J'adore Mage. Autant le dire d'emblée, cette opinion du jeu, forgée au fil de nombreuses parties depuis 1993 va forcément teinter ma critique de la dernière édition parue il y a quelques semaines. C'est sans doute (et de loin) le jeu contemporain qui a le plus enflammé mon imaginaire.
D'ailleurs, il est trompeur de dire qu'il s'agit de la dernière édition, même si c'est bien la dernière en date. C'est en fait un reboot largement étendu de Mage : 2nd Edition sorti en 1995. Comme toutes les parutions Onyx Path / White Wolf, ces précisions sont importantes, parce que les différences de parti pris entre les éditions successives de leurs jeux en faisaient des engins sensiblement différents. Cette edition là (généralement abrégée en Mage 2nd) est celle qui fait référence parmi les amateurs de Mage: L'Ascension, qu'il ne faut évidemment pas confondre avec Mage: L'Eveil, l'incarnation de mage du nouveau World of Darkness qui est encore moins le même jeu. Tout ça pour dire qu'il ne faut pas vous attendre à une refonte en profondeur du système de jeu, c'est du vieux World of Darkness, comme si les 20 ans de développement ludiques que nous venons de vivre n'étaient pas passés par là.
Enfin bref, à Mage, on joue des mages. Jusque là, rien de bien surprenant. Sauf que la particularité de la magie de ce jeu, c'est que c'est une métaphore pour un hacking de la réalité. Comme tous les fans de Mage, lorsque j'ai vu Matrix pour la première fois je me suis dit que la fratrie Wachowski avait du passer du temps à faire rouler des d10 dans cet univers. La principale différence c'est que dans l'univers de Mage ce ne sont pas des humains inconscients qui rêvent le monde normal, mais les gens de tous les jours qui en projettent les règles par leur inconscient collectif. Ce que les gens croient forge la réalité, et les mages le savent. Ils le savent parce qu'ils peuvent manipuler cette réalité. Et ils se livrent une guerre occulte à qui la contrôlera à travers l'inconscient collectif.
Une autre différence avec Matrix c'est qu'il n'y a pas qu'une manière de hacker la réalité. En fait, il y en a une infinité, mais ces méthodes sont essentiellement cosmétiques: si vous avez appris à manipuler la matière inerte en utilisant des poudres alchimiques, c'est votre manière de hacker la réalité. Mais un autre mage qui aurait appris à le faire en utilisant un rayon ionisant portatif le fera de cette manière là. Dans les éditions historiques de Mage, deux grandes factions étaient décrites. Les mages des Traditions qui utilisent des méthodes 'ésotériques' pour manipuler la réalité, des choses que d'aucun qualifierait de 'magique'; et les mages de la Technocratie qui utilisent des méthodes 'scientifiques'.
Dans toutes les incarnations 90s du jeu, les personnages des joueurs étaient des mages des Traditions, la Technocratie étant un ennemi implacable ayant largement gagné la guerre pour contrôler la réalité en imposant à l'inconscient collectif le paradigme scientifique. Mais parmi les suppléments de la 2nde édition, le Guide de la Technocratie prenait une approche un peu différente, partant du principe que les Technocrates n'étaient pas tous des salauds et qu'il pouvait être intéressant de jouer le jeu de leur point de vue. Mage 20th va plus loin en intégrant également de nombreuses traditions 'non alignées' ou persécutées décrites au fil des suppléments de la gamme originelle et réunies sous une nouvelle faction, les Disparates.
Vous l'aurez compris, Mage 20th est un reboot, mais pas une clé d'entrée. Le parti pris est de produire un jeu qui ressemble à l'original (il n'y a presque aucun aménagement de règles, tout au plus quelques clarifications ou propositions optionnelles) mais qui réunisse en un seul ouvrage une distillation de l'essentiel de la gamme. Du coup, le livre est énorme (700 pages), extrêmement dense, et d'une richesse qui frise l'indigestion, quand elle ne l'embrasse pas franchement.
Si j'avais voulu amener de nouveaux joueurs et maîtres à Mage - objectif que je pense louable vu l'avis que j'ai sur le jeu - je m'y serais pris autrement. Mais Mage 20th a été financé par les nostalgiques du jeu, pas par de nouveaux joueurs potentiels. Au final donc, le résultat est mi-figue mi-raisin.
Tous les éléments qui font de Mage un jeu exceptionnel sont là: un contexte plutôt plus intelligent que la moyenne, des enjeux forts pour les PJs, un système de magie freeform mais cadré qui non seulement fonctionne bien à l'usage mais ouvre réellement les possibilités pour les joueurs d'influer sur le monde, des antagonistes intéressants et originaux, etc.
Du coup, si vous connaissez déjà Mage et ses concepts essentiels, Mage 20th est par beaucoup de côtés un excellent achat. D'abord parce qu'il y a un gros effort de synthèse de l'ensemble de la gamme, dont probablement une tripotée d'ouvrages que vous n'aurez pas lus et qui comportent des éléments de décors ou des idées narratives franchement sympas. Ensuite parce qu'il y a en parallèle un vrai travail de cohérence, de définition de certains concepts et de clarification d'aspects intéressants mais peu clairs du jeu dans les éditions et les gammes précédentes. En particulier, le fameux (mais pas toujours en bien) metaplot White Wolf - qui avait été développé au fil des gammes précédentes - est intégré dans le background sans être imposé pour autant: pour chaque élément structurant du metaplot, un encadré explique comment s'en passer et les implications sur d'autres aspects du background.
Mais le foisonnement de Mage, et l'approche assez pédante de le gamme sur certains points n'ont pas tout à fait disparus, et c'est là que le bât blesse. Que le jeu commence par 11 pages d'une nouvelle écrite en voix multiples avec des polices de caractère bizarres sur fond violet est déjà assez violent. Que ce soit presque directement suivi par 10 pages de lexique des termes spécifiques au jeu enfonce le clou. Mais les 75 pages qui suivent, racontées à la première personne et sensées expliquer les concepts du jeu sont verbeuses, noyées de références inutiles à l'historique du jeu et pétries de symbolisme Tarologique qui ne font que rendre les choses plus confuses. C'est comme si on avait délibérément voulu faire fuir les newbies.
Et c'est malheureux, parce que malgré la lourdeur et le foisonnement du bouquin, inévitable vu les partis pris, il y a des choses vraiment chouettes dans cette nouvelle ancienne édition. D'abord, l'historique du background, à ma connaissance jamais réuni en un seul endroit. Il est concis (presque trop par moments) et très inspirant. Tout le chapitre 5 qui décrit l'histoire des mages et les factions est très bien fait, même si le choix de décrire la moindre petite tradition mentionnée dans un supplément historique me semble overkill. Mais il suffit pour le coup de passer ces sections pas indispensables pour éventuellement y revenir plus tard.
D'une manière générale d'ailleurs, c'est à mon avis la bonne manière d'utiliser ce bottin qu'est Mage 20th: une fois les concepts de base du jeu assimilés et avec une ou deux parties derrière lui le MJ - même débutant à Mage - pourra à loisir picorer ici ou là des idées pour alimenter ses parties. Je me demande d'ailleurs si la meilleure approche ne serait pas de lire et même de jouer ces premières parties avec les Quickstart Rules de Mage 20th pour ensuite se plonger dans l'édition complète. C'est un peu regrettable que la concision du Quickstart ne se retrouve pas dans les chapitres introductifs du bouquin principal, mais au moins il y a une alternative.
Au chapitre des défauts, d'ailleurs, je ne peux pas clore cette (longue et verbeuse, quelle ironie!) chronique sans vous parler des illustrations du jeu, qui sont - à quelques rares exceptions près - absolument immondes. Il est hallucinant de penser qu'avec plus de 600 000 $ de kickstarter Onyx Path ait été incapable de commander des illustrations dignes de ce nom. On oscille entre le mauvais et le franchement horrible, et les quelques illustrations à conserver sont presque toutes issues d'anciens suppléments White Wolf.
Au final, et malgré ses indéniables défauts, Mage 20th est quand même un bon bouquin de jeu de rôle, et c'est l'essentiel. Pour ceux qui connaissaient le jeu de près ou de loin, il vaut le coup parce qu'il est complet et bourré d'options qui permettent à chacun de se faire "son" univers de Mage. Cette approche est d'ailleurs salutaire parce que ça rend d'autant plus facile le fait d'ignorer des pans entiers du background s'ils n'ont pas d'incidence sur ce que les joueurs et le MJ veulent jouer. Ca a toujours été vrai, mais c'est toujours mieux quand c'est écrit noir sur blanc.
Pour des débutants qui n'auraient pas connu les joies de Mage, c'est plus compliqué: le jeu est déjà intimidant à la base, alors un bouquin aussi foisonnant risque d'effrayer à juste titre. Du coup, même si je continue à penser que c'est un jeu que tout le monde devrait découvrir, je suis plus réservé à l'idée de le recommander 'à sec'. Lisez le Quickstart, faites vous inviter à une ou deux parties ou lisez le compte-rendu de ma campagne en cours, et après seulement, si vous sentez que c'est pour vous, vous serez prêt à affronter le gros tome violet.
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