Nightmare’s Disciple, de Joseph S. Pulver

Un roman de 400 pages centré sur le mythe de Cthulhu ? Quelque chose de plus ambitieux que l’habituelle nouvelle de trente pages où tout est prévisible ? Et rédigé par Joseph Pulver, dont l’anthologie A Season in Carcosa a donné des idées à l’équipe de True Detective ?

Vous êtes sans doute en train de vous dire « Il me le faut ! »
Sauf qu’en fait, non.
Il ne vous le faut pas.



Donc, nous sommes au milieu des années 90, dans un bled perdu de l’État de New York. Soixante-dix mille habitants, une économie sinistrée et un tueur en série qui égorge des prostituées avant de leur couper les seins. Un flic dépressif, ancien combattant du Vietnam, est sur le coup. Son meilleur pote tient un restaurant où le flic mange gratos, il fait des vannes nulles, mais faut pas le chercher, parce que lui aussi à fait la guerre, putain. La meilleure amie du flic, une « sculpturale beauté noire » d’un mètre quatre-vingts, est bibliothécaire et dotée d’une grand-mère qui fait du vaudou gentil. Un peu plus tard dans l’enquête interviennent les deux propriétaires d’une boutique où l’on ne vend que des bouquins et des films d’horreur : un petit gros et un grand maigre qui font des vannes nulles, eux aussi, mais plus intellos que celles du meilleur pote du héros. Vous ai-je parlé du journaliste prêt à tout un scoop, du maire qui fait des colères parce que l’enquête n’avance pas assez vite et du chef de la police qui engueule ses troupes pour la même raison ?

Dans l’autre camp, le tueur en série. Vous allez rire, ses crimes sont en réalité des sacrifices destinés à préparer l’invocation d’une saloperie à tentacules qui fera de lui le maître du monde. Les scènes de meurtre sont entremêlées de copieux flash-back de son initiation à Innsmouth dans les années 70, puis d’interminables préparatifs de la cérémonie. Comme au bout d’un moment, ce dispositif s’use, l’auteur fait sortir une complice de nulle part, puis fouille dans un chapeau non-euclidien pour en tirer tout un tas de sectateurs dont l’unique intérêt sera de mourir lors de la scène finale.

Il va de soi que le tueur est l’un de ces génies ultra-brillant qui voient tout deux coups à l’avance. Tout se passe toujours exactement comme il veut jusqu’à invocation moins cinq. À ce moment-là, il décide que ça serait une bonne idée de sacrifier la meilleure amie du héros. Et là, en plein enlèvement, il glisse sur une plaque de verglas, s’assomme, est sauvé in extremis par sa complice. Excellent gag, totalement involontaire. Le lecteur sent avec soulagement que ça ne va pas tarder à s’arrêter.

Sur le strict plan de la narration, Nightmare’s Disciple aurait aussi bien pu être écrit par un robot à qui on aurait injecté une collection de thrillers moisis et de nouvelles d’auteurs cthulhiens de troisième zone. Et encore, avec les progrès de l'informatique, le robot aurait peut-être fait mieux.

Mais il y a pire.

Du snobisme, déjà. Pulver interrompt l’action tous les quelques chapitres pour nous bifler avec son érudition. La complice du tueur va infiltrer le camp des gentils ? Elle va discuter cinéma fantastique avec l’un des propriétaires de la boutique. Si la carrière de Dario Argento vous indiffère, vous pouvez sauter plusieurs pages sans rien perdre de l’intrigue. D’autres tartines vous attendent sur la littérature fantastique, les instruments de musique, le rock, le blues, la peinture, etc. Le pire reste les moments « powered by pendule de Foucault » où l’auteur nous inflige d’interminables cours sur des auteurs et des peintres imaginaires, tout en saupoudrant un peu de vérité ici et là, histoire de rendre sa tartine un peu plus digeste.

Enfin, le traitement du mythe de Cthulhu remporte la plame du pire du pire. Joseph Pulver professe à chaque page son amour pour Derleth et Brian Lumley. À des doses raisonnables, je n’ai rien contre Derleth. Les lovecraftiens orthodoxes le tiennent pour un vil hérésiarque, je me contente de penser que c’était un pasticheur pas doué qui a passé sa vie à faire du sous-Lovecraft et du sous-Conan Doyle. Quant à Lumley, ne le répétez pas trop fort, mais il m’arrive d’aimer ce qu’il fait.

Mais cela a une conséquence : Nightmare’s Disciple se situe dans un univers où des dieux gentils protègent les humains contre les Grands Anciens. Vous aimez les deus ex machina ? Les gentilles sorcières vaudoues qui donnent des Signes des Anciens au héros pour qu’il puisse gagner à la fin ? Le combat final au cours duquel, alors que tout paraît perdu, le héros entend une voix qui lui explique quoi faire ? Moi non plus. (Et j’aime encore moins les développements qui humanisent les Grands Anciens en leur donnant une généalogie, du genre « et alors, on dirait que Cthulhu a eu trois fils de trois épouses différentes… » Il ne précise pas le montant des pensions alimentaires, mais tout juste. Oui, je sais, c'est un passe-temps aussi vieux que le Mythe, mais ça me saoule même quand c'est Clark Ashton Smith qui s'y colle.)

Oh, et puis, il y a la fin. La narration compte tellement de coïncidences et de trucs bancals que je me suis convaincu qu’il y avait quelque chose dessous, qui expliquerait tout, renverserait la perspective… eh bien oui, mes bons amis, il y a une surprise finale. Sauf qu’elle n’a aucun intérêt, ne remet rien en cause et se voit venir d’assez loin.

Bon, tout ça pour dire que Nightmare’s Disciple est à la fois un mauvais polar, un très mauvais roman fantastique et un roman cthulhien encore pire. Vous pouvez le fuir sans hésiter. Il y aura peut-être un jour un roman qui mariera le Mythe et l’ère moderne, mais ce n’est pas celui-là.

Commentaires

  1. Bonjour, hé bien celui ci sera évité prudemment.
    Par contre, sans n'en rien dévoiler, jetez vous sur "La Clé de L'Abîme" de José Carlos Somoza dans la collection "Babel" aux éditions "Actes Sud".
    C'est frais et ça ne se referme pas avant la fin.

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