Épisode 32
Numéro 43 de la
collection « Fantastique / SF / Aventure », 1982.
En deux mots
Il est toujours plus facile
de parler des romans que des recueils de nouvelles. Les premiers vous donnent
une narration à laquelle accrocher votre compte rendu, les seconds sont
multiples et souvent insaisissables.
Cette incarnation d’Histoires maléfiques compte douze
nouvelles (mais on trouve chez d’autres éditeurs des versions qui en comportent
plus, ou moins). Certaines sont de brèves vignettes de quelques paragraphes,
d’autres frôlent les quarante pages.
Passé ce constat
purement formel, que dire ?
Claude Seignolle y
reprend les classiques du fantastique – fantômes, vampire, réincarnation, pacte
avec le Diable – et les projette dans le Paris « contemporain »,
celui du début des années 60 ou de la fin des années 50. Difficile de le situer
plus précisément, la seule chose sûre est que Rungis n’avait pas encore
assassiné les Halles.
Il va de soi que ces
variations sur des thèmes connus ne se font pas sur le mode « j’ai une
formule toute faite et je l’applique », ou en tout cas, elles n’en donnent
pas l’impression. Au contraire, ce recueil paraît avoir poussé comme une plante
toxique, entre deux pavés, dans une ruelle brumeuse.
Le lecteur se balade donc
dans le quartier des Halles, avec ses petites rues sordides où officient des
prostituées (Pauvre Sonia ! et l’abominable
Petit monstre à louer au quart d’heure).
Près de la place des Vosges, il découvre le sort funeste d’un riche oisif (Le Bahut noir). Il aperçoit
d’inquiétantes activités place de Grève (L’exécution).
Il se promène parmi les artistes du Quartier latin (Le Chupador). Il voit crouler d’étranges vieilles maisons, parce
que leur heure a sonné (Le millième
cierge) ou parce que les promoteurs en ont décidé ainsi (Delphine)…
Et quand notre lecteur
sort de Paris ? Il se balade dans les plaines de Champagne, où il fait de
mauvaises rencontres (Les Âmes aigries et
Le Faucheur). Ces deux nouvelles ne
pèsent pas lourd face aux récits de la capitale, à peine une dizaine de pages à
elles deux, mais le recueil compte un autre récit « hors Paris », Ce que me raconta Jacob, dont il sera
question un peu plus bas.
Pour l’heure, revenons
à Paris, qui est un personnage à part entière des Histoires maléfiques : une ville-monde où les itinéraires
balisés dérapent parfois dans l’Ailleurs, à la faveur d’un soir de brouillard
ou d’une simple rencontre, un décor que l’on peut écarter, en un instant de
curiosité, pour découvrir d’étranges coulisses.
Ce Paris m’a fait penser
à un autre roman de la même époque, que j’ai lu beaucoup plus tard : Rue des maléfices de Jacques Yonnet. Toutefois
Seignolle maîtrise mieux son écriture – pour le meilleur ou pour le pire :
il a parfois des effets de style très « années 50 », qui sonnent un
peu vieillots aujourd’hui, alors qu’ils devaient paraître ultramodernes à ses
premiers lecteurs. De toute façon, ce Paris a reculé dans le temps au point de
se télescoper avec celui des années 20, ou 30, ou même 1900…
Pourquoi c’est bien
C’est mieux que
« bien », c’est un très, très grand cru, à déguster lentement.
Seignolle est un
conteur d’exception. Sans quitter les terres du fantastique traditionnel, il
compose de nouvelles variations sur des thèmes anciens – ainsi, le Chupador est
un vampire, mais sa technique pour voler du sang ne ressemble à rien de connu.
Et puis, il a Ce que me raconta Jacob. À mon sens, cette
nouvelle d’une vingtaine de pages est l’un des chefs-d'œuvre de Seignolle. Située
hors de Paris, elle se déroule dans une Allemagne encore mal remise des
vertiges du IIIe Reich. C’est une histoire de loups-garous. De
loups-garous nazis. Des fauves qui n’ont jamais été humains, qui ont juste
endossé de belles défroques SS à l’appel du grand Meneur de loups, et qui ne
savent plus quoi faire après son suicide…
Comparés aux vampires
et aux fantômes, les loups-garous sont un peu le parent pauvre de la
littérature fantastique, Seignolle est l’un des rares à leur avoir consacré
l’attention qu’ils méritent, ici et dans d’autres recueils[1].
Pourquoi c’est lovecraftien
Si l’on écarte le
parallèle superficiel sur le rôle de la ville, Paris prenant des allures
d’Arkham où l’épouvante rôde au détour de toutes les portes cochères, il n’y a
pas grande ressemblance entre les univers de ces deux auteurs.
Seignolle est un
folkloriste qui a consacré sa vie à compiler les contes des paysans des
diverses provinces de France, avant de se mettre à en écrire lui-même. Cette
influence reste sensible dans les Histoires
Maléfiques. Tous ces contes, même plus éloignés de la normalité, sont
solidement ancrés dans le concret, l’humain. Le diable y est accommodant au
point d’aider ses victimes à lui échapper un peu plus longtemps, les vampires
s’y prostituent pour survivre, les fantômes s’inquiètent de la circulation… La
différence avec les narrateurs désincarnés et les horreurs cosmiques de
Lovecraft ne pourrait pas être plus flagrante.
Leurs techniques pour
rendre l’impossible vraisemblable sont
également très différentes.
Lovecraft documente
ses récits comme un historien, il donne des dates, des chronologies, des latitudes
et des longitudes, bref, assez de détails pour conduire le lecteur à accepter
l’impossible, de gré ou de force, parce que si, bien sûr, les journaux ont
parlé de cet événement, voici les coupures de presse, et si vous doutez encore,
il y ajoute le récit d’un témoin oculaire et la copie des télégrammes, jusqu’à
ce que vous rendiez les armes.
Seignolle ne prend pas
cette peine. Il agit en conteur et en metteur en scène. Il crée en quelques
lignes des narrateurs dont le lecteur se sent proche – on éprouve de l’empathie
pour eux, même s’ils vivent une histoire d’amour impossible avec un vampire ou
sont la proie d’une malédiction qui va les détruire.
Bien entendu, les deux
approches fonctionnent… pour peu qu’il y ait du talent derrière.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
La transposition en
jeu de rôle n’est pas évidente, et plus l’histoire est longue, moins elle
fonctionne. Le Petit monstre à louer au
quart d’heure, avec sa créature au pedigree incertain, est exploitable
facilement. Les autres, c’est moins sûr : ce sont des exercices
d’ambiance, pas des jeux intellectuels balisés.
En revanche, beaucoup
sont des leçons sur le thème « on n’approche pas le fantastique
impunément ». Les narrateurs du Bahut
noir ou du Chupador n’ont rien
fait de bien méchant, mais ils vont tous les deux mal finir.
Et Maléfices, me direz-vous ? C’est le
jeu parfait pour les récits campagnards de Seignolle, mais ce Paris bizarre… quelque
chose reste à inventer pour lui rendre justice. Un jeu ou une campagne,
peut-être ?
Bilan
Claude Seignolle est
l’un des deux auteurs fantastiques francophones du XXe siècle qu’il
faut avoir lu, avec Jean Ray. Voilà, c’est dit.
Et qu’à le découvrir,
vous pourriez faire pire que de commencer par Histoires maléfiques.
[1] Ah si, il y a aussi Le
loup-garou de Paris, de Guy Endore, un roman de 1933 qui fera l’objet d’un
prochain billet.
Y'a pas: ça fait envie!
RépondreSupprimerIl en existe une édition récente?
Je ne crois pas, mais ça se trouve sans difficulté sur ebay, Amazon ou Pricceminister.
RépondreSupprimerJe rêve depuis des années d'une intégrale Seignolle chez Bouquins...
Jean Ray je connais, pour Malpertuis et ses Contes du Whisky, mais il va me falloir trouver du Seignolle.
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