Les reliques sacrées d'Hitler



- Entrez, monsieur Kirkpatrick, et asseyez-vous. Mettez-vous à l'aise car au vue de l'étendue des dégâts, je pense que nous allons en avoir pour un bon moment. Aussi je vais me permettre de sauter les salamalecs pour en venir directement au sujet qui nous intéresse : vous êtes le pire auteur de polar ésotérique que je connaisse.
- Mais je suis journa...
- Tututu. Je suis déjà bien gentil d'avoir lu votre truc, alors ne jouez pas la partition de l'auteur incompris. C'est une rengaine qui ne prend pas avec moi. Je disais donc que vous êtes une buse, une vraie. Pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent dans votre manuscrit, mais vous faites systématiquement tout de travers. Bon, le coup du héros qui est soldat américain diplômé en histoire de l'art mais qui est né en Allemagne, ça c'est bonnard. Faut vous reconnaître ce petit mérite : on y croit. Et c'est très pratique pour faire de l'exposition, vous en avez bien conscience. Trop sans doute, mais on y reviendra. Bon alors votre gars interroge des nazis quand ils sont prisonniers en 45 et l'un d'eux lui raconte qu'il y a un bunker secret à Nuremberg avec a l'intérieur tout ce que les Indiana Jones allemands ont rapporté à Hitler lors de leurs expéditions. Moi je dis banco. Tout de suite je pense à Ron Howard à la réalisation, et pour incarner le biclassé américain/boche, Christoph Waltz, c'est vendu d'avance. Donc, blam, c'est la guerre c'est horrible tout ça, le héros file dans une Nuremberg en ruines, on se dit vas-y mon Kirkpatrick, fais moi monter la sauce bien comme il faut. Et là, je ne sais pas ce qui se passe, vous n'assumez pas, et tel un lapin pris dans la lumière des phares au milieu de la route, vous vous figez.
- Ce n'est pas que..
- Parce que là, tout lecteur normalement constitué s'attend à ce qu'un tueur en série nazi soit sur les traces du héros et zigouille les témoins dans une course à la montre effrénée tandis que le héros se rend sur les lieux emblématiques de Nuremberg pour déchiffrer les indices qui le mèneront au trésor. Mais vous, non, vous êtes un iconoclaste, vous. Oh, on sent bien que vous avez fait vos recherches et que vous en savez plus que la page dédiée sur Wikipédia, ce n'est pas le problème : il ne se passe rien pendant 400 pages. Ça vous coûtait quoi de me glisser un antagoniste histoire de relever la sauce ? Parce que là, le héros fait son Umberto Eco du nazisme, ça m'est littéralement tombé des mains. Et ce que mon assistante m'a raconté de la suite de votre manuscrit est de la même eau : on apprend à un moment que Jésus était aryen. Mais bon dieu, faut m'en faire une révélation du tonnerre, et non pas me bazarder ça dans un chapitre ennuyeux comme un bouquin de Primo Levi.
- Sauf que...
- Pareil pour la lance de Longinius : ça vous emmerderait de la mettre en scène dans une scène finale épique avec le méchant ? Non parce qu'on se fade tout l'historique de la lance, tout ça pour ne jamais voir qu'elles sont ses réels pouvoirs. Vous imaginez StarWars si Luke ne dégainait jamais son sabre-laser ? Moi non plus. Et c'est pareil pour la romance : ils ne vous apprennent rien à l'école de journalisme ? Faut me mettre de la gonzesse. Même de la juive si vous y tenez, mais là c'est le festival de la saucisse, et on s'emmerde. Non, y'a pas à tortiller, en l'état ce n'est pas éditable. Je ne dis pas que tout est à jeter sur ces 400 pages sur la mystique nazi, mais va falloir me rendre ça plus dynamique et me glisser un complot teutonique ou deux. Et prévoir une fin ouverte, quoi, c'est le minimum syndical. Une carte de Thulé, par exemple, comme ça on sait déjà de quoi va causer le prochain livre de la trilogie. Car c'est bien une trilogie, hein ?
- Monsieur Bob...
- Ah oui, aussi, je me demandais : avez-vous entendu parler de cette nouvelle mode dans la littérature qui s'appelle le dialogue ? Non, sérieusement, comment pouvez-vous raconter une version nazi de Sur les traces de la chouette d'or en évitant systématiquement tout dialogue entre vos personnages. Ça me dépasse totalement.
- Mon but séminal était de...
- Plus je regarde le calendrier de production, et plus je vois que ça va coincer. Je peux pas décemment attendre que vous pondiez une nouvelle version vendable, ça va prendre des mois. Mais il nous reste un coup à jouer. On garde ça en l'état, on touche à rien si ce n'est une bricole ou deux pour dire de, et on vend ça comme une enquête historique. Du coup votre mauvaise littérature devient un argument de vente. Pour bien faire, on dit que votre histoire est née de vos entretiens directs avec le héros qui vous aurait raconté tout ça sur son lit de mort. Et j'ai un stagiaire qui va nous pondre une couverture à l'arrachée, on fait des merveilles avec Photoshop de nos jours. Ça peut être dans les boutiques dans 3 semaines si mon imprimeur polonais ne merde pas. Sinon, pendant que je vous ai sous le coude, ça fait des années qu'on me promet un livre choc du genre Tolkien ce nazi, mais je ne vois toujours rien venir. Ça vous dirait de vous en occuper ?

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