Chaque
époque a ses mythes. Ceux-ci ne venant pas tous seuls, chaque époque a aussi
ses mythomanes et ses attracteurs de mythes. Au XVIIIe siècle, Karl-Friedrich-Hiéronymus,
baron de Münchhausen, remplit ces deux rôles à lui tout seul, là où notre
époque a besoin de BHL et de Chuck Norris.
Né
en 1720, le véritable baron a servi dans les armées russes contre les Turcs
avant de se ranger. De retour dans son Allemagne, il y a vécu de longues années
tranquilles, à chasser et à raconter des souvenirs de plus en plus ébouriffants
au fur et à mesure que les années passaient. Personne ne les a consignés sous
leur forme originale, mais ils relevaient certainement plus de la mythomanie
que du mythe.
En
1785, Rudolf-Erich Raspe, l’un de ses familiers, exilé en Angleterre, a eu
l’idée de rédiger directement en anglais une première version de ses Aventures. Elle aura une abondante
postérité outre-Manche. Ce premier texte est traduit en allemand l’année
suivante – puis enrichi – par G.A. Bürger, qui en donne la version définitive.
Et
voilà le baron devenu un personnage littéraire, catégorie « héros
mythique ». Que fait-il ? En gros, il court aux quatre coins du monde
pour y accomplir des exploits fabuleux. Certains collent à l’actualité des
années 1740, du temps où le vrai baron était jeune, ou à celle des années 1780,
du temps où le baron a commencé sa carrière littéraire, mais vu d’ici, les deux
se confondent. Bürger a pris grand soin d’ajouter ici et là des pincées de
vraisemblance : le baron croise d’authentiques figures du XVIIIe siècle,
participe à une vraie expédition polaire, et ainsi de suite.
On
le retrouve en Russie se battant contre les Turcs, comme le vrai baron. Après
quoi, il devient esclave du sultan, ambassadeur du même sultan au Caire,
se fait mercenaire au service des Anglais à Gibraltar. Et croyons-le sur
parole, il aurait été se battre en Amérique sans ce monstre marin qui a
interrompu son voyage « à trois cents miles du Saint-Laurent ».
Car
dans le monde du baron de Münchhausen, il y a des monstres marins. Des tas. Il
y a aussi une île de fromage où coulent des fleuves de lait, des mers de vin,
des arbres à homards, des pois géants qui poussent jusqu’à la Lune, laquelle
est peuplée de géants à la tête amovible.
Et
quand ce n’est pas l’environnement qui déraille, c’est le baron qui se laisse
emporter. Égaré sur un iceberg, il tue à lui tout seul des milliers d’ours
polaires, ce qui inspire à l’impératrice de Russie le désir de l’épouser. Il
décline poliment – et nie que l’impératrice soit morte du chagrin que lui cause
son refus – et part étudier l’Etna, ce qui lui permet de rencontrer Vulcain et
Vénus.
C’est
aussi un monde où il ne faut pas jeter son manteau sur un chien enragé, parce
qu’il va le contaminer, et vous aurez un manteau enragé qui attaquera vos autres
vêtements dans la penderie ; un monde où un chasseur avisé apprend a faire tellement peur aux animaux
qu’ils sautent hors de leur peau, ce qui évite de l’endommager d'un coup de fusil, etc.
Tout
ce délire est raconté dans un français impeccable, pastichant le style du XVIIIe
jusque dans les imparfaits du subjonctif. (La traduction est de Théophile
Gautier fils, avec en prime, des reproductions des gravures de Gustave Doré. Tiens,
à propos de ces gravures, il faut les avoir vues pour réaliser à quel point le
film de Terry Gilliam s’en est inspiré – et il faut avoir vu le film pour
comprendre ce que Terry Gilliam a apporté de personnel aux aventures du baron.)
Bref…
à quoi ça sert, tout ça ? À rien, sinon à apporter un poil de légèreté
dans une époque lugubre. On aurait bien besoin d’un Münchhausen du XXIe
siècle qui nous raconterait comment il a inversé le réchauffement climatique –
à vue de nez, il suffirait qu’il fâche assez Vulcain pour déclencher de très
grosses éruptions volcaniques, et le tour serai joué. Ou comment il a réparé à lui tout seul
l’atterrisseur de Philae à l’aide de l’un des vautours à trois têtes qui
servent de montures aux Sélénites. Ou même comment il a mis un terme aux bisbilles russo-ukrainiennes avec l'aide de ses amis le colosse, l'homme aux yeux d'aigle et l'homme le plus rapide du monde. Oui, décidément, le baron nous manque.
Ed.
José Corti, collection Merveilleux, 16 €.
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