Bon, oui, Vampire : la
Mascarade a été une claque à sa sortie. On le dit et le redit : c’est
un jeu qui a apporté tout un tas de trucs très importants au jeu de rôles. Sa
plus grande qualité étant que c’était le premier jeu qui attirait les joueuses.
On faisait de la politique (enfin, on essayait), on se torturait l’âme pour
balancer l’équilibre entre sauvagerie et Humanité. Ça traduisait tout notre mal
être de jeunes. L’oppression du système socio-politique gérontocratique des
caïnites entrait en résonnance avec notre détestation de ce putain de monde
hérité de nos parents. La Bête intérieure, c’était à la vérité une allégorie de
nos hormones qui bouillonnaient. Vampire nous permettait d’être cools à un
moment de notre vie où tout conspirait à faire en sorte que nous ne l’étions
pas dans notre petit quotidien étriqué.
Mais Vampire, c’était aussi le nawak. On se gargarisait de théâtralité
tout en jetant des brouettes de d10 pour permettre à nos super-héros dark en
cuir de soulever des voitures pour les jeter sur un inquisiteur ou un
loup-garou. Quel grand-écart ludique, quand on y pense. Parler de pulsion de
mort à longueur de pages et fournir des pages et des pages de pouvoirs
détaillant comment on pouvait déchirer la chair de son prochain avec des
griffes faisant des dommages aggravés.
Heureusement, le temps a passé depuis. Oh, l’édition de Vampire qui
fête les 20 ans du jeu est toujours aussi pléthorique et reste coincée entre
une volonté de faire du psychologique et une infâme manie de tartiner des
chapitres entiers sur la baston sur le mode
la-mienne-est-plus-longue-que-la-tienne (on parle de lignée, là). Mais d’autres
auteurs sont passés par-là et ont cogité. Ça a donné Monsterhearts (où l’on a,
entre autre, ajouté une dimension drama en appuyant sur l'aspect sexuel)
et Urban Shadows, mais aussi Undying
qui propose de jouer à Vampire sans dé. Ouais, gros, comme dans le temps
d’Ambre. Dans Undying, un vampire est très simplement décrit par 4
scores : l’Humanité, le Sang, le Statut et le Territoire.
L’Humanité est superbement gérée puisque son score ne varie pas en
fonction d’une liste d’actions qui font perdre ou regagner des points. Non, ce
sont les autres joueurs qui déterminent ce score à la fin de la séance de jeu.
T’as fait des efforts, tu t’es mis dans la panade scénaristiquement pour
conserver ta putain d’empathie ? Bravo. T’as parfois été bien vicelard en
jouant avec ta nourriture et en traitant les gens comme des pions ? Tu en payes
le prix. Tu t’es laissé aller à incarner une parfaite petite raclure
sanguinolente et amorale ? Alors on te prévient gentiment : si tu refais
la même chose lors de la prochaine séance, ton perso devient un PNJ. Par
contre, plus l’Humanité est forte et plus c’est facile lors de la chasse
(forcément, tu sais cajoler avant de mordre), sauf que ta réserve de sang
grandit quand tu tends vers la monstruosité.
Le Statut, c’est pas compliqué : tu peux être, dans l’ordre décroissant : Prince, Patricien, Plébéien ou Pariah. Quand tu deviens Patricien, c’est
qu’automatiquement, un autre vampire en ville est redevenu un Plébéien, donc tu
as un ennemi à gérer. Je ne détaillerai pas, mais être en haut de la chaîne
alimentaire apporte bien évidemment des avantages tactiques.
Le Territoire gère tout ce qui a trait à la chasse. On regarde si ton
terrain de chasse est loin du centre politique (dans ce cas, tu vas devoir
t’absenter du scénario pour aller chasser), si les gens sont paranos, faciles
d’approche…
Le Sang, enfin. C’est bien évidemment la monnaie du jeu (en fait, non :
l’une des deux monnaies, il y a aussi les dettes) : quand on veut faire le
kakou devant les autres vampires pour montrer qu’on n’a pas peur, on mise du
Sang. Et celui qui en mise le plus l’emporte. D’où l’importance de ne pas
s’attaquer seul à plus gros que soit. Parce que le perdant va perdre son
Statut, son Territoire ou pire, sa Non-Vie. Idem, quand on veut comploter
contre un autre vampire : on mise du sang.
Et donc, en plus, il y a un système de dettes mineures et majeures qui
permettent de fluidifier les relations sociales. Quand le Prince t’en doit une
bonne, tu peux claquer cette dette pour avoir le bon coup de pouce au bon
moment, forcément. Et comme les personnages débutent la partie en devant des
dettes et en ayant des dettes à faire payer, il existe dès le départ une
dynamique, qui est d’ailleurs symbolisée en jeu par une relation map qui rappellera de bons souvenirs aux adeptes de
Smallville (qui l’avait piqué à des suppléments de Vampire comme Chicago by
Night, la boucle est donc bouclée).
En guise de personnage, on incarne un des cinq archétypes du jeu : the
Devil, the Nightmare, the Puppet Master, the Sensualist et the Wolf. Ah oui,
car je ne l’ai pas encore dit, mais c’est un jeu propulsé par l’Apocalypse, en
fait. Mais sans dé. Donc on a des moves à suivre, pour se réveiller, pour se
nourrir… Et le MJ a aussi sa panoplie de moves. Le jeu s’articule sur une
alternance de deux phases bien distinctes : une séance débute avec une
crise, et les joueurs vont agir pour la résoudre. Et quand ça sera terminé, du
temps va pouvoir passer. Le rapport de force peut changer en ville. Qui sait,
les humains vont peut-être se révolter ? Une nouvelle crise apparaîtra, ça sera
alors le moment pour les PJ de s’y confronter. C’est donc un jeu d’évolution
permanente. Contrairement à Vampire : la Mascarade où tout semblait figer,
dans Undying on devient Prince, une révolte fait de nous un Pariah, mais on
revient sur le devant de la scène à la séance suivante car on manigance son
grand retour après avoir rendu service aux bonnes personnes pour engranger les
bonnes dettes.
Alors, non, on ne joue pas à Undying pour retrouver le goût des parties
de Vampire d’antan, car ce jeu propose une autre expérience ludique que celle
que nous avons connue. C’est un jeu qui embrasse le pitch qui nous était fait
par la Mascarade et qui n’était pas respecté par le livre de base. Vous ne
jouerez pas un 13e génération qui se prend pour un punk et qui doit
mettre systématiquement un genou en terre quand un Ancien fait les gros yeux.
Non, dans Undying, vous vous allierez aux autres joueurs pour défaire le
pouvoir en place, puis vous affronterez ces mêmes joueurs pour accéder au titre
de Prince avant de lutter contre eux pour garder le pouvoir pour finir par
travailler avec eux contre une menace commune qui vous permettra de trahir tout
le monde. Le MJ pourra vous surprendre en glissant des phrases comme
« Cinquante ans passent en un clignement d’œil. Décris-moi comment ton
quartier a changé pendant cette période. » On peut jouer à Rome à
l’époque de Titus Pullo et Lucius Vorenus, on peut suivre l’évolution de New
York de sa fondation à aujourd’hui, tout est possible.
En fait, Undying est à Vampire ce que L’Anneau unique est à JRTM.
Alors ça ça donne fichtrement envie! Merci pour ce bel article enthousiaste (dommage pour la brouette de fautes quand même).
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