Épisode 35
Numéro 23 de la collection NéO+, 1989
En deux mots
Pour réussir cette recette, il vous faut un critique
gastronomique fraîchement divorcé et en pleine crise de la quarantaine. Vous
avez également besoin de son fils de quinze ans, un ado pénible. Mettez-les à
mariner dans une voiture. Disposez des petits bouts déprimant d’Amérique
profonde, des notables antipathiques et des shérifs adjoints idiots en
garniture tout autour de l’assiette.
Vers la page 50, ajoutez une secte maléfique.
Fourrez l’ado dans la secte. Faites tourner le critique gastronomique autour
jusqu’à en avoir tiré tout le jus. Ajoutez une journaliste sexy. Saupoudrez de sexe,
de meurtres sanglants et d’une bonne cuillerée à soupe de sadisme. Glissez
une pointe de mythologie pour faire le liant. (Note : elle n’a pas besoin
d’être très fraîche, l’essentiel est qu’elle ait du goût.)
Réservez le tout. Saisissez une cérémonie indicible
sur un autre fourneau. Elle doit être servie tout juste bleue, et le sang doit
être conservé à part, dans une saucière. Juste avant de servir, posez la
cérémonie au milieu du plat, et nappez de sang.
Bon appétit !
Pourquoi c’est bien
Masterton n’a jamais prétendu être philosophe ou même
intelligent, mais il sait capter votre attention pour vous raconter son
histoire – c’est pratiquement toujours la même, d’ailleurs, sous des habillages
différents. Après, on est libre de se laisser attraper ou non. Sur moi, ça
fonctionne assez souvent. Je connais plein de gens qui y sont complètement
insensibles.
Pourquoi c’est lovecraftien
Les dogmes de la secte maléfique de service reposent
sur un syncrétisme entre catholicisme, vaudou et religion des indiens Caraïbes.
L’ensemble est un joyeux mélange plein de confusions d’identités entre des
trucs superficiellement sympas et d’autres qui le sont beaucoup moins. La
démarche est assez lovecraftienne, et glisser un tentacule ou deux dans la
marmite n’est pas bien difficile.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Déjà, notons que le héros exerce une profession
improbable, un souci que les Gardiens des arcanes confrontés à un certain type
de joueur connaissent bien. « Comment ça, tu veux jouer un critique
gastronomique ? »
Il s’avère vite qu’en plus, ce pauvre Charlie McLean ne
sait rien faire d’autre que de critiquegastronomiquer. Toutes ses tentatives
pour s’en prendre à la secte foirent piteusement. Pourtant, il suit quasiment
ligne à ligne le manuel du petit investigateur : donner l’éveil au grand-prêtre
en allant lui tirer les vers du nez, enchaîner sur une effraction (ratée), puis
une enquête (dans l’urgence) suivie d’une infiltration (foireuse).
Et quand il se trouve des alliés, c’est presque pire.
Masterton est parfaitement réaliste, sur ce coup : trois personnes réunies
par le hasard qui tentent de jouer à CultBusters ont plus de chance de se faire
mal que de faire des étincelles.
Rendons-leur cette justice : ils tombent sur des
adversaires qui ont oublié d’être bêtes. Les horribles d’en face ont de l’influence,
des amis en haut lieu et l’habitude de gérer des parents agressifs. Du coup,
ils bloquent toutes les tentatives du héros avant même qu’il ait bougé, et
gardent une longueur d’avance sur lui pratiquement jusqu’à la fin.
L’ensemble est très peu surnaturel – les sectateurs
tirent des ficelles, font jouer des contacts, mais n’ont pas d’arsenal magique,
et il suffirait de modifier légèrement la scène finale pour se retrouver avec
un thriller malsain plutôt qu’avec un roman fantastique. Ça peut être un bon ou
un mauvais côté, selon votre manière de faire jouer…
Pourquoi c’est jeuderôlesque
Je ne sais pas si ce sont des inspirations directes
ou indirectes, mais cette secte de cannibales d’origine française installée à
La Nouvelle-Orélans a un petit côté Delta Green qui me parle.
Quant à l’insistance des sectateurs à récupérer
« mille fois mille âmes » pour leur rituel, elle me rappelle que le
clan Giovanni de Vampire – La Mascarade a passé une campagne en quatre volumes
à en amasser « dix mille fois dix mille »…
Bilan
Si vous êtes à court d’idées pour du Cthulhu, du
Delta Green ou pourquoi pas du Within, Rituel de chair peut se démarquer scène
pour scène. Il faudra juste penser à rendre les adversaires un chouïa moins
malins, et peut-être à bricoler un peu les fondations théologiques du bousin.
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PS : Et sinon, ce n’était pas la semaine où lire
un bouquin dont le héros, prénommé Charlie, est aux prises avec des fanatiques
religieux. À chaque fois que je quittais les fils d’info pour le reprendre,
j’avais l’impression d’avoir des nœuds au cerveau – ça reste préférable à la
boule dans la gorge que me donnaient le site du Monde et les autres, cela dit.
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