L’idée de base de S.T. Joshi était apparemment de réaliser
une anthologie autour des Montagnes
hallucinées, mais dans ce cas, un certain nombre d’auteurs se sont perdus sur
la route de l’Antarctique. Même si on retrouve pas mal de noms familiers dans la table des matières, l’ensemble est relativement inégal, en tout cas davantage que dans
les Black Wings of Cthulhu, du même
anthologiste.
• At the
Mountains of Murkiness, d’Arthur C. Clarke, est un document historique :
un pied de nez / hommage que le petit Arthur, âgé de 22 ans, adresse à
Lovecraft trois ans après la mort de ce dernier. Ses explorateurs de l’Antarctique
découvrent des monstruosités préhumaines disertes et bien élevées, mais fermement décidées à conquérir le monde. On sourit, on se dit que certains jeux de mots ont
cessé d’être drôles entre 1940 et notre époque, et on passe à la suite.
• The Filmore
Shoggoth, d’Harry Turtledove, se déroule dans les années 60 à San
Francisco, et met en scène les musiciens d’un groupe baptisé HPL. Turtledove,
expert en uchronies, en crée une où Anciens et shoggoths sont connus du grand
public. Du coup, on n’est plus réellement dans l’horreur, mais dans quelque
chose de solide, carré, bien fait et agréable à lire. Mémorable ? Non,
faut quand même pas demander l’impossible.
• Devil’s Bathtub,
de Lois Gersh, nous ramène en Antarctique, du côté du lac Vostok. Il y a donc
un chien, une petite fille, son papa, l’assistant de son papa… et ils ne sont
pas tout seuls. J’ai une anthologie Chaosium de Lois Gersh dans ma pile depuis
longtemps, cette courte nouvelle m’a donné envie de l’en extraire, et ce n'est pas la première fois que je repère son nom.
• The Witness in
Darkness, de John Shirley, reprend la trame des Montagnes hallucinées en changeant de narrateur. L’idée n’était pas
mauvaise, mais elle est sans doute un poil trop longue pour être réellement
efficace.
• How the Gods
Bargain, de William B. Spencer, est amusante, bizarre, et n’a pas
grand-chose à voir avec Cthulhu, à moins de considérer qu’un panneau marqué
« Elders General Store » est un imparable marqueur cthulhien.
• A Mountain
Walked, par Caitlin R. Kiernan, nous promène dans l’Utah des années 1870,
au milieu d’une expédition paléontologique. Peu importe son rapport inexistant avec
les montagnes Hallucinées, je l’ai beaucoup aimée. Comme celui de Lois Gersh, le nom
de Caitlin R. Kiernan revient très souvent dans ces anthologies, et presque à
chaque fois, j’apprécie ce qu’elle écrit.
• Diana of the
Hundred Breasts, de Robert Silverberg, est extrêmement intéressante. Pas
vraiment par ce qu’elle raconte – Silverberg se dépêtre honorablement de son
histoire d’archéologues et de tombe maudite, sans plus – mais par les
effets de bord induits par un personnage secondaire. Par l’intermédiaire
du gentil Mr. Gladstone, Silverberg nous glisse que l’horreur lovecraftienne ne peut fonctionner à plein régime que sur des
athées ou des incroyants. Sur des esprits religieux, un monstre surgi du
fond des âges est juste un démon ou le signe d’un malaise spirituel. Il en
découle une clé possible sur la réception de Lovecraft en France : est-il envisageable qu’il
marche si bien par chez nous parce que nous sommes le pays le plus
déchristianisé d’Europe, et que la densité de croyants au mètre carré aux USA
explique la relative indifférence dont il a été victime ?
• Under the Shelf,
de Michael Shea, est une déception. Deux mini-sous-marins explorant le dessous
de la grande banquise antarctique ? Excellente idée. Pilotés par deux
sœurs sexy ? Moui, bon. Qui ont l’excellente idée d’embarquer des
pistolets-mitrailleurs, juste au cas où elles seraient obligées de faire
surface et se feraient agresser par des animaux géants ? Je lâche
l’affaire à l’instant où elles dégainent.
• Cantata, de
Melanie Tem, est une courte nouvelle où il est question de contact avec une
humanité différente, qui ignore la musique. Elle a un petit côté « Robert
Sheckley collabore avec H.P. Lovecraft » rigolo.
• Cthulhu Rising,
d’Heather Graham, est longue et ambitieuse, sans doute trop. Soit un paquebot
fantôme surgi des glaces après quatre-vingts ans d’oubli, en étrangement bon
état. Soit un armateur qui décide de lui faire traverser l’Atlantique avec à
son bord un groupe de savants et un groupe de « chasseurs de fantômes »,
qui sont bien sûr rivaux. Tout cela tourne mal de manière un
poil prévisible.
• The Warm,
de Darrel Schweitzer, est un riff très réussi sur Le modèle de Pickman. Rien à voir avec l’Antarctique ou les
shoggoths, mais je l’ai beaucoup apprécié. J’aime bien les goules, que
voulez-vous…
• Last Rites,
de K.M. Tonso, met en scène le fils du professeur Dyer et son jeune protégé,
décidés à découvrir la vérité sur ce qui s’est passé lors de l’expédition polaire
de 1931. Elle se lit comme le compte rendu d’un scénario de L’Appel de Cthulhu rédigé par un gars
qui n’aurait pas le même souci de réalisme que Lovecraft – on va à l’asile
interroger un survivant, on part en Antarctique, on plonge sous la banquise… et
globalement, on est content quand ça s’arrête.
• Little Lady,
de J.C. Koch, relève du western, tendance « spaghetti mou ». Une
bande d’affreux met une ville à sac et embarque une jeune métisse indienne,
celle-ci leur propose un boulot… Il s’ensuit un très long périple au cours de
laquelle les affreux disparaissent un par un, jusqu’à ce que les survivants
arrivent à la fin absolument prévisible et absolument méritée à laquelle on
s’attendait dès la deuxième page.
• White Fire,
de Joseph S. Pulver Sr, est une expérience stylistique inspirée de Jack London.
Comme je n’ai pas lu de London en anglais, je ne suis pas qualifié pour la
juger, mais le staccato de phrases à la London masque mal la faiblesse de
l’histoire. Il est vrai que ce n’était peut-être pas le propos.
• A Quirk of the
Mistral, de Jonathan Thomas, se passe quelque part en Provence, de nos
jours, et met en scène un biologiste marin à la retraite qui fait une
découverte anormale dans son petit coin de campagne. Elle est bizarre, toute en
atmosphère et en ambiance, et vous laisse avec plus de questions que de réponses. Elle n'en représente pas moins un soulagement après deux histoires faibles et une expérience stylistique.
• The Dog
Handler’s Tale, de Donald Tyson, est une autre re-narration des Montagnes hallucinées, cette fois du
point de vue d’un maître-chien. Elle propose de belles descriptions, notamment
de la Grande Barrière, mais n’offre strictement aucune surprise.
Au bout du compte, je garde Devil’s Bathtub, A Mountain
Walked, Diana of the Hundred Breasts,
The Warm et A Quirk of the Mistral. Le reste est honnête sans être mémorable, à part Under the Shelf, qui est médiocre, Last Rites et Little Lady, qui sont loupés.
(Titan Books,
anthologie de S.T. Joshi, 300 pages, 16 nouvelles, environ 15 €, un second
volume vient de sortir, il faudra que je me le procure quand ma pile-à-cthulheries aura un
peu descendu.)
PS : mon
correcteur orthographique, qui ne manque pas d’à-propos, a insisté pour
remplacer partout « shoggoth » par « chocottes ». Je l’avoue,
j’ai été tenté de le laisser faire.
Je note le Silverberg et je vais essayer de le trouver.
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