An astronaut's guide to life on Earth


À chaque génération sa mythologie, c'est bien connu. Celle de Chris Hadfield a été exaltée par les premiers pas de Neil Amstrong sur la Lune. Ils en ont rêvé tant et tant que le métier d'astronaute est devenu un truc magique, quelque part entre l'aventurier et le super-héros. Bien des vocations sont nées ce 20 juillet 1969. Et c'est bien normal.
La mienne, de génération, a un rapport plus délicat avec la chose spatiale : à dix ans, nous avons regardé à la télévision se désintégrer la navette Challenger, 73 secondes après son décollage. Disons que le rêve en a pris un coup dans l'aile. Astronaute est devenu un boulot bigrement angoissant, d'un coup.

Début 2013, le colonel Chris Hadfield est devenu le commandant de la station spatiale internationale. C'était la première fois qu'un Canadien dirigeait l'ISS. Ultra présent sur les réseaux sociaux (grâce à son fils Evan), Chris Hadfield a, je crois, réconcilié les gens comme moi avec l'espace. Avec sa bonne bouille de Canadien, ses moustaches à la Tom Selleck, sa reprise irréelle de Space Oddity, il est arrivé à nous redonner le goût pour la magie de la conquête spatiale. Loin là-haut, il était pourtant présent dans notre quotidien, non pas en photographiant son repas de midi ou en commentant en direct les matchs de hockey mais en montrant la vie à bord de l'ISS et en démystifiant le travail d'astronaute.

An astronaut's guide to life on Earth est divisé en trois parties :
- la carrière et la vie familiale d'Hadfield
- son expérience dans l'ISS
- le retour à la Terre.

Et donc, à 10 ans, le petit Chris voulait devenir astronaute. Manque de bol, le Canada n'avait pas de programme spatial, et la NASA n'engageait pas de Canadien (car ils ont de petits yeux chassieux). Qu'à cela ne tienne, il devient pilote pour l'armée canadienne, puis pilote d'essai. Après tout c'est la voie royale pour devenir astronaute. Et là, un truc dingue arrive : le Canada décide de recruter des astronautes. Plus de 5 300 candidats envoient leur CV à l'Agence spatiale canadienne. Et Hadfield va passer une à une les étapes éliminatoires pour faire finalement partie du trio final. Les tests, tant physiques que psychologiques et médicaux, sont exténuant, mais Hadfield y parvient. Comment ? C'est un perfectionniste doublé d'un overachiever : toute sa vie est dédiée à ce but. Sa femme et ses trois enfants en payent le prix tout au long de son parcours jusqu'à l'ISS : il fait tout ce qu'il faut pour y arriver. Rarement à la maison, il bûche comme un damné pour sortir du lot. Le soir, il bachote. Les fins de semaine, il est en formation. C'est un sacerdoce.

Et le truc dingue pour l'enfant de la Guerre froid qu'il est, c'est qu'après la chute de l'URSS, le gouvernement américain (voyant que les Russes n'ont pas les moyens de continuer leur programme spatial) va financer des programmes internationaux, si bien que les astronautes comme Hadfield ont appris le Russe et sont partis apprendre leur métier à la Cité des étoiles, non loin de Moscou. Car pour monter dans l'ISS, il faut utiliser le lanceur Soyouz. Et c'est dingue tout ce qu'un astronaute doit apprendre : il ne s'agit pas juste de savoir piloter un engin spatial, il faut aussi s'y connaître en ingénierie (car les toilettes de la station se bouchent régulièrement), être capable de pratiquer des actes chirurgicaux si un collègue à un pépin de santé, être à l'aise devant les caméras... L'apprentissage de ce boulot semble harassant. Quand ils ne sont pas au fond d'une piscine en train d'apprendre comment utiliser une perceuse-viseuse en apesanteur, ils sont dans un simulateur pour apprendre à gérer des situations de crise plus folles les unes que les autres.

Car au fil du livre, Hadfield explique comment ils réussissent dans l'espace : en se préparant toujours au pire. Prenant à contre-pied les gourous de la réussite qui vous demandent de vous visualiser en train de gagner, les astronautes font tout le contraire : ils anticipent le pire en étant toujours préparés. Le leitmotiv est "Quel est le prochain truc qui peut me tuer ?". C'est en faisant le tour des pires scénarios catastrophes qu'ils sont parés à survivre dans ce milieu hostile. Pour illustrer son propos, Hadfield raconte qu'un jour, il est amené à rencontrer Elton John lors d'un concert. Comme on le prévient à l'avance, il se dit "Mince, et s'il me demande de chanter avec lui, qu'est-ce que je fais ?". Alors il prend sa guitare et travaille sur une chanson (Rocket Man, évidemment), juste au cas où. Et c'est comme ça tout le temps : des tonnes de données ingurgitées, des réflexes acquis par la répétition, des débriefings sans fin qui font parfois mal à l'ego... mais qui permettent de toujours anticiper le pire. Et quand la merde frappe le ventilateur, ils sont prêts. Un incendie se déclare dans une section de la station ? Ils connaissent ce refrain par coeur. Leur rythme cardiaque n'augmente même pas : on prévient les autres, on se rassemble et on cherche une solution.

Chris Hadfield se montre tout canadien qu'il est. Humble et bon compagnon. Il se saoule avec son confrère russe, ne cite pas le nom du connard qui lui pourrit la vie, raconte des anecdotes qui font beaucoup penser au personnage de George Clooney dans Gravity... C'est un dingue d'espace qui aurait été malheureux comme les pierres s'il n'avait pas pu partir là-haut. Si vous êtes pris dans un film catastrophe, j'ai un conseil à vous donner : prenez Chris Hadfield avec vous. Il sait détendre l'atmosphère quand il faut, a suivi des stages de survie en milieu hostile, sait ce que c'est de perdre des proches (dans sa branche, il perd un ami par an. Et il s'est entraîné avec l'équipe de Challenger, donc...).

Il ne semble pas avoir eu d'aide extérieure pour écrire ce livre, mais c'est bien écrit. C'est avant tout un livre sur le bonhomme, pas sur la science. Du coup pas besoin de savoir calculer la position des points de Lagrange pour apprécier sa lecture : c'est une autobiographie qui met l'accent sur les sacrifices et la préparation. Car on dit que ça prend un village pour élever un enfant. Mais ça prend une femme d'exception pour faire tourner la boutique pendant que monsieur va faire l'imbécile dans l'espace. Et ça doit produire des enfants bizarres, tout ça.

Marc Garneau, un autre astronaute canadien, est désormais mon député fédéral. Je parie qu'ils sont nombreux à faire des ronds de jambe à Chris Hadfield pour qu'il fasse le saut en politique. Sa popularité et sa philosophie de vie ferait un effet boeuf dans l'arène politique. Sauf que se préparer toute sa vie pour survivre dans l'espace ne l'a sans doute pas équipé pour résister à ce milieu encore plus hostile qu'est la politique fédérale.

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