Et c’est donc un jeu éminemment anarchiste. Pas au sens « no
future » du terme, mais dans l’approche anti-autoritaire mettant de l’avant
l’égalité sociale. Car loin de la Norvège et de son roi unificateur, il y a une
nouvelle société à construire. L’Islande est une sorte de grand plateau du
Larzac où l’on incarne des altermondialistes voulant vivre une vie alternative.
Le jeu fait souvent référence à la série télévisée Deadwood, et c’est
exactement ça : les personnages sont des pionniers (sauf qu’ils ne
massacrent aucune population indigène et qu’ils ne sont pas motivés par la
fièvre de l’or). Il y a une quête de liberté et un élan philosophique chez ses
gens : vivre entre nous, d’accord, mais selon quelles règles ? Évidemment,
des colons, de la neige et un élan émancipateur : Sagas of the Icelanders
est un décor historique qui parle au Québécois que je suis. Surtout que le jeu
ne propose pas de jouer que des huscarls qui se foutent sur la gueule avec de
grandes giclées de sang sur la neige. Non content de proposer un décor qui
oblige à se poser des questions sur l’autorité et le vivre ensemble, le jeu se
double d’un aspect « études de genre » en proposant autant des
personnages féminins que masculins. Et comme le moteur est une variante d’Apocalypse
World, les joueurs n’ont pas accès aux mêmes actions selon qu’ils incarnent un
homme ou une femme. Ce n’est donc pas juste une question de « Que
faisons-nous en tant qu’Islandais ? », c’est également une expérience
ludique sur les rôles sexués et sur ce que la société attend de vous. C’est éminemment
scandinave, comme interrogation.
Même si vous n’êtes pas plus intéressé que ça par l’idée de
déconstruire les interactions sociales dans un cadre de jeu de rôles qui met de
l’avant l’autogestion et la démocratie directe, Sagas of the Icelanders est un
petit jeu fascinant qui décrit une île vraiment étrange. Qui plus est, ce que
raconte le jeu entre en résonance avec la situation économique actuelle de l’Islande,
c’est tout sauf imbécile. Mon seul bémol porte sur les illustrations, trop
naïves à mon goût. Mais pour le reste, c’est un jeu malin et porteur d’idées
vraiment belles. C’est beau, un jeu bien foutu qui vous fait réfléchir sur les
rapports sociaux et la répartition des rôles sexués.
Évidemment, historiquement, cette expérience anarchiste ne
tiendra pas la distance. La christianisation de l’île fragilisera l’équilibre
local, qui finira par imploser. Reste ces magnifiques sagas des Islandais qui
témoignent de cette période expérimentale où des gens ont essayé de vivre
différemment sur une île pas toujours accueillante.
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