte de crédit, mais oui il est normal que le révérend roule en Cadillac…
Il faut entendre parler la productrice de musique qui vend ses groupes de heavy
metal chrétien : c’est avant tout une question de parts de marché et
disques d’or. Pour la plus grande gloire de Dieu, certes certes, mais pour la
plus grande joie de mon banquier. Le summum est bien évidemment ces télé-évangélistes
qui récoltent des millions de beaux dollars avant de se faire prendre dans des
motels minables en compagnie de leur secrétaire. Ils fraudent le fisc et
détournent les sommes alloués aux projets humanitaires, mais restent adulés par
des hordes de croyants perdus sans eux. Et du coup les passages où Douglas Kennedy
traverse des villes vraiment décaties avec des habitants qui survivent
difficilement dans des régions restées coincés dans les années 50 sont encore
plus terribles. La foi est là-bas tout aussi intense, mais d’une désespérance…
Et donc, le prêcheur qui a fondé un club de motards chrétiens et qui
regroupe des chapitres dignes des Hell’s Angels parait tout à coup très normal.
La réalisatrice de film qui est née et a toujours vécu sur un campus où les
mariages mixtes sont interdits et où les étudiants ne doivent surtout pas se
tenir par la main passe pour la moins intégriste. Car ce road-movie littéraire
ne met pas en avant d’humbles chrétiens discrets qui ne demandent rien à
personne : Kennedy va systématiquement voir des activistes de la
conversion, des exaltés de l’application littérale de la bible, des types qui
transpirent d’une foi intégrale qui écrase tout sur son passage. Je pourrais
trouver le même freak-show si je faisais un livre sur les supporters de foot et
que je n’allais rencontrer que des néonazis. Serait-ce pourtant représentatif
du phénomène ?
Dernier truc : le livre a été écrit en 1989. Il n’a été publié en France
qu’en 2004 quand Douglas Kennedy s’est mis à bien se vendre. Et je pense qu’en
23 ans, le portrait religieux a changé. Oh, il reste quantité de zinzins intégristes
qui parlent à Jésus et de bigots racistes qui renaissent dans des églises
climatisées, j’en suis persuadé. Mais pour aussi charmant que soit le livre de
Kennedy quand il me conforte dans mes clichés antireligieux, je ne pense pas qu’il
soit représentatif de la pratique ou de la croyance. Je ne nie pas le poids
démesuré de ces jusqueboutistes de Jésus mais je ne pense pas qu’on puisse
résumer le fait religieux à cette frange la plus absurde. Et c’est un bouffeur
de curés qui vous dit ça.
Christine Wicker rencontre aussi des chrétiens exaltés dans The Fall of the Evangelical Nation: The Surprising Crisis Inside the Church, mais elle s'intéresse surtout aux ex-chrétiens exaltés: des gens qui ont perdu leur belle assurance et leurs convictions en béton (mais pas nécessairement la foi). De la même auteure, j'avais lu Not in Kansas Anymore: A Curious Tale of How Magic Is Transforming America, son enquête sur les adeptes de la magie et de l'occulte aux États-Unis. Les deux bouquins sont très bien.
RépondreSupprimerMerci Laurine, je vais effectivement essayer de lire d'autres de Douglas Kennedy car j'aime bien son style.
RépondreSupprimerEn fait, les bouquins dont je parle sont de Christine Wicker. (Juste pour être sûre qu'on se comprend bien, là.) Mais si Kennedy est intéressant, go go go.
RépondreSupprimerOula, je me rends compte que j'ai répondu complètement à côté de la plaque.
RépondreSupprimerMerci de la précision, Laurine.
Bon alors attention : ce commentaire n'a rien à voir avec l'oeuvre de Kennedy, mais je profite de ce blog pour poser une question à tous les lecteurs éclairés qui les présentes liront...
RépondreSupprimerJ'ai lu il y a quelque temps le prologue ou du moins les premières pages d'un thriller se déroulant en RDA et impliquant la Sainte Vehme (les Francs-juges). Je ne me rappelle ni le titre, ni l'auteur, ni l'édition, ni même la couverture. Si quelqu'un peut m'aider (mes libraires ne le peuvent). D'avance merci, DXN.
À tout hasard je propose : Train d'enfer pour ange rouge de Franck Thilliez.
SupprimerJe n'ai aucun mérite si ce n'est d'avoir tapé dans Google : thriller, rda, sainte vehme ...