L'Anneau Unique - Histoire d'une gifle

Famous Last Words

La chronique de Ben à propos du recueil de scénarios pour l'Anneau Unique m'a donné l'envie de donner sa chance à ce jeu, qui était encore sous cellophane sur mon étagère. Le premier jeu de rôle que j'avais acheté, adolescent, était JRTM, choisi collectivement par le groupe que je venais de mettre sur la pied pour sa couverture. Las, aucun d'entre nous n'était tolkienophile, et encore moins étaient capables de supporter la quantité de règles de ce Rolemaster-Light. Après la lecture de tous les effets des tables de coups critiques et de fumbles et quelques tentatives infructueuses de scénarios avec des magiciens, des Noldor, des Nains bardés de Mithril et des Rangers Dunedain, nous avions laissé ce jeu de côté, pour nous consacrer aux joies simples de Bitume et de Stormbringer.

"Steuplé, Galad', tu peux lui faire un Cure Light Wounds ? L'animiste du groupe a mangé un 100 sur la table des coups critiques perforants [1]."
Quelques décennies plus tard, vers la fin de ma vie de rôliste actif, je tentais une dernière fois de revenir à l'univers de Tolkien comme un vieux musulman entreprendrait le Hajj en sachant que ses jours sont comptés. Las, le moyen choisi, le Seigneur des Anneaux de Decipher, bâclé et mal traduit, était à peu près aussi fiable qu'une galère esclavagiste pour traverser la Méditerranée. Ce truc ressemblait plus à un artbook des films avec des pavés de stats rajoutés sous les photos, qu'à un jeu véritable. Et je ne sais pas pour vous, mais si les illustrations d'Angus McBride m'avaient fait rêver, voir s'étaler sur la moitié des pages le regard aux yeux exorbités et larmoyants de Frodo suffit à doucher mon imaginaire.

N'insiste pas, j'y jouerai pas à ton jeu !
Chenu et retraité (de ma vie de rôliste), je me suis récemment acquitté de mon achat de l'Anneau Unique comme de la zakat, pour continuer à filer la métaphore. Je l'avais acheté principalement sur la foi des illustrations, sans imaginer le lire ou même y jouer, mais le pitch m'avait bien plu : jouer dans les Terres Sauvages autour de la Forêt Noire juste après la Bataille des Cinq Armées, explorer avec des PJ locaux les terres environnantes, et vivre progressivement, année après année, la lente montée en puissance vers la Guerre de l'Anneau.



J'ai lu avec un plaisir inattendu le livre de base, qui n'est pas loin de proposer ce qui est pour moi le dosage idéal de règles et d'interprétations improvisées. Un combat avec juste ce qu'il faut d'aspects tactiques pour être autre chose qu'une succession de jets de dés ; un aspect de jeu collectif ou collaboratif avec la Communauté, et une phase légère de gestion annuelle comme dans Pendragon ou le Trône de Fer. J'ai apprécié que le jeu mette l'emphase sur les voyages et les interactions en les soutenant par un mécanisme plus destiné à orienter ces phases de l'histoire qu'à les simuler complètement. On reste heureusement très loin d'un Dying Earth ou des règles de duel social que l'on peut trouver dans d'autres jeux, et après tout, si le combat est géré par des règles, pourquoi ces phases, dès lors qu'elles représentent des difficultés pour les PJ, ne le seraient pas ?

"C'est pas par là, les gars. Fallait pas tout mettre en Intimidation et Négociation."



Plaisir inattendu, donc, car je pensais que comme pour tous les jeux tirés de l'univers de Tolkien que j'avais essayé avant celui-là, je me sentirai dépassé par cet univers que je ne connais que très superficiellement. Mais, loin de limiter ou restreindre le jeu, circonscrire le cadre aux Terres Sauvages, la région autour et englobant la Forêt Noire, et d'en faire un cadre évolutif, avec une chronologie des événements survenant entre ceux de Bilbo le Hobbit et ceux du Seigneur des Anneaux, ouvre des perspectives et stimule l'imagination.


"Tremble, mortel, devant l'épée de Noldorak !"

Que joue-t-on, dans l'Anneau Unique ? Des héros voyageurs, issus des différents peuples des Terres Sauvages (nains, elfes, hommes, hobbits). La magie est rare et les talents d'exploration, de négociation et de survie sont indispensables. Les personnages sont enracinés dans les Terres du Milieu par leurs compétences et leurs ressources sociales, ainsi que leur appartenance à une culture (Hommes des Bois, Elfes de la Forêt Noire, Béornides...), qui non seulement détermine caractéristiques et compétences, mais oriente également les vocations possibles parmi les cinq proposées : érudit, tueur, chasseur de trésor, vagabond et protecteur. C'est l'association culture + origine qui fait la principale particularité du personnage, et les suppléments enrichiront les choix de départ en proposant des cultures supplémentaires au fur et à mesure de l'extension du background : on trouvera dans le supplément de l'écran qui détaille Esgaroth, la culture des hommes du Lac.   

"Ouais, je vois bien que t'es un elfe. Et alors ? Tu me prends pour une Suzelle ?"
Macho Women With Swords
Le jeu est empreint d'une tonalité tragique, en raison d'un système élégant qui balance part d'Ombre et points d'espoir, et de la mélancolie et de la saudade créées par le décor du jeu : terres désolées, vestiges de jours glorieux, lambeaux de civilisations décadentes. Le magnifique scénario du guide critiqué par Ben, Ceux qui s'en vont, en est la meilleure illustration. Le résultat est suffisamment enthousiasmant pour donner à quelqu'un comme moi, davantage connaisseur de l'oeuvre de Peter Jackson que des novellisations de ses films par ce M. Tolkien, l'envie d'écrire des scénarios de voyage, de découvertes de paysages somptueux abandonnés par l'homme, de lutte contre les éléments, et de rencontres inopinées. Je me plais à imaginer mes futurs PJ, blottis autour d'une bière au miel à côté d'un âtre rougeoyant, penchés au-dessus d'une carte détrempée pour préparer la suite de leur expédition.


Les sanglots longs de l'automne, bercent mon coeur d'une langueur monotone.



Le livre, très joliment illustré et mis en page, commence à être à la tête d'une jolie gamme. Elle propose un écran, aussi esthétique que le livre de base, accompagné de la description d'Esgaroth, la nouvelle Ville du Lac. Les suppléments sont groupés par thème, et le premier est très logiquement les Terres Sauvages. Il y a tout d'abord un Guide des Terres Sauvages (The Heart of the Wild), un sourcebook qui avec juste ce qu'il faut de profondeur les rives de l'Anduin, les Monts Brumeux et bien sûr la Forêt Noire : histoire, géographie, cultures, PNJ, légendes. Vous pouvez l'utiliser pour créer vos scénarios, ou vous appuyer dessus pour jouer ceux des Contes et Légendes des Terres Sauvages (Tales of Wilderland) ou la campagne Ténèbres sur la Forêt Noire (The Darkening of Mirkwood). Celle-ci reprend le modèle de la grande campagne de Pendragon en proposant un fil directeur de 30 ans d'intrigues épiques et de scénarios variés. Il y a pas mal de préparation à prévoir pour le MJ, mais les intrigues sont suffisamment étoffées pour lui permettre de les adapter aux groupes successifs d'aventuriers qui suivront cette histoire, qui comprend de nombreux morceaux de bravoure et des rencontres avec les principales personnalités des Terres du Milieu.  




Les suppléments suivants s'éloignent des Terres Sauvages proprement dites. Fondcombe (Rivendell) décrit bien évidemment le vallon d'Elrond, mais aussi les terres désolées de l'Eriador, à côté desquelles les Terres Sauvages ressemblent à un agréable site touristique. On y trouve deux nouvelles cultures, à proposer à des joueurs aguerris (ou des fans absolus) : les hauts-elfes de Fondcombe et les Rôdeurs du Nord. Fondcombe permet également d'approfondit le supplément de scénarios Ruins of the North, qui contiendra six aventures pouvant être reliées ensemble pour former une campagne, exactement comme fonctionnent ensemble le Guide des Terres Sauvages et Contes et Légendes des Terres Sauvages. J'espère qu'ils feront d'autres dyptiques sur ce modèle, et que la gamme aura la longévité de celle de JRTM.

"Chope le hobbit pleurnichard ! Chope ! Chope !"

[1]"Shot pierces foe through both ears. All earwax removed. Unfortunate lummox expires immediately."

Commentaires

  1. Mais au fait, il s'inspire plutôt des romans ou des livres ?
    (non pas que les romans forment un corpus uniforme, il y a un gouffre de Helm entre le Hobbit, LotR et The Children of Hurin)

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  2. Sur le making of du jeu les éditeurs avouent leur inspiration : The text, the text, the text.

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  3. C'est un très bon jeu. Mais il faut l'envisager plus comme un Appel de Cthulhu que comme un D&D. En effet, tôt ou tard les PJs succomberont à leur part d'ombre. il faut que les joueurs en soient conscient.

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