Rituel de chair, de Graham Masterton (1988)

Épisode 35


Numéro 23 de la collection NéO+, 1989




En deux mots

Pour réussir cette recette, il vous faut un critique gastronomique fraîchement divorcé et en pleine crise de la quarantaine. Vous avez également besoin de son fils de quinze ans, un ado pénible. Mettez-les à mariner dans une voiture. Disposez des petits bouts déprimant d’Amérique profonde, des notables antipathiques et des shérifs adjoints idiots en garniture tout autour de l’assiette.

Vers la page 50, ajoutez une secte maléfique. Fourrez l’ado dans la secte. Faites tourner le critique gastronomique autour jusqu’à en avoir tiré tout le jus. Ajoutez une journaliste sexy. Saupoudrez de sexe, de meurtres sanglants et d’une bonne cuillerée à soupe de sadisme. Glissez une pointe de mythologie pour faire le liant. (Note : elle n’a pas besoin d’être très fraîche, l’essentiel est qu’elle ait du goût.)

Réservez le tout. Saisissez une cérémonie indicible sur un autre fourneau. Elle doit être servie tout juste bleue, et le sang doit être conservé à part, dans une saucière. Juste avant de servir, posez la cérémonie au milieu du plat, et nappez de sang.

Bon appétit !


Pourquoi c’est bien

Masterton n’a jamais prétendu être philosophe ou même intelligent, mais il sait capter votre attention pour vous raconter son histoire – c’est pratiquement toujours la même, d’ailleurs, sous des habillages différents. Après, on est libre de se laisser attraper ou non. Sur moi, ça fonctionne assez souvent. Je connais plein de gens qui y sont complètement insensibles.


Pourquoi c’est lovecraftien

Les dogmes de la secte maléfique de service reposent sur un syncrétisme entre catholicisme, vaudou et religion des indiens Caraïbes. L’ensemble est un joyeux mélange plein de confusions d’identités entre des trucs superficiellement sympas et d’autres qui le sont beaucoup moins. La démarche est assez lovecraftienne, et glisser un tentacule ou deux dans la marmite n’est pas bien difficile.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Déjà, notons que le héros exerce une profession improbable, un souci que les Gardiens des arcanes confrontés à un certain type de joueur connaissent bien. « Comment ça, tu veux jouer un critique gastronomique ? »

Il s’avère vite qu’en plus, ce pauvre Charlie McLean ne sait rien faire d’autre que de critiquegastronomiquer. Toutes ses tentatives pour s’en prendre à la secte foirent piteusement. Pourtant, il suit quasiment ligne à ligne le manuel du petit investigateur : donner l’éveil au grand-prêtre en allant lui tirer les vers du nez, enchaîner sur une effraction (ratée), puis une enquête (dans l’urgence) suivie d’une infiltration (foireuse).

Et quand il se trouve des alliés, c’est presque pire. Masterton est parfaitement réaliste, sur ce coup : trois personnes réunies par le hasard qui tentent de jouer à CultBusters ont plus de chance de se faire mal que de faire des étincelles.

Rendons-leur cette justice : ils tombent sur des adversaires qui ont oublié d’être bêtes. Les horribles d’en face ont de l’influence, des amis en haut lieu et l’habitude de gérer des parents agressifs. Du coup, ils bloquent toutes les tentatives du héros avant même qu’il ait bougé, et gardent une longueur d’avance sur lui pratiquement jusqu’à la fin.

L’ensemble est très peu surnaturel – les sectateurs tirent des ficelles, font jouer des contacts, mais n’ont pas d’arsenal magique, et il suffirait de modifier légèrement la scène finale pour se retrouver avec un thriller malsain plutôt qu’avec un roman fantastique. Ça peut être un bon ou un mauvais côté, selon votre manière de faire jouer…


Pourquoi c’est jeuderôlesque

Je ne sais pas si ce sont des inspirations directes ou indirectes, mais cette secte de cannibales d’origine française installée à La Nouvelle-Orélans a un petit côté Delta Green qui me parle.

Quant à l’insistance des sectateurs à récupérer « mille fois mille âmes » pour leur rituel, elle me rappelle que le clan Giovanni de Vampire – La Mascarade a passé une campagne en quatre volumes à en amasser « dix mille fois dix mille »…


Bilan

Si vous êtes à court d’idées pour du Cthulhu, du Delta Green ou pourquoi pas du Within, Rituel de chair peut se démarquer scène pour scène. Il faudra juste penser à rendre les adversaires un chouïa moins malins, et peut-être à bricoler un peu les fondations théologiques du bousin.

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PS : Et sinon, ce n’était pas la semaine où lire un bouquin dont le héros, prénommé Charlie, est aux prises avec des fanatiques religieux. À chaque fois que je quittais les fils d’info pour le reprendre, j’avais l’impression d’avoir des nœuds au cerveau – ça reste préférable à la boule dans la gorge que me donnaient le site du Monde et les autres, cela dit.

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