En 1991, Horror
on the Orient Express était une campagne de treize scénarios en 250 pages.
Un quart de siècle plus tard, ses dix-neuf scénarios totalisent… plus de 800
pages. Une visite guidée s’impose, et à campagne géante, critique
assortie !
Trio d’avertissements
• Ce billet a été rédigé à partir de pdf non finaux de la version anglaise. Toutefois, la version finale, qui n’est pas encore sortie aux États-Unis, ne devrait pas être trop différente. Quant à la version française de Sans-Détour, sans changer sur le fond, elle devrait bénéficier des habituels « plus » graphiques qui font baver les Américains quand ils voient des photos de la gamme française.
• Je n’ai pas eu entre les mains le dernier livret, Strangers on the Train, qui présente des PNJ à introduire pendant les trajets, mais il semble qu’il soit identique à celui de la première édition. Je n’ai pas non plus vu le Guide du voyageur, une aide de jeu géante qui présente les villes desservies par l’Orient express.
• Critiquer une campagne est un exercice délicat. Trop en dire gâche des surprises. Un flou prudent laisse le lecteur dans le brouillard. J’ai essayé d’en dire ni trop, ni trop peu.
Point de départ
À sa sortie en 1991, Horror on the Orient Express a reçu
l’Origin Awards de la meilleure aventure. C’était sans doute un gage de qualité
à l’époque, mais qui se souvient du gagnant de 1990 ou de 1992 ? Non, il y
a plus important : elle a passé l’épreuve du temps.
Le jeu de rôle est un loisir
jeune, à la production abondante, destiné à un public qui aime la nouveauté.
Une très grande part de ce qui est publié une année est oublié cinq ans plus
tard. Les produits survivent plus de vingt ans sont rares.
Or, cette campagne a duré,
bien au-delà de la « vie » normale d’un supplément de jeu de rôle. Les
collectionneurs la recherchaient, des comptes rendus de partie fleurissaient
sur Internet… et lorsque Chaosium a lancé une campagne de financement
participatif pour la rééditer, l’éditeur a reçu… 1 000 % de la somme
demandée, ce qui a conduit à la naissance de cette seconde édition revue et
(très) amplifiée.
À titre personnel – mais il
semble que je ne sois pas tout à fait le seul – je la place dans le trio des
« campagnes mythiques » de L’Appel
de Cthulhu, aux côtés des Masques de
Nyarlathotep et de Par-delà les
Montagnes hallucinées. Toutes trois développent des projets ambitieux,
celui de Terror on the Orient Express
étant d’être une « grande campagne européenne ». Toutes trois sortent
en partie du cadre « standard » d’un scénario cthulhien. Et toutes
trois ont des qualités et des faiblesses hors normes.
De quoi est-il
question ?
Tout commence à Londres,
début 1923. À la requête de l’habituel Ami Qui A Eu Des Problèmes™, les
investigateurs se lancent à la recherche des fragments du Simulacre de
Sedefkar, une statue antique et, comme il se doit, maudite. Ils découvrent vite
qu’ils ne sont pas les seuls à courir après, et s’engagent dans une course à
travers l’Europe…
Excursions dans le temps
Le premier Horror on the Orient express était
fermement ancré dans les années 20. Cette nouvelle mouture assume une
ambition : être la première campagne à utiliser tous les décors de jeu publiés pour L’Appel de Cthulhu. La trame principale s’enrichit donc d’un
scénario victorien, un contemporain, un dans les Contrées du rêve, un médiéval
inspiré de Cthulhu Dark Ages et un
romain inspiré de Cthulhu Invictus[1].
Comment ces épisodes
historiques sont-ils introduits dans la trame principale ? Comme de
coutume, les investigateurs des années 20 trouvent des manuscrits. Lorsqu’ils
les lisent, au lieu de recevoir l’habituelle aide de jeu rédigée dans une
police de caractères qui fait mal aux yeux, le Gardien des arcanes leur
distribue des prétirés, et c’est parti pour une aventure dans le
passé ! J’aime beaucoup d’idée, et à mon avis, ce concept « d’aide de
jeu scénarisé » est promis à un grand avenir.
Les quarante-quatre mains de
Mr Gillian
Un éditeur qui veut produire
une campagne a, en gros, deux solutions :
1) Confier le projet à une ou
deux personnes qui vont bosser dans leur coin pendant des mois ou des années
avant de rendre une création plus ou moins réussie, mais cohérente. Larry
DiTillio, pour Les Masques de
Nyarlathotep, et les Egan pour Par-delà
les Montagnes hallucinées, sont d’excellents représentants de cette
approche.
2) Laisser agir un maître
d’œuvre qui fonctionnera comme le chef d’orchestre d’un groupe d’auteurs. Tout
va plus vite, mais le manuscrit risque de présenter de grosses variations de
ton et d’ambiance. C’était le principal problème du premier Terreur sur l’Orient express :
Geoff Gillian avait autour de lui une équipe brillante et créative, mais toutes
les pièces n’étaient pas tombées en place. Certains scénarios, comme l’épisode
milanais, souffraient d’un sérieux manque d’espace. D’autres, comme Belgrade,
paraissaient décalés par rapport au reste.
L’un des enjeux de cette
deuxième version était donc d’unifier tout ça. Les vingt-deux auteurs de cette
seconde édition s’y sont employés. Dans l’ensemble, le pari est gagné : cette
nouvelle mouture est beaucoup plus homogène. Quant aux problèmes d’espace, il
n’y a qu’à regarder les bouquins pour réaliser qu’ils ne se posent plus
tellement.
E pericoloso sporgersi
En traduction libre « faut
pas se pencher… surtout si c’est pour regarder la machine ». Le premier Horror on the Orient Express souffrait
de deux grosses faiblesses structurelles. Les aménagements de cette deuxième
édition les masquent en partie, sans complètement les annuler :
1) C’est une course aux
objets. Les investigateurs galopent de ville en ville sur la foi d’indices
incertains pour récupérer les morceaux d’un bidule aussi magique que dangereux.
Au bout d’un moment, l’exercice peut lasser.
2) Plus préoccupant, le tout
premier scénario posait – et pose toujours – une mine qui explosera au nez des investigateurs
lorsque le groupe arrivera à Constantinople. Elle a beau être nécessaire pour
la suite, certains groupes l’encaissent mal. Cette édition comporte une fin
alternative qui la désamorce en terminant l’action à Constantinople, mais si
elle est utilisée, il faut renoncer à jouer les deux derniers scénarios… or
l’un des deux est excellent.
La structure du convoi
Horror on the Orient express
suit la courbe de progression dramatique d’un gros scénario. En 1991, c’était
original, aujourd’hui, c’est une caractéristique qu’elle partage avec Par-delà les Montagnes hallucinées.
Pendant les premiers épisodes, les investigateurs voyagent tranquillement de
ville en ville, font des recherches en bibliothèque et affrontent des menaces gérables. Les montées en tension sont
suivies de moments de calme, et les vrais adversaires restent à l’arrière-plan.
Un crescendo brutal commence à Trieste, avec de fortes chances pour que seule
une petite poignée de survivants traumatisés arrive à Constantinople… où de nouvelles
horreurs les attendent.
En jeu, cela donne un
ressenti bien différent d’une campagne comme Les Masques de Nyarlathotep, où les menaces sont de force
comparable chapitre après chapitre.
Comptons les voitures
Tant que nous sommes dans les
comparaisons : une partie de la réputation des Masques de Nyarlathotep repose sur sa souplesse, avec des investigateurs qui peuvent enchaîner les
scénarios à leur guise. Horror on the
Orient express n’est pas souple, mais elle est modulaire.
Ses dix-neuf scénarios sont
clairement divisés entre « obligatoires » et
« optionnels ». Au Gardien des arcanes de piocher parmi ses derniers
pour composer sa version de la
campagne en fonction de ses attentes, de celles de son groupe et du temps dont
il dispose. Du coup, aucun groupe ne jouera tout à fait la même chose.
• Dans sa version
condensée, avec uniquement les scénarios obligatoires et la fin alternative, la
campagne compte neuf scénarios : Londres, Paris, Lausanne, Milan, Venise,
Trieste, Belgrade, Sofia et Constantinople. Tous sont jouables en une ou deux
séances, ce qui fait une campagne… presque courte, en tout cas jouable par un
groupe normalement motivé.
• Si vous utilisez la
fin classique (et recommandée), le chapitre de Constantinople n’est qu’une
étape. Les investigateurs doivent encore survivre à deux scénarios.
• Deux scénarios
figurant dans la campagne d’origine sont maintenant « officiellement
optionnels » : The Doom Train,
à Londres, et l’excursion à Zagreb. Si vous les faites jouer avec la fin classique,
vous retrouvez les treize scénarios de la campagne d’origine. L’ensemble
représente déjà un temps de jeu substantiel.
Six nouveaux scénarios, tous
optionnels, viennent s’accrocher à ce premier train.
• Si vous souhaitez
prolonger l’action principale, celle des années 20, un nouveau scénario attend
les investigateurs à Vinkovci, en Croatie. Une campagne « purement années
20 » peut donc compter entre neuf et quatorze scénarios, selon vos envies.
• Toutefois, l’épisode
de Vinkovci ne prend tout son relief que si le scénario médiéval a été joué, et
sert de point de départ au scénario romain. Sans que ce soit jamais clairement
dit, ces trois scénarios forment une « campagne dans la campagne »,
aux enjeux un peu différents de son axe principal.
Les trois derniers scénarios
sont, disons, plus « optionnels ».
• L’épisode victorien,
presque une petite campagne à lui tout seul, peut être joué en prologue à
l’action principale, ou en « aide de jeu scénarisée » assez tôt dans
l’histoire. Bien amené, il permet surtout de consolider certains aspects un peu
faibles du lancement de la campagne.
• L’épilogue moderne est
un petit film gore cruel à souhait. Joué
quelques mois après la fin de la campagne proprement dite, il doit faire son
petit effet… et permettre aux drogués des chemins de fer de décrocher en
douceur.
• Enfin, reste le cas très
particulier de l’épisode dans les Contrées du rêve. Là encore, c’est plus une
mini-campagne qu’un scénario. Il a beau être enthousiasmant à la lecture, son
insertion en jeu pose de redoutables difficultés logistiques. En gros, le faire
jouer pendant l’action principale revient à mener deux campagnes en parallèle.
Tout le monde n’en est pas capable[2].
⇒ Coup de
projecteur sur : Sanguis Omnia
Vincet, le scénario historique romain. Moins bourrin que son pendant
médiéval, il comporte quand même quelques scènes d’action peu habituelles dans L’Appel de Cthulhu, notamment une grosse
bataille contre une horde de saletés qui donnent l’impression de sortir d’Evil Dead 3. La nuit tombe ! Vite,
tout le monde sur les remparts, ils
arrivent !
« Optionnel » ou « inutile » ?
Ce qui est précieux pour les uns étant sans intérêt pour les autres, la réponse à cette question est très subjective. Tous les scénarios optionnels ont une raison d’être là, mais elle ne sera pas forcément en phase avec ce que vous voulez faire de la campagne. J’ai tendance à penser que les plus intéressants sont les trois scénarios historiques (romain, médiéval et victorien), qui donnent des informations sur l’arrière-plan de la campagne. L’inclusion de ces deux derniers chapitres induit celle du scénario de Vinkovci. Je suis moins client pour The Doom Train, par exemple, et j’ai déjà évoqué les difficultés que me pose le scénario dans les Contrées du rêve.
Un coup d’œil aux anciens
wagons
Les treize scénarios
d’origine se ressemblent toujours, mais ils ont été réorganisés. Finies les
longues colonnes de texte, les intertitres sont plus nombreux et le lecteur se
repère mieux. La réécriture est à la fois discrète et sensible. Une phrase en
plus pour clarifier une transition, ce n’est pas grand-chose, mais à force, on
gagne en confort de lecture.
Les changements sont loin
d’être seulement cosmétiques. Quand on fait l’effort de regarder les deux
éditions en parallèle, on découvre des paragraphes de contexte en plus, des PNJ
supplémentaires, des aides de jeu, des morceaux d’enquête ou des événements,
des conseils de mise en scène… La volonté d’identifier et de corriger les
points faibles des scénarios d’origine est patente, mais surtout, on sent qu’il
y a du vécu – et des heures de jeu – derrière chaque décision.
Les joueurs vont avoir
davantage de boulot : ils ont moins de billes au départ et vont donc
passer davantage de temps en recherches. Paris et Venise, notamment, vont
absorber un plus gros budget « tests de Bibliothèque ».
Plus les investigateurs
avancent vers l’est, plus les modifications sont sensibles. Londres et Paris
ont à peine bougé et Lausanne pas du tout. Milan gagne un petit bout d’enquête
qui donne (enfin) quelque chose à faire au groupe. Venise subit une refonte
subtile, mais importante. Belgrade change peu en surface, mais la nature et les
motivations des PNJ sont entièrement revues. Sofia gagne de nouveaux épisodes
et de copieux conseils de mise en scène (c’était l’épisode le plus meurtrier de
la première édition… et il est encore pire maintenant).
⇒ Coup de projecteur sur : Zagreb, un scénario optionnel. Les joueurs de la première version ont tendance à le
détester pour son démarrage « forcé » et son absence de liens avec la
trame principale. Il n’a pas bougé sur le fond… mais les documents que l’on y
découvre ont désormais un rapport avec l’intrigue. Intéressante leçon de choses
sur « comment changer la perception d’un scénario en modifiant une dizaine
de paragraphes ».
Ça en fait, de la
lecture !
Oui, et ce n’est pas tout. La
campagne propose une documentation abondante sur l’Orient express, mais de
nombreux à-côtés restent à explorer. Un Gardien des arcanes désireux de se
préparer à toutes les éventualités peut, entre autres, se pencher sur l’histoire
d’un certain asile de fous, lire un roman de Huysmans, écouter un opéra de
Verdi, se documenter sur la Quatrième croisade et la chute de Constantinople,
étudier l’organisation des légions au début du IVe siècle ou le
terrorisme dans les Balkans des années 20[3].
Il peut aussi ne rien faire
de tout ça, et en toute bonne conscience, parce qu’il en va d’Horror on the Orient express comme de
toutes les campagnes ambitieuses : plus vous vous investissez dedans, plus
vous aurez de retours… jusqu’à un point, qui dépend des groupes, à partir
duquel vous aurez des retours négatifs. Les conférences, ça va bien cinq
minutes, mais après, ça lasse les joueurs. Sachez doser votre effort !
Gardien, vous n’êtes pas
seul !
Horror on the Orient Express
donne parfois l’impression qu’il suffit de la lire à haute voix pour la
maîtriser. Or, c’est un gros animal rétif, qui ne se laisse pas maîtriser comme ça.
Dans sa rédaction initiale,
la campagne tenait assez peu compte des choix des joueurs, donnant une
impression très directive à la lecture et obligeant le Gardien des arcanes à
improviser à l’instant où les joueurs voulaient sortir des rails – ce qui, face
à un Gardien inexpérimenté, s’avérait dangereux… et justifie en grande partie
sa réputation de « campagne dirigiste ».
Cette seconde édition
comporte des quantités de petits avertissements au Gardien sur le thème
« là, vous risquez de dérailler si… », avec des suggestions de solutions.
Cela va de points mineurs à l’intérieur d’un scénario à des complications plus
importantes, la plus spectaculaire étant « et si les joueurs décident de
laisser tomber le train et de prendre l’avion ? » C’est sécurisant.
Cependant, deux éléments
continuent à échapper en grande partie au contrôle du meneur de jeu. Improviser
n’a rien de sale, c’est même une gymnastique mentale tout à fait saine… mais il
vaut mieux être averti le plus tôt possible.
• Ce sont les joueurs qui
décident où ils vont. Leur trajet est balisé, mais rien n’empêche un groupe de
décider, par exemple, d’aller à Lausanne après Milan, même si cela les fait
revenir sur leurs pas. Cela change peu de chose sur le fond… mais dynamite une
paire de transitions longuement décrites dans le texte.
• Ce sont les joueurs
qui maîtrisent la logistique, et celle-ci est plus compliquée que d’habitude.
De scénario en scénario, leurs malles vont se remplir d’objets encombrants, faciles
à voler et convoités par une foule d’individus malsains… Faut-il continuer à
les traîner avec soi, ou les mettre à l’abri, et si oui, où ? Le texte
invite très clairement les Gardiens à écouter les solutions des joueurs et à
embrayer dessus.
Enfin, deux éléments risquent
de modifier la continuité instaurée par le texte, sans que personne n’y puisse
rien : la mort et la folie. Cette campagne est meurtrière[4] !
Les décès et l’arrivée des investigateurs de remplacement risquent de modifier
le timing initial, d’imposer des séjours plus longs dans certaines villes, et
ainsi de suite…
Quand le type en face dit
« j’aurai ta peau ! », il
le pense
La plupart des scénarios de L’Appel de Cthulhu sont de l’horreur
« propre ». À la fin d’une enquête plus ou moins compliquée où est
intervenu au moins un livre poussiéreux, les investigateurs balancent un bâton
de dynamite dans une cuve où vit un tas de morve tentaculaire. Après quoi, ils
rentrent chez eux prendre un thé ou un whisky, selon leur tempérament.
Horror on the Orient express
joue sur des ressorts plus… intimes. Les monstres sont rares. Les adversaires
des investigateurs sont rarement des sorciers très compétents, sauf dans des
domaines spécialisés et inhabituels. En revanche, ils n’ont pas de problèmes à
tuer, mutiler et torturer. Comment vous sentez-vous à l’idée d’un encadré
expliquant la manière la plus simple de dépecer un humain ? Et en combien
de temps, parce que le timing est important ?
Si cette idée vous met mal à l’aise, cette campagne n’est pas faite pour vous.
D’un autre côté, si aimez
Clive Barker, les films gore et les
monstres qui essayent de vous étrangler avec leurs intestins – ou pire, avec
les vôtres – vous vous sentirez comme chez vous !
Conséquence intéressante de
ce choix narratif, Horror on the Orient
Express est la moins axée « mythe de Cthulhu » des grandes
campagnes de Chaosium, au point d’en devenir une sorte d’anti-Par-delà les Montagnes hallucinées. Oh,
bien sûr, on apprend au détour d’une phrase que le dieu maléfique de service
est un avatar de Nyarlathotep, mais c’est tout, et sa mythologie fonctionne en
vase clos. Seuls deux scénarios font appel à des créatures reconnaissables par
des joueurs chevronnés… et encore.
Luxe, volupté… et morts
horribles
Le luxe est l’un des éléments clés d’Horror on the Orient Express. Telle qu’elle est rédigée, les
investigateurs voyagent dans un cinq-étoiles ferroviaire et descendent dans des
palaces. Même si les investigateurs préfèrent la jouer profil bas, prendre des
tortillards et installer leurs quartiers généraux dans des hôtels miteux, leurs
recherches les entraînent dans quelques-unes des plus belles villes d’Europe.
La combinaison de ce niveau
de confort inhabituel et d’un surnaturel
plus sale que de coutume s’avère détonante, et donne une grande part de son
cachet à la campagne.
Le saviez-vous ?
• Terreur sur l’Orient express est l’une des rares campagnes de jeu de rôle à disposer d’une bande originale, signée Alex Otterlei.
• Encore plus étrange, les anglophones peuvent en lire… une version romancée, The Express Diaries, un compte rendu de deux cent cinquante pages paru il y a quelques années chez Innsmouth House Press.
Horror on the Orient Express
ou Terreur sur l’Europe ?
En dépit de son titre, cette
campagne ne se passe pas à bord de
l’Orient express. L’action suit l’itinéraire du train, les scènes de lancement
ou de conclusion de certains chapitres y sont situées, mais il n’est pas au
cœur de l’histoire. Dans la campagne originale, un seul scénario s’y déroulait,
le trajet de retour depuis Constantinople, et cette seconde édition offre les
moyens de le contourner complètement. (Les amateurs de huis clos seront heureux
d’apprendre que les scénarios situés en 1893 et 2013 comportent tous
deux de longs segments à bord de l’express. Quant à celui dans les Contrées du
rêve, il se déroule entièrement dans… euh, une sorte de train.)
Malgré tout, l’expérience
montre que, bien mis en scène, l’express devient quand même un élément central
de la campagne. Avec sa routine rassurante, son personnel et ses autres
passagers, il offre des interludes reposants entre chaque horreur – jusqu’au
moment où l’horreur s’invite à bord, bien sûr.
Dès la première version, les
Gardiens des arcanes étaient invités à improviser leurs propres scènes de
train… et y étaient encouragés par un livret entier de PNJ « hors
campagne » présentés en appendices. Là encore, un Gardien motivé trouvera
de considérables marges d’improvisation.
« Pour qui celle-là ? »
Pour caractériser les trois grosses campagnes disponibles chez Sans-Détour en quelques mots :
• Les Masques de Nyarlathotep : Exotisme et action, enquête complexe, cultes sanguinaires, Indiana Jones revu par Robert Howard.
• Par-delà les Montagnes hallucinées : Exploration polaire, progression lente, monstruosités préhumaines, horreur lovecratienne.
• Terreur sur l’Orient express : Luxe, dépaysement, excursions à d’autres époques, horreur sanglante et (un poil) malsaine.
Terminus !
Il y aurait encore beaucoup à
dire, mais il faut bien conclure. Que retenir de la balade ?
Personnellement, j’en tire
quatre enseignements.
1) Un gros travail a été fait
sur l’ancienne campagne. Les scénarios les plus faibles ont été reconstruits.
Ils sont objectivement meilleurs, et le Gardien a davantage d’outils pour
masquer les faiblesses qui subsistent.
2) Les nouveaux scénarios
sont pour la plupart bons ou très bons, mais ils sont nombreux, et en moyenne plus longs que les anciens. L’ensemble
représente un investissement en temps qui oscille entre le raisonnable et le
gigantesque, selon votre style de jeu.
3) Cette campagne est
largement « à la carte », ce qui impose un premier travail
préparatoire en amont. Le Gardien n’a pas besoin de programmer tout son déroulement à l’avance, mais il
devra faire un premier tri dans les scénarios optionnels avant de se lancer.
4) Elle n’est pas plus
« plug & play » que Par-delà
les Montagnes hallucinées, et contrairement à cette dernière campagne, vous
devez vous attendre à ce que les joueurs prennent des décisions qui influeront
sur son déroulement. Essayer de les bloquer serait une erreur, vous aurez donc
besoin d’improviser.
Sur ces bases, mon avis est
simple : Horror on the Orient Express
reste l’une de ces « campagnes mythiques » dont les rôlistes parlent
encore des années après, mais elle a les défauts de toutes ces bêtes-là :
pour en tirer tout le suc, vous devez avoir les reins solides, un groupe motivé
et du temps à revendre.
[1] « Inspirés de » parce que Dark Ages est situé vers l’an Mille et Invictus vers 50 après J.-C., alors que
ces deux scénarios se déroulent respectivement en 1204 et en 330…
[2] Ma solution serait de l’amorcer plus tard dans la
campagne, peut-être en Europe centrale, et le réserver pour après la fin de
l’action principale. Mais ce n’est que ma solution, chacun trouvera la sienne.
[3] Les Comitadjis,
d’Albert Londres, donne une bonne base sur ce dernier sujet, plus une
description de la vie politique locale que vous trouverez hilarante ou navrante,
selon votre état de déprime.
[4] Meurtrière comme dans « mais qui a laissé
traîner des grenades et une mitrailleuse à portée de main des sectateurs
? »
A cause de toi je l'ai commandée en VF. Tu me donnes ton adresse, que je t'envoie la facture ?
RépondreSupprimerJe ne suis pas responsable du manque de volonté de mes lecteurs. Heureusement, parce qj'après un quart de siècle de critiques, l'addition serait salée.
RépondreSupprimerVraiment génial ce tour d´horizon de la campagne. L´analyse technique, mais aussi les rappels sur l´arrière-plan, j´ai trouvé l´article exceptionnel de bout en bout. Merci.
RépondreSupprimerChaosium a fini par lâcher les pdf finaux. Par rapport à ce que je dis dans le texte, une correction : Strangers on the train contient douze personnages de plus que dans l'édition de 1991, tous orientés "investigateurs de rechange". Six d'entre eux sont les héros de The Express Diaries, six sont nouveaux.
RépondreSupprimerQuant au Guide du voyageur, c'est un micro-guide de voyage, destiné à donner aux gentils joueurs un plan de chaque ville desservie par l'Orient express avec des informations touristiques et hôtelières de base. Utile sans être bouleversant. (J'espère que la vf corrigera les bourdes sur Paris, qui piquent les yeux...)
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