Ce recueil de 220 pages, signé
Chaosium, propose six scénarios pour la septième édition de Call of Cthulhu. Tout juste sorti en
pdf, il devrait connaître une version imprimée dans un ou deux mois, en
attendant peut-être une traduction par Sans-Détour…
Au menu, un scénario victorien et demi,
un années 20, un années 30 et deux contemporains. Comme le titre l'indique, il
s'intéresse à des entités originales, qui ne figurent pas dans les règles. Tous
sont livrés avec six investigateurs prétirés. L’ensemble est bon, voire très
bon, et si c'est représentatif de la nouvelle direction de la gamme, c'est très
prometteur.
Si on les examine en détail…
• An Amarantine Desire, de Matthew Sanderson,
cumule les problèmes. Le premier ? À certains endroits, il est daté de
1753, à d’autres de 1895. Et je suis prêt à parier qu’il a été rédigé pour
1753, puis rhabillé en victorien. Les prétirés sentent tous le XVIIIe
siècle plus que l’ère victorienne, la situation elle-même a un côté Contrebandiers de Moonfleet… Mais ce
n’est pas grave, parce que ça ne concerne que la scène d’ouverture. Ensuite,
les personnages sont projetés dans une boucle temporelle sans rapport avec leur
époque d’origine. « Boucle temporelle » égal « jour de la
marmotte » égal « voilà la situation, voilà les conditions de sortie,
le groupe va se planter, mais il recommencera tant qu’il n’aura fait ce qu’il
faut ». Ce type de scénario qui m’exaspère, mais je reconnais que sur ces
bases insupportables, il est bien fait. Troisième problème, moins grave :
il encourage les affrontements joueurs contre joueurs, tout en les bridant
brutalement pour que personne ne meure avant la fin. Je sors de là avec une
impression mitigée.
• A Message of Art, de Matthew Sanderson, est un scénario parisien situé en
1892, à la clôture du premier salon de la Rose+Croix, manifestation artistique
organisée par le Sâr Joséphin Péladan. Les prétirés sont tous artistes,
collectionneur ou critiques, et ça se passe entre le boulevard Haussmann et la
rue Le Peletier. L’auteur étant anglais, des erreurs de détail et un ou deux
petits clichés rôdent dans le décor, mais ça s’élimine tout seul. Le mythe de
Cthulhu étant fermement rejeté à l’arrière-plan, le résultat final est… un très
bon scénario pour Maléfices. Enfin,
quelque chose qui pourrait en être un, si Maléfices
était un jeu avec beaucoup de crânes explosés. Je l’aime beaucoup – il
démarre en mode social sur une soirée, avec des petites intrigues qui se
croisent avant de prendre de l’ampleur, c’est plutôt mon trip.
• And Some Fell on Stony Ground, de Paul Fricker, est un scénario
Années 20, situé dans « une petite ville américaine ». Sans surprise,
il s’y passe de drôles de choses. Surprise, elles ne ressemblent pas à
l’habituel sorcier qui veut invoquer une saloperie. Les prétirés ont tous des
soucis personnels qui vont vite faire boule de neige… L’idée de base est
excellente, le développement contient plusieurs bonnes idées. Une
critique ? Oh oui : l’ensemble est trop ambitieux pour le format.
Réussir, en trente pages, à présenter une ville et à faire tenir l’équivalent
de deux scénarios, était impossible. Du coup, à la place d’une enquête, le
Gardien se retrouve avec une page sur le thème « ce scénario est organisé
en pelures d’oignon, voilà la première couche, voilà la deuxième, voilà les
suivantes, et débrouillez-vous ». Moi, ça me va, pas sûr que ça convienne
à tout le monde.
• Bleak Prospect se déroule en 1932, dans le cadre inhabituel d’un bidonville
où s’entassent des perdants de la crise de 29. On retrouve parmi les prétirés
les stéréotypes habituels des investigateurs, mais réduits à la misère – la
journaliste victime d’une compression de personnel, le médecin qui dirigeait un
hôpital et gère un dispensaire de fortune grâce à la générosité de son
successeur, la dilettante dont le mari s’est suicidé, etc. Tous ces gens mal en
point vont se retrouver pris dans une situation surnaturelle qui, pour le coup,
prolonge assez directement une nouvelle de Lovecraft. L’auteur prévient qu’il y
aura probablement de lourdes pertes et que le scénario ne conviendra pas aux
optimistes et aux amateurs de fins heureuses. Ça se sent bien à la lecture.
• The Moonchild, de Paul Fricker, est
un scénario contemporain, nominalement situé en Angleterre, mais qui pourrait
se dérouler n’importe où. Dans les années 90, les prétirés et leurs amis
étaient de joyeux étudiants amateurs de sensations fortes et d’occultisme. Ils
ont fait quelque chose dont ils ne se souviennent plus très bien, mais qui
revient leur mordre les fesses vingt ans plus tard. L’effet de miroir est
franchement drôle : des rôlistes, probablement quadragénaires et joueurs
depuis leurs études, incarnant des types qui leur ressemblent, obligés
d’affronter les conséquences d’actes accomplis pendant leurs études. Rien que
pour ça, ça donne envie de le faire jouer. Toutefois, l’adversaire est costaud. Face à un Gardien qui ne
prendra pas de gants, il y a des chances que le groupe souffre, voire soit
complètement éliminé. Mais bon, c’est la vie… À noter un élément bien vu :
des conseils sur le recyclage des prétirés restants si vous avez moins de six
joueurs.
• The Space Between repose sur une base un peu convenue, mais son développement
propulse tout ça très loin de l’univers connu, au point de violer l’une des
règles d’airain de L’Appel de Cthulhu –
et non, je ne vous dirai pas laquelle. Et donc, les personnages sont tous des
membres de la Scien… de l’Église de Sunyata, fondée par un écrivain de pulp,
très présente à Hollywood et dirigée entre autres par une star vieillissante de
films d’action. Ils travaillaient sur un long-métrage financé par l’Église,
dont la vedette féminine vient de disparaître mystérieusement… Entre la police,
des supérieurs qui en savent visiblement plus long qu’ils n’en disent et leurs
propres doutes, nos malheureux héros se mettent à enquêter… et là encore, le
taux de perte risque d’atteindre les 100 %. Voire de le dépasser.
Un point important à noter : ces
six scénarios partagent la même structure, et font appel aux mêmes outils
(notamment une carte des relations entre joueurs et PNJ sur une page). On a
droit à une introduction détaillant la situation pour le Gardien, puis à une
présentation des PNJ, puis à l’aventure proprement dite, puis aux
caractéristiques techniques des PNJ, puis aux aides de jeu et aux prétirés. Je
ne suis pas complètement séduit par cette construction, qui revoie la scène
d’ouverture vers le milieu du texte et oblige à consulter deux chapitres
différents selon que l’on veut le background ou les caractéristiques d’un PNJ,
mais elle a le mérite d’exister.
Bilan ? Six bons scénarios, de
qualité très homogène. Ils se tiennent tous, au point où il est difficile de
créer un palmarès. À titre purement personnel, je mettrai en avant A Message of Art, parce qu’il donne
l’occasion de jouer le Sâr Péladan, Bleak
Prospect pour son cadre inhabituel, et The
Moonchild pour son côté « vingt ans après », mais c’est très
subjectif. La production Chaosium de ces dernières années se composait surtout
de petits livrets pas très ambitieux, de rééditions de vieux suppléments et de
monographies recyclées. Nameless Horrors est
une hirondelle. Annonce-t-elle le printemps ? Je l’espère de tout mon
cœur.
J'yai joué à The Space Between avec Scott Dorward. On etait trois joueurs et ça m'a beaucoup plu. Je pense que le succes du scenar depend sur des joueurs qui n'ont pas peur d'une approche un peu hors du commun.
RépondreSupprimerSans Détour vient d'en proposer la traduction dans le cadre de leur FP sur les 2 camapgnes. Pour ceux que ça intéresse....
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