Épisode 39
Numéro 183 de la
collection Fantastique / SF / Aventures, 1986
Vous voulez du pulp ?
Eh bien en voilà du pur et dur, du costaud, du brut de fonderie.
Bien au-delà du spectre
étroit dans lequel nous nous enfermons d’habitude, il existait des pulps pour
tous les goûts et tous les genres : pulps
de détective, pulps pour amateurs de combats aériens, pulps de
western, pulps de confessions intimes
pour le public féminin, et ainsi de suite ad
nauseam. Leur unique point commun était d’être le terrain de jeu d’écrivains
qui produisaient vite. Non, encore
plus vite que ça. Dans les années 30, certains rejoignaient le Million-Word
Club, réservé aux gens capables de sortir un million de mots par an (on peut
légitimement se demander s’il leur restait des loisirs, tout le monde n’est
déjà pas capable d’enquiller un million de signes
par an, alors cinq fois plus…)
Bref, les sept nouvelles de ce recueil nous arrivent d’une paire
de pulps moins intellectuels que l’habituel Weird
Tales : Fight Stories et Actions Stories. Leurs titres résument
leur propos : baston !
Leur auteur, Robert Howard, a sa place dans nos petits cœurs de
geeks à cause de Conan. Les plus atteints d’entre nous se souviennent aussi de
sa contribution au mythe de Cthulhu, mais c’était un auteur professionnel qui
arrosait tous les marchés accessibles.
Donc, Steve « Sailor » Costigan entre sur le ring. La
couverture de Nicollet, qu’on a connu plus inspiré, le fait ressembler à une
pub pour Jean-Paul Gaultier. Erreur : Steve est un costaud (1,83 m
pour 93 kg, c’est précisé dans toutes les nouvelles, tout comme le gabarit
de son adversaire principal). À la lecture, on l'imagine plutôt comme ça :
Steve est matelot sur le Sea
Girl, un cargo douteux qui se balade entre le Texas, la Californie et la
côte chinoise. Il est le champion de boxe du bord, ce qui lui permet
d’affronter les champions d’autres cargos à chaque escale, dans des combats fameux « de Vladivostok à Sumatra ».
Hors des rings, invariablement, il
se fourre dans des ennuis, parce qu’il a bon cœur et qu’il démolit des tueurs
qui s’en prenaient à un inconnu, parce que des types plus malins que lui
l’engagent pour un « petit boulot dans ses cordes », ou parce que cette pépée croisée dans un bar a des ennuis avec un mandarin lubrique...
Et donc, Steve entreprend de rendre service. Avec ses poings, qui
lui suffisent face à n’importe quoi, y compris une douzaine de types avec des
couteaux[1]. Ah si, une fois dans le
recueil, il déroge à ses principes et s’arme d’un piquet de tente, mais c’est uniquement parce que l’adversaire est un tigre. Sinon, il corrige, il éparpille, il
pulvérise. Robert Howard nous décrit crochets, uppercuts et directs avec la
passion du boxeur amateur et son
habituel talent de narrateur, ce qui rend les scènes de combat non seulement digestes,
mais divertissantes.
J’oubliais un point important : Steve est un gros
niais qui n’a en absolument pas conscience. Qu’il se fourre dans les ennuis,
c’est normal, tous les héros font ça, mais ce colossal abruti s’y enfonce avec
allégresse, gobe les pires baratins, se trompe de suspect, démolit d’éventuels
alliés, se jette dans tous les pièges… Robert Howard n’est pas passé à la
postérité pour son humour, et pourtant, ici, on se marre. (Mention spéciale a
une tentative d’infiltration subtile qui dure trois secondes avant que Steve
n’oublie son baratin et se remette à cogner, Obélix style.) Bien sûr, comme tous les héros
howardiens, il est mû par un code d’honneur sommaire, mais suffisant pour
avancer dans la vie : ne jamais frapper une femme ou un maigrichon, ne
jamais frapper sous la ceinture, ce genre de chose.
En dehors d’une paire de nouvelles situées respectivement au
Texas et en Californie, le reste prend place dans une Chine mal définie, mais
où grouillent sociétés secrètes, révolutionnaires et mandarins manipulateurs
qui feront plaisir aux lecteurs des Masques
de Nyarlathotep, entre autres. Il n’y pas une broque de fantastique, il
serait hors de propos ici, mais bon, une tong est une tong et une demi-douzaine
de Malais brandissant des poignards une menace suffisante pour l’ami Steve.
Vous aurez compris que j’aime beaucoup. Vite lu, drôle,
entraînant, avec un héros attachant. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais on ne
peut pas se nourrir de chefs-d’œuvre.
EDIT - 7 septembre 2015
Ayant lu les deux autres recueils, je ne peux que confirmer ce que je disais plus haut : c'est du bon.
Steve Costigan y traîne ses poings et son bouledogue blanc, Mike, aux quatre coins du monde, y compris à Hollywood et à Barricuda, « la pire île des mers du Sud ». Il croise un el Presidente sud-américain, des seigneurs de la guerre chinois, des Suédois amoureux, le champion de boxe de la Marine Nationale et autres inconvénients qu'il aplatit en dix rounds ou moins s'ils se montrent contrariants. En revanche, il continue à se faire mener par le bout du nez par des pépées vénales et manipulatrices, qui l'embarquent dans des histoires diversement foireuses. Bref, la formule est rôdée.
Certaines nouvelles ont un petit arrière-goût de tragique, mais la plupart sont juste drôles. Je n'en reviens toujours pas de découvrir un Robert Howard à l'aise dans tous les domaines de l'humour, situations délirantes, dialogues décalés et autres histoires à chute. Par moments, on a l'impression de se balader dans un Tex Avery. À d'autres, l'aventure reprend le dessus, comme dans cette nouvelle où Steve se bat pour « avoir le privilège de prendre une balle dans la tête ». En revanche, après une trentaine d'histoires et autant de scènes de combat, je comprends mieux pourquoi Lovecraft et R.H. Barlow ont écrit Le combat qui marqua la fin du siècle...
EDIT - 7 septembre 2015
Ayant lu les deux autres recueils, je ne peux que confirmer ce que je disais plus haut : c'est du bon.
Steve Costigan y traîne ses poings et son bouledogue blanc, Mike, aux quatre coins du monde, y compris à Hollywood et à Barricuda, « la pire île des mers du Sud ». Il croise un el Presidente sud-américain, des seigneurs de la guerre chinois, des Suédois amoureux, le champion de boxe de la Marine Nationale et autres inconvénients qu'il aplatit en dix rounds ou moins s'ils se montrent contrariants. En revanche, il continue à se faire mener par le bout du nez par des pépées vénales et manipulatrices, qui l'embarquent dans des histoires diversement foireuses. Bref, la formule est rôdée.
Certaines nouvelles ont un petit arrière-goût de tragique, mais la plupart sont juste drôles. Je n'en reviens toujours pas de découvrir un Robert Howard à l'aise dans tous les domaines de l'humour, situations délirantes, dialogues décalés et autres histoires à chute. Par moments, on a l'impression de se balader dans un Tex Avery. À d'autres, l'aventure reprend le dessus, comme dans cette nouvelle où Steve se bat pour « avoir le privilège de prendre une balle dans la tête ». En revanche, après une trentaine d'histoires et autant de scènes de combat, je comprends mieux pourquoi Lovecraft et R.H. Barlow ont écrit Le combat qui marqua la fin du siècle...
[1] Les saligauds assez malhonnêtes pour se servir d’armes à feu le
ratent presque toujours, et quand il est touché, ce n’est jamais assez grave
pour le mettre au tapis. Qui a dit « paradigme narratif » ? Vous,
dans le fond, avec les lunettes ? Non, jeune homme, c’est juste que les flingues sont des
armes de foie-jaune.
Il y a un peu le même personnage dans les nouvelles "spicy" de Howard, celles avec des filles nues et du s*x*. Il s'agit du recueil Wild Bill Clanton. Un marin costaud, une Chine de pacotille et des jeunes dames très déshabillées.
RépondreSupprimerIl est dans ma pile, comme une vingtaine d'autres Howard.
RépondreSupprimerEt tu viens de le faire remonter de plusieurs places :)
RépondreSupprimer