Heureuse coïncidence :
je commence un trip Antiquité, barbares et Robert Howard, et voilà qu’arrive
dans ma boîte aux lettres De Horrore
Cosmico, un recueil de scénarios romains pour L’Appel de Cthulhu, fruit d’un Kickstarter bien géré, comme tous
ceux de Golden Goblin Press (à l’échelle de Kickstarter, une livraison prévue
en avril qui arrive en août, c’est nickel).
Aux États-Unis, la gamme Cthulhu Invictus existe depuis 2009. En
plus du livret de base, elle compte une Companion
et des monographies chez Chaosium, plus une campagne chez Miskatonic River
Press. C’est un produit de niche, mais qui suit son petit bonhomme de chemin. Une
seconde édition de Cthulhu Invictus est
d’ailleurs annoncée pour bientôt.
L’époque retenue est celle
des Antonins, entre 130 et 160. L’Empire est à son apogée, les barbares calmes,
les généraux obéissants et les empereurs sains d’esprit. Par instants,
l’ensemble dégage un petit parfum de « Victoriens en toge », mais
pour le coup, l’époque était vraiment comme ça.
Mais revenons à De Horrore Cosmico : 162 pages, six
scénarios et un article, des auteurs déjà vus ailleurs, et un cahier des
charges étonnant : transposer des histoires d’H.P. Lovecraft a) en
scénario de jeu de rôle et b) sous l’empire romain.
Ce choix a un bon et un
mauvais côté. Le bon, c’est que tous ces scénarios restent proches du matériau
d’origine, ce qui les rend efficaces,
parce que Lovecraft. Le mauvais, c’est que si vous connaissez votre HPL, vous
savez à quoi vous attendre au bout de deux lignes. La combinaison des deux
donne d’excellents scénarios à l’usage de gens qui ne connaissent pas
Lovecraft. Ils seraient juste un peu moins complexes, j’aurais dit
« d’excellents scénarios d’initiation ».
Pour la suite de cette présentation, je vais tricher et ne pas vous donner les histoires sources, parce que cela reviendrait à parler de nouvelles policières en vous disant qui est l’assassin.
Le recueil commence très bien
avec The Vetting of Marius Asina, de
Jeffrey Moeller. Les personnages sont engagés par un avocat pour déterrer des
infos compromettantes sur un ambitieux politicien de Massalia. Oui, au IIe siècle
déjà, la vie politique marseillaise sentait la merde. Bien construit, avec des
personnages un poil plus fouillés que la normale et des choix de résolution inhabituels,
c’est un très bon cru. S’il a un défaut, c’est d’être un terrain de jeu propice
aux Gardiens des arcanes qui aiment dire « non, vous ne trouvez
rien »… mais à condition d’être un minimum facilitant, il devrait donner
une ou deux chouettes séances.
Doom, de Chad Browser, m’a
laissé un peu plus perplexe. Les investigateurs y courent de Rome en Égypte sur
la foi d’indices un peu incertains à mon goût, mais l’histoire elle-même repose
sur une base « culturelle » intéressante. Tracassé par un songe
bizarre où il est question de l’avenir de Rome, le commanditaire des
investigateurs les engage pour qu’ils fassent les vérifications préparatoires…
avant qu’il n’aille faire son devoir civique en le racontant sur le Forum, pour
qu’il soit interprété par des spécialistes. Lovecraft et les Romains sont
d’accord : parfois, les rêves mordent.
Murmillo, d’Oscar Rios,
envoie les investigateurs récupérer un jeune homme de bonne famille qui s’est
vendu à une école de gladiateurs, ce qui Ne Se Fait Carrément Pas. L’emballage
romain est excellent et transmet parfaitement le côté « culture proche
mais étrange » de Rome. En revanche, des six, c’est celui où la proximité
avec l’histoire source est la plus pesante, au point où je n’ai aucune envie de
le faire jouer, alors que pourtant, il a du potentiel.
Dans les deux scénarios
suivants, on échange le soleil de la Méditerranée pour les brumes du Nord.
Dans Kith and Kine, de Phredd Groves, les investigateurs sont envoyés
faire un peu de diplomatie dans le sud de la (pas encore Grande-)Bretagne. Une
querelle entre deux tribus menace l’exploitation des mines d’argent, ce qui
fait froncer le sourcil au gouverneur. Là encore, l’auteur marque des points grâce
à son souci du détail culturel, auquel s’ajoutent d’excellentes scènes. Pour le
coup, Phredd Groves a aussi entrepris de marier
deux histoires de Lovecraft, donnant naissance à un hybride moins évident à
décoder que les cinq autres.
The Devil’s Mouth, de Stuart
Boon, envoie les personnages dans le nord de l’Écosse. Ils accompagnent un
diplomate qui vient sceller un accord avec une tribu picte… et bien sûr, rien
ne va se passe comme prévu. Son principal défaut est celui de beaucoup de
scénarios d’expéditions : pendant un temps, le groupe n’a rien d’autre à
faire qu’à suivre les ordres du chef, et ensuite… eh bien ensuite, il est trop
tard pour redresser la situation. (Par ailleurs et à ma grande déception, ses
Pictes sont tout à fait présentables et historiques, alors que je sors tout
juste des délires préhistoriques howardiens.)
Retour à Rome avec The Case of Tertius Orestius Sedonius,
de Penelope Love et Mark Morrison, où les investigateurs sont chargés d’évaluer
la santé mentale d’un jeune patricien amnésique. (Là, je jette l’éponge. Entre
le titre et ce résumé en une phrase, je crains fort que vous n’ayez déjà pigé de
quelle histoire de Lovecraft il s’agit, mais à l’impossible nul n’est tenu.) Comme
tout ce que produit le binôme Love/Morisson, j’aime beaucoup ce scénario, mais
des six, c’est sans doute le plus difficile à mettre en scène. Il repose sur une révélation, qui s’imposera en bloc,
sans moyen de la graduer, or son efficacité repose sur le moment où les joueurs
vont piger. Trop tôt sera pire que trop tard, mais il sera difficile d’arriver
à la placer « juste au bon moment ». Il comporte un
« plus » fascinant : la perspective d’éventuelles poursuites
judiciaires contre le grand méchant, puisqu’en droit romain, la magie noire est un crime.
Enfin, Patrone, mi patrone, présente six patrons, au sens romain du mot, qui
peuvent envoyer les investigateurs aux quatre coins du monde en échange de leur
protection. Deux d’entre eux servent dans les scénarios, les quatre autres
peuvent être intégrés dans une campagne… La galerie va du général âgé mais
couvert de gloire à une figure de la pègre en passant par un intellectuel désaxé
qui collectionne les cultes bizarres comme d’autres les timbres-poste. Tous
sont intéressants à lire, et éminemment utilisables.
Au final, ces six scénarios, très
homogènes en qualité, ont tous de solides points forts. L’arrière-plan
historique est bien ou très bien utilisé, et si le Gardien des arcanes s’en
sert intelligemment, le dépaysement sera certainement au rendez-vous. D’un
autre côté, la proximité avec les textes de Lovecraft est parfois un peu
pesante, notamment dans Murmillo.
À cette petite réserve près, De Horrore Cosmico mérite le détour si
vous avez envie d’excursions romaines, avec une mention spéciale pour The Vetting of Marcus Asina, qu’il me
démange de faire jouer.
Golden Goblin Press, 35 €
PS 1 : Cela n’a pas
beaucoup d’importance, mais ce supplément est pour la 6e édition.
PS 2 : Le Kickstarter a
également généré un recueil de nouvelles, Tales
of Cthulhu Invictus, que je n’ai pas encore lu, pour l’excellente raison
que je ne l’ai pas encore reçu. Je vous en reparlerai peut-être.
Je viens de finir la lecture de ton billet, merci pour le retour. Je n'arrive pas à m'enthousiasmer cependant, je ne sais pas pourquoi. Le setting global d'Invictus me plaît par ces promesses (déformation professionnelle sans doute) mais ce qu'il en est fait me refroidit généralement.
RépondreSupprimerJe ne comprends pas pourquoi les Antonins, c'est chiant les Antonins (surtout Antonin le Pieux qui correspond en partie au setting choisi) en comparaison de ce qui se passe avant et de ce qui arrive après. Peut-être que la stabilité de l'empire permet une transposition plus facile...
Merci pour ce retour ! Est-ce que ce recueil tient tout seul, ou est-ce que la lecture de Cthulhu Invictus te paraît nécessaire ?
RépondreSupprimerJe n'ai pas rouvert Cthulhu Invictus depuis sa sortie, donc je dirai qu'il est dispensable.
RépondreSupprimerJ'ai acheté le PDF et lu le premier scénario, tout à fait chouette. J'aime bien le concept de l'histoire et ce qu'on peut en faite.
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