Carnacki et les fantômes, de William H. Hodgson (1913)

Épisode 31


Numéro 44 de la collection « Fantastique / SF / Aventure », 1982.





En deux mots

Carnacki occupe un appartement-laboratoire dans un quartier élégant de Londres. Sa seule activité définie semble être d’intervenir dans des histoires de hantises. De temps à autre, il invite ses amis à dîner. Le repas terminé, tout le monde passe au salon, allume un cigare, et il raconte sa dernière aventure…

Carnacki est presque une abstraction : il n’est jamais décrit, et en dehors du fait qu’il fume la pipe, il n’a pratiquement pas de particularités. La seule émotion qu’il ressente au cours de ses aventures est la peur, sous toutes ses formes. Bref, à côté de lui, Sherlock Holmes est une création complexe et nuancée.

Il n’en est pas moins important dans l’histoire du fantastique : avec ce personnage, créé pour honorer la commande d’un magazine, Hodgson inaugure la longue liste des enquêteurs du surnaturel qui peuple la littérature du XXe siècle.

Ce recueil rassemble sept des neuf nouvelles qu’Hodgson a consacrées à ses aventures. 

Soit dit en passant, Carnacki est un cas de personnage survivant à son créateur. Hodgson est mort en 1918, mais Carnacki continue ses aventures sous la plume d’autres auteurs, se faisant parfois annexer au mythe de Cthulhu, parfois au canon sherlockien, parfois aux deux, pour le pire ou l’à peine moins pire… Vous pouvez en toute bonne conscience vous limiter aux neuf histoires d'origine (une version intégrale est disponible chez Terres de Brume).


Pourquoi c’est bien

Les aventures de Carnacki présentent plusieurs originalités qui ont assuré sa place dans les classiques de la littérature fantastique.

Hodgson refuse les conventions de son époque. Ses phénomènes ne sont pas de braves fantômes venus transmettre un dernier message à leurs héritiers. Ce sont des forces ou des émanations d’un au-delà aussi redoutable qu’incompréhensible. L’un des aspects les plus intéressants de ces histoires reste l’explication – ou la non-explication – donnée par Carnacki à la fin. Généralement, elle tourne autour du « je ne sais pas ce que j’ai affronté, mais je suppose que… »

Carnacki est un cas, exceptionnel en 1910 et peu courant par la suite, de fantastique scientiste. Il s’efforce d’analyser les entités qu’il affronte en termes compréhensibles pour ses auditeurs, et lors de ses fameuses explications finales, ses analogies préférées sont à base d’ondes et d’électricité – des lieux et des personnes sont « mal isolés » et s’avèrent « conducteurs ».

Conséquence logique de cette approche, les histoires de Carnacki relèvent aussi du fantastique technologique. Carnacki affronte le surnaturel armé de toute une palette d’accessoires modernes : microphones et appareils photo, mais aussi un « pentacle électrique », sans oublier le « spectre chromatique », des cercles de tubes à vide colorés qui lui permettent de jouer sur les propriétés des couleurs pour moduler ses défenses. Comme de coutume dans ce genre de fantastique, tout ce matériel fonctionne plus ou moins, et le lecteur ne tarde pas à se demander « et pourquoi est-ce que ça va le lâcher, cette fois ? »

En contrepoint à ces deux particularités, ces histoires sont aussi un ultime avatar du fantastique victorien. Hodgson écrit juste avant la Grande Guerre, et à le lire, on sent bien que la technologie de la Belle époque a progressé plus vite que les mœurs…

Enfin, les hantises qu’affrontent Carnacki sont variées. Hodgson joue sur tous les registres, du « faux fantastique » tendance Scoubidou au fantastique cosmique à grand spectacle (dans Le Verrat). Entre les deux, il glisse des histoires mixtes, où les phénomènes sont en partie dus à de mauvais plaisants, sans oublier, bien sûr, une solide dose de récits purement fantastiques.


Pourquoi c’est lovecraftien

« Les monstruosités du Cercle extérieur sont hostiles à tout ce que nous considérons comme désirable (…) Elles sont prédatrices (…) Elles nourrissent des desseins à notre égard qui sont incroyablement plus terribles pour notre esprit que le seraient pour celui d’un mouton intelligent nos désirs en ce qui concerne sa carcasse. »

Ce passage se trouve dans Le Verrat, la plus longue des sept nouvelles. Carnacki y affronte un monstre dont la vue rend fou ou pire… Un monstre, qui, à en croire certains manuscrits, régnait sur le monde au commencement et retrouvera toute sa puissance à la fin des temps. En dehors du fait que l’esprit humain le perçoit comme un indicible cochon plutôt que comme un fruit de mer qui a mal tourné, le Verrat serait tout à fait à sa place dans le corpus lovecraftien.

Hodgson manie le fantastique cosmique avec facilité, mais il reste une différence importante avec Lovecraft – Hodgson a eu beau évacuer la question du bien et du mal, des puissances favorables à l’humanité donnent parfois un (discret) coup de pouce à Carnacki. Les personnages de Lovecraft font face un cosmos indifférent. Carnacki risque sa vie et son âme, mais il n’est pas complètement seul.


Qu’en pensait Lovecraft ?

Plutôt du mal :

« Plusieurs nouvelles un peu longues (…) de qualité nettement inférieure à celle des autres livres [de Hodgson]. On y trouve un personnage plus ou moins conventionnel de « détective infaillible » – un descendant de M. Dupin et de Sherlock Holmes, et un proche parent du John Silence d’Algernon Blackwood – qui évolue à travers des scènes et des péripéties gravement compromises par une atmosphère « d’occultisme » professionnel. Quelques épisodes, cependant, sont d’une puissance indéniable. »

— Épouvante et surnaturel en littérature


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Ça l’est assez peu, en fait.

Carnacki est un solitaire, alors que les investigateurs chassent généralement en meute.

En plus de son matériel technologique, Carnacki dispose de solides connaissances occultes. Rien de tout cela n’est l’apanage des investigateurs, d’habitude.

Surtout, Carnacki s’intéresse peu aux racines d’un phénomène, alors que la majorité des scénarios de L’Appel de Cthulhu envoie les investigateurs fouiller dans le passé pour mieux comprendre le présent. Par contraste, Hodgson va droit au but, limite les lieux et la description des personnages secondaires au minimum. Il se concentre plutôt sur la manière dont Carnacki cerne les phénomènes paranormaux, puis les combat – mettre la pièce suspecte sous scellés, sonder les murs et le sol, tendre des fils ici et là pour s’assurer qu’aucun intrus n’entre par un passage secret – bref, tout le nécessaire pour nous convaincre qu’il connaît son métier.

Affrontant un surnaturel trop flou pour être entièrement cthulhien, employant des méthodes trop scientifiques pour Maléfices et trop solitaire pour Chill, Carnacki est difficile à réduire aux canons du jeu de rôle d’horreur.


Bilan

L’ensemble des histoires de Carnacki restent un classique mineur du fantastique britannique. Sur les sept nouvelles de ce recueil, deux sont réellement marquantes à mon goût : La chambre qui sifflait et Le Verrat.

Commentaires

  1. Ben moi j'aime beaucoup ces histoires, mais comme je n'aime pas Lovecraft, je suppose que ceci explique cela.

    Il me semble que l'intégrale existe aussi en poche, éditions 10/18.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire