Le journal de Ciderico Ferrandini est foullis, assez peu
structuré, et (comme on le verra par la suite) truffé de 'trous' qui sont comblés en partie par les annotations de l’Abbé Fenot. La section du
journal que reproduit (ou plutôt conviendrait-il de dire ‘reconstruit’)
ci-dessous le Narrateur parle de l’expérience de Ferrandini à la lecture du dernier
roman d’Umberto Eco 'Le Cimetière de Prague'.
« Ce jour, je suis à la fois happé et rendu perplexe
par la lecture du foisonnant ouvrage d’Eco, le Cimetière de Prague. Le
personnage principal, le capitaine Simonini, est une crapule veule et
réactionnaire dont le seul amour est la bonne chère, dont la misogynie et le
racisme ne sont qu’une expression plus ciblée de sa misanthropie générale. C’est
aussi un faussaire de génie qui, élevé sous la double influence d’un grand-père
obsédé par des fantasmes de conspirations juives et d’un père obsédé par des
fantasmes de conspirations jésuitiques se réfugie dans la lecture des romans
feuilletons de Sue et Dumas et… n’en extrait que la moelle conspirationniste. Le
bouquin nous plonge donc dans un XIXè siècle glauque et manipulé de toutes
parts par les services secrets aussi machiavéliques qu’incompétents que
Simonini sert à qui mieux mieux. Il y a toutefois une discontinuité dans le
récit par moments, mais je n’arrive pas à me rappeler de quoi il s’agit. Il est
tard, je vais me coucher… »
« Captaine Ferrandini, si je me permets d’écrire dans
votre journal c’est que je me suis réveillé ce matin dans votre lit, ce qui n’a
pas manqué de me causer une grande frayeur. Et ce d’autant plus que les détails
que vous ne parvenez pas à vous remémorer dans le livre d’Eco, moi, je m’en
souviens fort bien ! Je suis l’Abbé Fenot, mais j’en viens à me demander
si vous et moi, comme dans le roman d’Eco, ne formons pas une seule et même
personne. Dans le roman en effet, Simonini écrit son journal pour se remémorer
qui il est parce qu’il a des absences; or pendant ses absences, l’Abbé
Dalla Piccola est bien là, lui et annote le journal. Mais sur les travaux de Simonini je n'ai aucun ressouvenir de ma lecture. Je suis écroulé de fatigue… »
« Père Fenot, je ne sais qui vous êtes ni ce que vous
faites dans mon lit, mais je puis en tous cas vous dire que Simonini, dans le
roman, est obsédé par les juifs, enclin à leur prêter tous les maux et les plus
mauvaises intentions. A travers plusieurs itérations, comme le faussaire de
talent qu’il est, il échafaude ce qui deviendra le tristement célèbre Protocole des Sages de Sion,
pamphlet antisémite dont les répercussions historiques sont bien connues, jusqu’à
la terrible solution finale qui sera mise en œuvre 70 ans après leur rédaction.
Outil de manipulation des masses acheté à Simonini par les services secrets Russes,
il les considère comme son grand œuvre. On ne s’attache pas à ce répugnant personnage,
mais on est amusé de le suivre dans les méandres des conspirations réelles ou
supposées auxquelles ses relations compliquées avec les services secrets
Français, Russes, Turcs ou Vaticanaux le confrontent. »
« Je ne me souviens pas clairement des activités de ce
Simonini, mais les implications de l’Abbé Dalla Piccola dans la diffamation
des Francs-Maçons et autres supposés socialistes, c’est la partie la plus
prenante de l’histoire à mon sens. L’Abbé est un homme pieux mais qui se laisse
emporter par ses élans vengeurs à l’égard des Francs-Maçons et entraîne à sa
suite une troupe de défroqués, plagiaires et fous pour constituer un corpus de
documents sulfureux que même les commanditaires de l’Abbé finissent par trouver
outranciers. L’Abbé est fasciné surtout par la figure de Diana, une femme aux
personnalités multiples, tantôt maçonne lubrique, tantôt pieuse effarouchée.
Mais, quand j’essaie de me rappeler en quoi elle constitue une des clés du récit, la mémoire me fait
défaut et... et… »
A ce stade du récit il convient au Narrateur de reprendre le
fil. Ferrandini et l’Abbé Fenot semblent bien n’être qu’un, comme le sont
Simonini et Dalla Piccola dans le roman. C’est cette double personnalité du
récit qui fait son sel, qui crée également le suspense et le sentiment de
voyager à travers les brumes du XIXè siècle politique, entrevoyant çà et là la
vérité sur la fabrication des grandes conspirations qui l’ont modelé. Le consensus entre nos deux moitiés de
chroniqueurs semble être que le roman est foisonnant sans requérir l’effort de lecture
de certains des précédents ouvrages d’Eco. Que la répugnance légitime que
suscite son (ou devrions nous dire ‘ses’ ?) personnages principaux n’entrave
en rien l’appréciation du livre, et que finalement, à travers un hommage
littéraire appuyé aux grands romans-feuilletons du XIXè siècle le dernier opus d'Eco dévoile
dans toute sa laideur la cruauté des conspirations qui ont tant
pesé sur l'histoire du XXè…
Joli pastiche. Bravo.
RépondreSupprimerMerci! C'est qu'ils me mettent la pression les deux autres à faire des critiques plus intelligentes que le bouquin...
RépondreSupprimer(Ce qui n'est pas le cas de la mienne, rassure-toi!)
Comme commentaire, je voulais écrire : "Très belle chronique, bravo !", mais Gromovar est passé par là, quelques jours avant moi, alors...
RépondreSupprimerA.C.
Ben merci quand même AC !
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