Dead but Dreaming 1 & 2

Lors de la première décennie du siècle, Miskatonic River Press a été une petite maison d’édition biclassée littérature et jeu de rôle. Ce fut la dernière aventure de Keith Herber, à qui L’Appel de Cthulhu doit énormément, et pendant un temps, Kevin A. Ross, qui a eu un impact à peine moindre sur le jeu, a repris le flambeau.

MRP a disparu il y a quelques années, mais une bonne partie de ses auteurs et de ses projets sont passés chez Golden Goblin Press. Pour l’instant, GGP ne fait pratiquement que du jeu de rôle, mais on peut toujours espérer qu'un jour, ils se lancent dans la littérature...

Au cours de ses dix ans et quelque d’existence, MRP a produit un grand nombre de petits bijoux, au premier rang desquels les deux anthologies Dead but Dreaming.


Dead but Dreaming (2002 et 2008)




Avec à peine 210 pages, ce volume est relativement mince. Il s’ouvre sur une note d’intention de Kevin Ross, qui m’a fait faire de petits bonds de joie. En effet, il a demandé aux auteurs d’arrêter d’arpenter toujours les mêmes sentiers battus, de cesser d’expliquer et de revenir à l’horreur cosmique, aux entités incompréhensibles et à leurs effets sur de pauvres humains.

Bref, exactement ce que je cherche dans ces foutus recueils de pastiches tout pourris qui ont autant de rapport avec Lovecraft qu’une armoire Ikea avec de l’ébénisterie de luxe, et que j’ai retrouvé chez Joshi par la suite.

Dans l’ensemble, le pari est gagné. À de très rares exceptions près, il n’est pas question d’horreurs connues et l’incertitude fonctionne. Dans la postface de l’édition de 2008, Kevin Ross qu’en dépit d’un tirage microscopique, la première édition a été considérée comme la meilleure anthologie cthulienne du début des années 2000. Je suis tout prêt à le croire sur parole.

Epiphany : A Flying Tiger Story, par Stephen M. Rainey, nous parle des misères d’un aviateur américain des « Tigres Volants », quelque part au-dessus de la Birmanie, pendant la Seconde guerre mondiale. Cela nous donne huis clos à un seul personnage. Marrant, le parallèle qui me vient est le Horla, ce qui est franchement excessif, mais…

The Aklo, par Loren Mcleod. Un duo d’explorateurs, le Sahara, les années 20, une cité perdue dans le désert. Un ou deux détails historiques m’ont fait tiquer, mais sinon, ça passe tout seul, et c’est une des rares nouvelles du recueil à jouer la carte de l’Histoire avec un grand H.

Bangkok Rules, par Patrick Lestewka. Les bas-fonds de Bangkok, une dose de gore, une dose de sexe, une dose de violence et un accompagnement de tentacules… la recette n’est pas originale, mais le plat est bien présenté.

Why We Do It, par Darrel Schweitzer. Avec ses trois pages, c’est l’histoire la plus courte du recueil. J’ai bien aimé la chute.

The Disciple, par David Barr Kirtley. Une histoire d’universitaires avec un protagoniste chafouin, un méchant mesquin, et une fin marrante. Encore une histoire court, mais j’adhère.

Salt Air, par Mike Minnis. Kingsport dans les années vingt, une narration plus diffuse que les autres histoires du recueil, un mal un peu moins cosmique… et, au final, une jolie réussite dans un genre mineur.

Through the Craks, par Walt Jarvis. De la schizophrénie considérée comme une possession par des entités démoniaques. Elle est bien faite, mais pour une raison ou pour une autre, elle ne m’a pas embarquée.

The Unseen Battle, par Brian Scott Hiebert. Cadre inhabituel : Tahiti. Époque un peu moins inhabituelle : le début des années vingt. Narratrice inhabituelle : une gamine de quatorze ans, franco-polynésienne, qui rêve de voir Paris. En dépit du cadre, je vous la garantis sans hommes-poissons. Rien que pour ça, je la classe parmi les réussites.

Bayer’s Tale, par Adam Niswander. Simple et efficace, elle commence comme un épisode de série télé policière et se termine avec un narrateur qui file se planquer en Arizona, loin de la mer. Ele n’est pas enthousiasmante, mais même une histoire mineure comme celle-ci me laisse une bonne impression.

The Call of Cthulhu : The Motion Picture, par Lisa Morton. Des déboires d’un scénariste engagé pour rédiger le scénario d’un film d’horreur basé sur la nouvelle de Lovecraft. Une réussite à tous les égards, avec une structure qui reprend celle de la nouvelle originale en la trafiquant juste ce qu’il faut et une fin ouverte.

Under an Invisible Shadow, par David Bain. Très courte, bien maîtrisée et assez bizarre. J’aime, alors que les zombies ont tendance à me sortir par les yeux en ce moment – oui, il y a des zombies. Une pleine apocalypse de zombies, puis les Grands Anciens. La première lame coupe le poil, la seconde veille à ce qu’il ne repousse pas.

The Thing Beyond the Stars, par Robin Morris. Le space opera cthulhien n’est pas encore devenu un sous-genre à part entière, mais il se pourrait que cela arrive un jour. Si cela se produit, cette nouvelle figurera parmi les précurseurs. Loin dans l’avenir, voyage supra-luminique, diaspora humaine… et coucou, nous ne sommes pas seuls.

Fire Breathing, par Mehitobel Wilson. Une histoire à chute, flippante sans excès. Elle ne sort pas du lot, mais elle est à sa place.

The Other Names, par Ramsey Campbell. Signée d’un vétéran de l’horreur cthulhienne en activité depuis les années 60, c’est l’une des rares à brandir la quincaillerie habituelle des livres maudits et des dieux extérieurs, mais c’est fait sous un angle très inédit. J’aime, sans réserve.

Final Draft, par David Annandale. Alerte, délire bizarroïde ! L’auteur se serait-il fait mordre par une cathédrale gothique dans sa jeunesse ? En tout cas, il a un problème avec elles. Blague à part, cette drôle d’histoire conclut le recueil en beauté.

Au bilan, tout le recueil m’a laissé une bonne impression, avec une petite préférence pour The Call of Cthulhu : The Motion Picture et The Other Names. Je complète le tiercé de tête par Final Draft. Tout le reste oscille entre le « sympa » et le « bon ».


Dead but Dreaming 2 (2011)


Cette anthologie est de Kevin Ross tout seul, Keith Herber ayant eu la très mauvaise idée de s’embarquer pour les étoiles à la fin des années 2000. Je la trouve peut-être un très léger cran en dessous de la première, mais Kevin Ross s’en explique dans sa préface : il a adouci les contraintes qui pesaient sur les auteurs, les laissant utiliser les « briques » du Mythe de Cthulhu plutôt que de confronter leurs personnages à des terreurs inconnues. C’est un choix, et l’ensemble reste très convenable.

Taggers, par Walter Jarvis. Cette excellente petite histoire très maîtrisée commence comme une enquête policière sans histoire et finit sur un crescendo spectaculaire. Autant on peut discuter de l’existence du sous-genre « space opera cthulhien », autant celui de « l’histoire de flics qui dérape » est solidement établi.

The Unfinished Basement, par William Meikle. Où un promoteur achète une maison et de gros ennuis… dans une direction radicalement imprévue qui n’a que peu de rapports avec ce que le titre laisse entendre. Sympathique.

Plush Cthulhu, par Don Webb. Une histoire courte, bizarrement structurée, qui donne l’impression qu’il faudrait la relire pour comprendre ce que l’auteur a bien pu vouloir raconter. Raté : je n’ai pas envie de faire l’effort, et ce même s’il y a un cthulhu en peluche dedans. C’est dire.

Class Reunion, par Darrell Schweitzer. Ce cocktail « Cthulhu + Harry Potter » qui m’a fait sourire, sans plus. Darrel Schweitzer a été plus inspiré.

First Nation, par Scott David Aniolowski. Encore une histoire qui ne part pas tout à fait dans la direction attendue, et c’est tant mieux. Scott D. Aniolowski a fait partie des auteurs réguliers de Chaosium pendant des années, et je n’aimais pas tellement ses scénarios. En revanche, j’apprécie ses nouvelles. Comme quoi…

Your Ivory Hollow, par W. H. Pugmire. Un pastiche assez brillant de Lovecraft première manière, avec des poètes décadents, un crâne pas comme les autres et tout ce qui s’ensuit. Je me demande si c’est un hasard que le protagoniste s’appelle « Johan Goodrich », vu qu’il y a un « John Goodrich » au sommaire…

The Spell of Eastern Sea, par Michael Tice. « Dans le port de Kingsport / Y a des marins qui r’viennent ». Maligne et bien racontée, mais elle ne changera pas la face du monde, ni celle du mythe de Cthulhu.

Dark Heart, par Kevin Ross. Ciel, un anthologiste qui succombe à la tentation de retenir une de ses nouvelles ! Dans ce cas, il a plutôt bien fait. Cette variation sur le thème des enfants perdus est plutôt agréable à lire.

Transmission, par T.E. Grau. Un protagoniste, un lieu, un événement, et le mythe de Cthulhu sous sa forme « plutonium mental ». J’aime beaucoup !

N is for Neville, par John Goodrich. Peut-on aimer une histoire où le méchant s’appelle le Crocodile de l’Ultime Vérité ? Ce n’est pas qu’elle soit mauvaise, au contraire, c’est un joli pastiche des histoires égypto-sobeko-nyarlatho-pipô de Robert Bloch, mais il faut être balèze pour terrifier les gens avec le Crocodile de l’Ultime Vérité, et l’auteur n’y arrive pas complètement. (Et oui, j’ai conscience de la volonté de second degré, de l’ironie de la bande de ringards qui invoque un truc au nom tout naze et patin couffin, mais ça n’a pas fonctionné sur moi, voilà tout.)

The Timucuan Portal, par Daniel W. Powell. L’histoire courte et brutale d’un bonheur familial qui s’arrête. Le Mythe est juste un prétexte pour la raconter, tout comme l’horreur était un prétexte pour Stephen King quand il a raconté Simetierre. Powell ne fait pas aussi bien que son illustre devancier, mais elle fonctionne très bien.

No Healing Prayers, par Joseph S. Pulver, Sr. Ah ! Joseph ! Pulver ! Senior ! Histoire courte. Phrases hachées. Sans verbe. Pour l’effet. Effet ? Donne mal à ma tête à moi. Suis primitif, aime phrases complètes. Pas client pour ça. Vraiment pas. La relire un jour ? Dans longtemps ? Peut-être mieux quand serai vieux ?

The Dissipation Club, par Adrian Tchaikovsky. Une mignonne histoire autour d’un club très très britannique, impossible à résumer sans gâcher ses surprises.

Lure, par David Annandale. En gros, cette nouvelle se situe à la conjonction entre deux propositions lovecraftiennes : « les bibliothèques sont dangereuses et on ne sait jamais si on va en sortir vivant » et « juste regarder un livre maudit vous ravage le cerveau ». Si on accepte ces prémices, elle fonctionne plutôt bien.

The Call, par Rick Hautala. Une histoire de transmission père-fils plutôt bien fichue, où le mythe joue un rôle secondaire par rapport aux émotions du narrateur. (Notez que ce n’est pas un défaut, et que cette manière de s’en servir est, en définitive, l’une des plus efficaces qui soient, c’est juste que je le remarque quand il y en a plusieurs dans la même anthologie.)

Christmas Carrion, par Donald R. Bruleson. Une courte histoire qui retourne Le Terrible Vieillard comme une chaussette et qui m’a bien plu, mais il faut dire que j’ai toujours aimé le Terrible Vieillard.

The Depopulation Syndrome, par Erik T. Johnson. Les abeilles disparaissent… et l’humanité va bientôt les suivre. Bonne base, narration pas désagréable, mais je n’ai pas adhéré.
Uncle Sid’s Collection, par Cody Goodfellow. Là, en revanche, j’ai eu un peu de mal à entrer dedans, mais une fois le petit effort nécessaire effectué, je me suis régalé.

Father’s Day, par Brian M. Sammons. Une histoire à chute dont j’ai deviné la fin à mi-parcours, qui repose sur un jeu de mots à peu près impossible à traduire correctement. Je souhaite bien du plaisir au malheureux qui se confrontera à ce défi !

Innsmouth Idyll, par Darrell Schweitzer. Émois adolescents, plage et nostalgie. Pensez à une chanson de Laurent Voulzy avec des monstres marins en sus. Encore une bonne histoire plus axée sur les sentiments que sur le grand-guignol.

The Hour of Our Triumph, par Will Murray. Le Soleil s’éteint, la Lune explose, la fin du monde est là ! Une poignée de héros se tient entre l’humanité et l’extinction ! Envoyez le générique ! Mais est-ce le générique d’un film à gros budget… ou juste le générique de fin ? Autant je suis peu réceptif au genre « surhommes contre pieuvres géantes », autant là, j’admets qu’il y a un truc.

Here Be Monsters, par Pete Rawlik. Où un océanographe nous raconte la suite de L’Appel de Cthulhu… et où le rideau tombe sur une bonne dernière histoire.


Après réflexion, je renonce à donner un palmarès : à de très rares exceptions près, toutes ces nouvelles m’ont laissé un bon souvenir.

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