Résumons-nous : nous avons là un livret à
couverture souple, d’environ 140 pages, contenant cinq scénarios d’horreur
lovecraftienne. Où sont les logos Chaosium et Call of Cthulhu ?
Y en a pas.
No
Security commence par une préface
où l’auteur explique que « System
matters, mais en fait pas tant que ça ». Au terme d’une page d’un
raisonnement iconoclaste sur la place des règles en jeu de rôle, auquel j’adhère totalement,
il conclut : « et puis de toute façon, les accords de licence, ça
coûte trop cher ». On est page 3, et je trouve déjà ce Caleb Stokes sympathique.
Donc, vous êtes prévenus : ces cinq scénarios
sont livrés avec zéro mentions techniques et zéro caractéristiques. Au meneur
de jeu de se débrouiller pour les adapter au système qui le tente. Dans la
liste non limitative proposée dans la préface figurent tous les Cthulhus de la
création, GURPS, le Monde des
ténèbres, Savage World, Chill et Esoterrorists, entre autres, mais il ne faut pas se voiler la face,
à la rédaction, l’auteur se laisse parfois à parler d’investigateurs et de
santé mentale.
À première vue, l’absence de technique heurte le
paresseux qui sommeille en moi, mais, elle s’avère est extraordinairement
libératrice pour l’auteur. Caleb Stokes invente ses « monstres
lovecraftiens » à lui, plutôt que de se fournir au décrochez-moi-ça de M.
Petersen. Mieux, il gratte un peu autour de la structure de l’horreur
lovecraftienne, pour voir s’il n’y a pas moyen d’en tirer autre chose que des
sectateurs fous prosternés devant des cthulhus gélatineux. Eh bien, non
seulement il y a moyen, mais il en fait des choses excellentes !
Seconde bonne surprise, ces cinq scénarios
partagent tous la même structure : des explications pour le MJ, une mise
en place pour les joueurs et leurs personnages, puis une liste de lieux
numérotés, accompagnée d’un organigramme détaillant chaque lieu et chaque piste
qui s’y trouve avec les moyens de passer de l’une à l’autre. Cette
présentation, intelligemment pensée et fonctionnelle en diable, fait partie des
points forts du livret. Je ne lui trouve qu’un défaut : se repérer aux lieux
« écrase » un peu les PNJ. Je pinaille : un index des PNJ indiquant
où trouver qui suffit à résoudre le problème, et ce n’est pas ce qu’il y a de
plus compliqué à faire.
Troisième très bon point, l'arrière-plan historique. Les Années
folles ? Finies, place à la Dépression. L’Amérique a la gueule de bois. Les
banques coulent avec vos économies, le taux de chômage flirte avec les 50 %,
les bidonvilles fleurissent et des millions de gens sont prêts à s’entre-tuer
pour un repas chaud. Plus ou moins exploité d’un scénario à l’autre, cet
arrière-plan pèse sur les cinq histoires.
Passons à la revue de détail des scénarios :
• The Wives
of March se déroule parmi des planteurs de coton, du côté de Savannah, en
Géorgie. Qui tué le pasteur March, l’homme le plus aimé du canton, grâce auquel
personne n’est mort de faim ces dernières années ? L’enquête, longue et
raisonnablement compliquée, fleure bon le racisme, la sueur, la trouille et la
violence mal réprimée. À mon goût, il méritera un petit boulot d’émondage
dans les explications, mais cette petite faiblesse est compensée par quelques
scènes vraiment flippantes… et un vrai travail de description de monstre qui va
bien au-delà de l’habituel « c’est un furoncle à tentacules gros comme un
camion qui vous regarde avec de petits yeux méchants ».
• Bryson
Springs déplace la caméra vers l’Ouest. Nous sommes dans un bidonville
autour d’un verger d’oranges où plus rien ne pousse, parmi les réfugiés
climatiques venus d’Oklahoma. Une grosse dose de Raisins de la colère, une petite pointe d’ambiance western, du
sordide et du dérangeant… même limité à une douzaine de pages, l’ensemble est
de qualité.
• Revelations
nous envoie au nord, dans la petite ville de Toil. Les joueurs y incarnent des
policiers dont le principal boulot est d’empêcher les vagabonds de remettre en
cause le petit confort des citadins, lorsque soudain… Ce scénario est
difficilement racontable, et c’est la première fois depuis longtemps que je
regarde de l’horreur lovecraftienne avec de gros yeux étonnés : c’est la
plus belle variation sur le thème du livre maudit qu’il m’ait été donné de
voir. Petit point faible, ce scénario paraît compliqué à mettre en scène, avec
pour principal défaut une montée en puissance si rapide que les joueurs ne
verront pas tout. Et ça, c’est vraiment dommage.
• The
Red Tower prend comme décor Chicago juste après la chute d’Al Capone. On y
croise des gangsters, des agents fédéraux, des ouvriers syndiqués prêts à en
découdre avec des socialistes révolutionnaires, des gamins des rues, des tueurs
aux abattoirs dotés de mauvaises habitudes… Le résultat est un scénario court, plutôt
orienté gore, dont le plus gros
défaut est de reposer sur un gigantesque « Ta Gueule C’est Magique » –
mais en même temps, il est assumé, intégré à l’histoire et les PNJ réagissent
de manière sensée lorsqu’ils le découvrent…
• Enfin, The
Fall Without End est un autre scénario court, où les personnages tentent de
conquérir le mont McKinley, en Alaska. La Dépression passe à l’arrière-plan
pour laisser la place à la pure survie. Refaire Premier de cordée en scénario d’horreur est une excellente idée,
mais qui soulève des problèmes inédits. Comment gérer un scénario compétitif,
où chaque investigateur est à la tête de son équipe et veut arriver avant les
autres ? Comment s’arranger d’un environnement vertical, où la moindre
maladresse risque de vous tuer ? Le scénario esquisse des réponses, la
principale étant une variation perverse sur le thème de « deux personnages
par joueur », mais il reste du boulot pour y injecter juste la bonne dose
de technique.
Sur le plan de la forme, No Security est du Kickstarter à petits moyens : du texte
bicolonné en drapeau, peu d’illustration, pas de portraits de PNJ et très peu
de documents à montrer aux joueurs. Si vous achetez pour avoir des trucs jolis
sur vos étagères ou pour éblouir votre public avec des photos d’époque, No Security n’est pas pour vous. Quant à
sa disponibilité, Amazon en fabrique à la demande, et comme c’est imprimé en
Grande-Bretagne, son prix est raisonnable.
Je le conseille rien que pour The Wives of March et son approche originale de l’horreur
lovecraftienne. La structure des scénarios mérite également d’être étudiée.
Quant à l’absence de caractéristiques, ce peut être un point fort ou une
faiblesse, selon votre manière de jouer. Quoi qu’il en soit, je vais garder ce
M. Stokes à l’œil !
Merci pour cette chronique. Ca fait super envie ! On peut se le procurer comment ? Seulement sur amazon ?
RépondreSupprimerA priori oui, mais à 12 € et une poussière, c'est largement moins cher que de commander aux US
RépondreSupprimerVendu !
RépondreSupprimerÇa donne bien envie de jeter un coup d'œil, merci.
RépondreSupprimerSi jamais, je viens de voir que Revelations, The Fall Without End, The Red Tower et The Wives of March sont en "paie ce que tu veux" sur drivethru.