Épisode 25
Numéros 120 et 121 de la collection Fantastique / SF /
Aventure, 1984 (première édition française 1973)
Deuxième épisode de la série du duc de Richleau, après Territoire interdit. Je vous ai aussi parlé de La découverte de l’Atlantide, un
Wheatley sans rapport avec la saga du duc.
Bonsoir mademoiselle,
est-ce qu'on dérange ?
Ah oui, on dérange.
On va peut-être vous laisser, alors.
En deux mots
Cette fois, c’est Simon Aron qui se met dans les ennuis. Un
simple intérêt de dilettante pour l’occultisme le met en contact avec des
gaillards très peu recommandables, qui s’intéressent de près à son âme pour…
pour quoi, au juste ? Quoi qu’il en soit, les autres « Mousquetaires
modernes » ne vont pas laisser faire.
À partir de cette base presque innocente, Wheatley monte vite en
pression. Dans la dernière partie du roman, nos héros galopent d’un bout à l’autre de
l’Europe pour empêcher un sbire de Satan de déclencher une nouvelle guerre
mondiale (on apprend au passage que 14-18 est un coup d’un autre grand prêtre
du Mal, un certain Raspoutine…)
Pourquoi
c’est bien
Prenez les recettes du roman d’aventures qui marchaient si bien
dans Territoire interdit et
appliquez-les à un contexte « satanisme + bonne société britannique
années 30 ». Le résultat est étrange, mais se consomme avec plaisir.
Les sorcières courent d’une couturière à l’autre et flirtent
autour d’un cocktail. Des messieurs en smoking préparent une messe noire. Un
valet de chambre s’avère être l’enveloppe extérieure d’un démon gardien. Tout
le monde roule en Rolls ou, à la rigueur, en Bugatti (le duc de Richleau a opté
pour une Hispano-Suiza, mais il a aussi
une Rolls… comme deuxième voiture à prêter à ses amis en cas de besoin).
Whealtey injecte une multitude de thèmes
et de situations en un seul roman, là où un auteur moins généreux aurait mis délayé tout
ça en cinq ou six volumes. Mieux vaut avoir du souffle pour le suivre !
Enquêtes, poursuites, infiltration, sabbat, démons, nuit
terrifiante enfermé dans un pentacle, et je relance d’un cavalier de
l’Apocalypse, sans oublier de faire des allusions à l’actualité et de
mentionner des « affaires de sorcellerie » remontant aux années 20,
tout en présentant une théorie de la magie, le tout en à peine 350 pages.
Wheatley affirmait s’être documenté directement auprès des
principaux magiciens de l’époque, Aleister Crowley en tête. Que ce soit vrai ou
pas, il présente une synthèse occulte tout à fait digeste où se mélangent
christianisme, théosophie, occultisme et hindouisme, avec une pincée de
n’importe quoi pour faire le liant.
Pourquoi
c’est lovecraftien
« Il n’y a pas de Profonds ici ! »
Pourquoi
c’est appeldecthulhien
En dehors des galopades frénétiques de Londres à Paris, ou des aspects
pratiques du type « comment interrompre un sabbat quand on est deux et
désarmés », vous voulez dire ?
Eh bien, il y a des phrases de ce genre…
« La
moitié des gens qui se trouvent dans nos asiles sont peut-être bien affectées
d’une lésion physiologique au cerveau, mais les autres sont affligés de
maladies mentales absolument inexplicables. La véritable raison, c’est qu’ils
ont été possédés par le Démon en posant leurs yeux sur des choses terribles
qu’ils n’auraient jamais dû regarder ».
Plus généralement, nous sommes dans un univers partiellement
déchristianisé. La religion est remplacée par une spiritualité plus diffuse, où
Zoroastre, Mani, le Christ et Bouddha jouent dans le camp du Bien. Quant aux
forces du Mal, elles sont floues, mais regorgent d’Intelligences et de
Puissances qui sont ravies de se déguiser en démons, à l’occasion. Et soudain,
on est en pays de connaissance : on retrouve l’idée d’un Nyarlathotep
participant aux sabbats en Nouvelle-Angleterre…
Là où les forces du Mal sont agissantes,
voire activistes, les forces du Bien sont lointaines, impersonnelles et peu
concernées par ce qui se passe dans le monde matériel. Aux humains de lutter
contre le Mal, s’ils en ont le courage, et c’est à leurs risques et périls.
Lovecraft, plus radical, avait évacué les notions mêmes de Bien
et de Mal, mais ce n’est pas si important. Du point de vue des protagonistes, les
deux cosmogonies font presque le même effet, celui de faire du trapèze dans le noir,
au-dessus d’un gouffre.
Les rares armes dont disposent les héros ont des effets
incertains et s’avèrent dangereuses à manier. Lorsque Richleau tente « une chose qui ne doit jamais être
faite sauf dans les situations les plus désespérées les plus horribles, lorsque
l’âme est en grand danger d’être perdue. D’une voix claire et assurée, il
prononça les deux derniers versets de l’effroyable rituel Sussamma »,
les conséquences s’avèrent… compliquées.
Pourquoi
c’est maléficien
En fait, Les Vierges de
Satan se situe à mi-chemin entre Nyarlathotep et Lucifer. On y trouve une
mythologie unificatrice semi-chrétienne, qui n’aide pas les héros, mais se
connecte plus efficacement à des sorciers, des sabbats et des possédés
« traditionnels » qu’aux pieuvres cosmiques. Que l'on penche vers l'un ou l'autre jeu, on peut y trouver de quoi faire son miel.
Quant à s’en servir pour construire un scénario, il suffit de
jeter un coup d’œil en parallèle à la conclusion des Brasiers ne s’éteignent jamais et au chapitre 27 des Vierges de Satan pour se rendre compte
que c’est éminemment faisable.
Bilan
En plus d’être un roman distrayant, ce qui est l’essentiel, Les Vierges de Satan est une mine
d’idées pour rôlistes, qui offre à la fois un filon superficiel (les
péripéties) et un autre, plus profond (la doctrine ésotérique). Tous deux
méritent d’être exploités.
Bonus cinéma
En 1968, la Hammer s’est attaquée à ce roman. Vu l’ampleur des
coupes réalisées dans l’histoire, « attaqué » est le mot juste,
hélas. L’histoire est beaucoup plus resserrée, le jeu et les effets spéciaux
ont vieilli, mais le film reste tout à fait consommable. Il y a du beau
monde : Terrence « Dracula » Fisher à la mise en scène,
Christopher Lee dans le rôle du duc de Richleau… Quant à l’infâme sorcier noir,
il était joué par Charles Gray, l’un des Blofeld de James Bond.
Christopher Lee en duc de Richleau.
Un investigateur qui a de la classe.
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