Les Invisibles


Dans Bruno Sachs vs Martin Winckler vs Marc Zaffran, je parlais de la manière dont le médecin Marc Zaffra avait pris un pseudonyme (Martin Winckler) pour écrire à propos d'un médecin faussement fictif : Bruno Sachs. L'auteur a décidé de brouiller encore un peu plus les pistes avec la création d'un nouvel alter ego (enfin, pas si nouveau, c'est le troisième roman qui le prend pour protagoniste, mais le premier que je lis) : Charly Lhombre. Lui aussi vient de Tourmens, la ville inventée par Winckler pour raconter la vie de Bruno Sachs. Il y fait le médecin légiste à mi-temps et le médecin généraliste le reste du temps. Et puis un jour, il a envie d'aller voir ailleurs, et accepte une bourse de recherche en éthique médicale à Montréal. Le roman raconte les quatre premiers jours de son acclimatation au Québec. Comme c'est un thriller, je ne vais pas trop en dire, mais disons que ça tourne autour du thème de l'itinérance des autochtones en milieu urbain. Et donc de santé mentale, d'ostracisme et autres joyeusetés. Quand Charly Lhombre débarque, il y a plusieurs sans-abris qui ont été agressés ou qui sont morts dans la rue. Et il se rend compte que s'il a été accepté comme titulaire de la bourse en question, c'est pour vivre dans les traces d'une femme crie qui a été assassinée il y a quelques années.

Forcément, Martin Winckler étant un auteur que j'affectionne particulièrement, j'ai été doublement séduit par le pitch de ce roman, qui allie une thématique sociale très forte à une expérience de migrant que j'ai vécue de l'intérieur (même si je ne suis pas vraiment médecin). Lire comment Charly Lhombre découvre Montréal à la descente de l'avion m'a replongé dans mon propre exil volontaire, il y a 9 ans. C'est un peu des clichés (la ville qui vibre au son du hockey, la vie franchouillarde du ghetto français du Plateau...), mais quand on débarque, ce sont ces clichés-là qui vous sautent aux yeux. Non, ce que je reproche surtout à Charly Lhombre, c'est cette prétendue empathie naturelle qui fait que tous les personnages qu'ils croisent lui racontent leur vie et leurs petits secrets. En quatre jours, il reçoit plus de confessions intimes qu'un curé en un an. Alors, forcément, c'est super utile pour un héros de thriller, mais cet artifice scénaristique dilue énormément la crédibilité de cette histoire de faux semblants. Ce n'est franchement pas un bon thriller : les secrets y sont expédiés en deux coups de cuillère à pot. Il faut dire que le livre est court (275 pages), on a à peine le temps de comprendre la situation que l'intrigue est résolue. Et c'est bien dommage car une grande partie de ce qui m'avait attiré vers ce roman (la dimension sociale du problème de l'itinérance autochtone à Montréal) est à peine évoqué. C'est un vague prétexte pour expliquer un complot médical qui était presque de trop dans cette histoire. Car les qualités d'écriture de Martin Winckler sont là : des personnages attachants, le mal-être médical à fleur de peau, les allusions au cinéma... Mais je ne suis pas certain que le thriller soit un genre qui lui convienne. Parce qu'au final, on se retrouve avec un protagoniste central qui se fait draguer par trois nanas (on a l'impression que les Québécoises sont toutes des chaudasses prêtes à tout pour mettre le Français qui débarque dans leur lit), des intrigues de bureau de recherche (où les gens n'ont pas l'air de beaucoup bosser) et quelques images d'Épinal sur la dure vie dans la rue. C'est intéressant à lire car derrière le parcours de Charly Lhombre, on devine celui de Marc Zaffran, qui est véritablement venu travailler au Centre de Recherches en éthique à l'Université de Montréal entre 2009 et 2011, mais c'est un Winckler très superficiel. On y reconnait la patte de l'auteur, mais je préfère quand il n'essaye pas de m'épater avec des révélations de dernière minute. Et surtout pas avec cette montréalité de surface.

Commentaires