Le papillon de la mort, de Maurice Renard (années 1900 à 1920)


Épisode 38


Numéro 139 de la collection Fantastique / SF / Aventure, 1985

Disons-le d’emblée, j’ai un problème avec Maurice Renard. J’en ai peu lu, et à une exception marquante près – Le brouillard du 26 octobre, qui ne figure pas dans ce recueil – j’ai toujours eu du mal à adhérer. Il n’empêche, c’est l’un des rares auteurs de fantastique francophone des années 10 à 30 dont tout le monde vous dira qu’il est incontournable, il mérite donc un coup d’œil.



Pourquoi c’est bien

Est-ce bien ? Ce recueil de douze nouvelles est indiscutablement plein de qualités. Toutefois, il faut faire un effort pour y accéder, parce qu’il est hanté par deux grands « mais ».

Mais le style, déjà.

Maurice Renard pratique en virtuose le style 1900, surtravaillé, chantourné, dégoulinant de falbalas et de fanfreluches, bref l’équivalent littéraire de la façade du Grand palais ou des entrées de métro Guimard. À faible dose, c’est séduisant et exotique… ou, pour le dire à la manière de l’époque, cela regorge d’étranges prestiges et d’images captieuses. Au-delà de quatre ou cinq pages de ce régime, je crie grâce, mais selon le dosage que vous êtes prêts à encaisser, vous pouvez tout à fait y voir une qualité. Ce n’est pas parce que des phrases comme « Un sourire hideux satanisait sa face » me donnent envie de fuir qu’elles ne seront pas la tasse de thé de quelqu’un.

Ce style est particulièrement intrusif dans Le lapidaire, une interminable nouvelle située dans la Gênes du XVIe siècle, où l’auteur se sent obligé de nous balancer à la tête un plein thésaurus de couleur locale pour soutenir un assez faible mystère. En revanche, il fonctionne beaucoup mieux dans L’affaire du miroir, où le lieutenant de police d’un roi vieillissant enquête sur une histoire de sorcellerie.

Notez que faute d’une table des matières dans mon exemplaire, je ne sais pas si l’anthologiste a classé ces histoires par ordre chronologique de rédaction. J’ai tendance à penser que oui, dans la mesure où dans les dernières, le style se fait plus épuré…

Mais les ressorts, ensuite.

Maurice Renard est né en 1875. Sa période créatrice s’étend de 1908 à 1939. Or, les peurs des années 1900 à 1920 ne sont plus forcément les nôtres.

L’hypnotisme ? Ce n’est pas qu’on le connaît mieux aujourd’hui qu’en 1900, mais on s’y est accoutumé. De nos jours, ce n’est plus une angoissante violation de la volonté d’autrui, c’est un sketch dans une émission de télé de divertissement, conduit par un magnétiseur professionnel affublé d’un bizarre accent québécois. Et quand il fait aboyer des starlettes, on se marre, on n’a plus peur. Du coup, Le Rendez-vous tombe à plat, alors qu’elle dû terrifier les lecteurs de 1909 – son autre ressort, l’adultère, n’est pas passé de mode, mais a largement changé de modalités. Résultat, cette nouvelle, sans doute l'une des plus réussie, se lit davantage comme une curiosité,un remix sauvage de Labiche et d’Egar Poe, que comme une histoire à laquelle on peut adhérer.

Nous savons que l’électricité ne relève pas les morts, même pour un moment, alors que c’est le sujet de La grenouille (et là aussi, cette résurrection temporaire est au service d’une question on ne peut plus bourgeoise : qui va hériter du million et quelques que laissent les défunts ?)

La grenouille évite de trancher entre deux explications, l’une rationnelle, l’autre fantastique. C’est également le cas du Professeur Kranz, qui se promène aux confins entre raison et démence. Vous ai-je dit que j’aimais bien le fantastique expliqué ?

D’autres nouvelles, comme Elle, L’étrange souvenir de M. Liserot ou Le papillon de la mort, sont des histoires courtes, efficaces et finalement assez représentatives d’un style : un événement survient sans crier gare dans les vies des protagonistes, qui doivent faire avec.

Enfin, Maurice Renard se souciant assez peu des étiquettes, une paire d’histoires relève plutôt du policier, dans sa variante « histoire à chute ». Cambriole pique un peu les yeux, parce que MM. Freddy et Bébért, ses héros, s’obstinent à jaspiner argot dans les dialogues, ce qui fait tache au milieu des périodes élégantes de leur créateur. L'autre, À l’eau de rose, pique aussi les yeux, pour une raison moins avouable et plutôt cruelle.


Pourquoi c’est lovecraftien

Globalement, ça ne l’est pas, avec deux petites exceptions : La rumeur dans la montagne et La damnation de « l’Essen » qui mettent toutes deux en scène un phénomène étrange, incompréhensible, mais avec davantage de souffle que dans Elle, par exemple. La deuxième, une histoire de mer, pourrait même être prise pour du Jean Ray.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

À la rigueur, un meneur de jeu imaginatif peut envisager de recycler certaines des chutes de ces histoires et en faire les amorces de scénarios plus construits.

En revanche, ce recueil vous donnera de solides bases pour des parties de Maléfices. Il m’arrive de penser que l’on ne devrait jouer « historique » qu’après avoir lu quelques histoires d’époque, pour se mettre dans le ton. Le rendez-vous ou La grenouille pourraient me servir à appliquer cette théorie, s’il me prend un jour l’envie de refaire jouer à Maléfices.


Au bilan

L’œuvre très abondante de Maurice Renard a été recueillie au début des années 1990 dans un volume de la collection Bouquins, qui doit traîner quelque part dans mes cartons à vieilleries.

Ce bref échantillon me laissait hésitant. Cependant, quelque chose me pousse à exhumer le gros Bouquin. Une information figure en petits caractères sur de la quatrième de couverture du Papillon de la mort : toutes ces nouvelles ont disparu des éditions récentes des anthologies où Maurice Renard les avait placées de son vivant. En clair, quand il a fallu élaguer, elles ont été les premières à sauter. Ce Papillon a donc été composé avec les rossignols de Renard… et il faudra bien aller voir le reste de son œuvre.

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