Black Wings of Cthulhu 4


Disons-le d’emblée : bien que cette quatrième livraison reste très au-dessus du niveau de la mer (mesuré dans le Pacifique sud), je l’ai trouvée un peu moins passionnante que les trois précédentes. Je ne sais pas si c’est parce que je m’habitue à la qualité des anthologies de S.T. Joshi ou, au contraire, parce que je n’avais pas remis le nez dans des cthulhieries littéraires depuis un moment. Ou alors, c’est parce que le casting est relativement stable, avec des noms qui reviennent de volume en volume, et qu’il devient plus difficile d’être surpris.

Cela dit, mes lassitudes de lecteur blasé ne sont pas le sujet. En route pour l’habituel tour d’horizon.

• Artifact, de Fred Chappell, nous parle d’un objet antique, de familles dont l’histoire remonte loin et du péril qu’il y a à mélanger des dimensions. Lovecraftienne sans respecter le mythe de Cthulhu, elle m’a bien plu.

• Half Lost in Shadow, de W. H. Pugmire, se passe à Kingsport, baigne dans une ambiance onirique juste comme il faut, et ne m’a pas passionnée plus que ça. Peut-être parce que je suis immunisé aux « poèmes en prose » lorsqu’ils sont rédigés en anglais ?

• The Rasping Absence, de Richard Gavin, est à la fois une histoire d’obsession qui finit mal et une histoire de couple qui se brise. Elle fonctionne bien dans les deux registres, mais ne m’a pas emballé.

• Black Ships Seen South of Heaven, de Caitlin R. Kiernan, est un petit bijou post-apocalypthulique. R’leyh est sortie, la civilisation s’est effondrée, et des survivants se terrent dans ce qui fut Chicago, se protégeant des mutants de l’extérieur et des sectateurs de l’intérieur. Je n’ai que du positif à en dire.

The Dark Sea Within, de Jason V Brock, nous parle de Prague, du milieu des collectionneurs, du danger qu’il y a à vendre (même en toute bonne foi) de faux tableaux et des ennuis qui en découlent. Elle est plus courte que la moyenne, et ça me va bien comme ça : je n’ai pas accroché.

• Sealed by the Moon, de Gary Fry, est une petite histoire basé sur le folklore du Yorkshire. L’auteur ne nous laisse pas oublier qu’il a une formation de psychologue – comme son héros – et la fin est un tantinet prévisible, mais dans l’ensemble, elle tourne bien.

• Broken Sleep, de Cody Goodfellow, nous parle de sommeil, des Contrées du rêve et de ce que notre époque en a fait, le tout dans un habillage légèrement science-fictionnel. Bonne pioche, qui répond à certaines de mes préoccupations du moment et est juste assez grinçante pour m’amuser.

• A prism of Darkness, de Darrell Schweitzer, nous raconte la dernière nuit sur Terre du Dr John Dee, sorcier élizabethain, traducteur anglais du Necronomicon et propriétaire d’un miroir noir qui a beaucoup fait fantasmer Jean Ray. Courte, sans prétention et agréable.

• Night of the Piper, d’Ann K. Schwalder, nous expédie dans l’Ouest américain, et annexe Kokopelli, une créature du folklore indien, au mythe de Nyarlathotep. Avec son héroïne qui enquête parce qu’elle a déjà été exposée au surnaturel, elle a une petite vibe rôliste pas déplaisante.

• We Are Made of Stars, de Jonathan Thomas, souffre d’un sytle un peu pesant à mon goût. À part ça, elle se tient bien. Devinez qui laisse des graffitis du type « les étoiles sont presque en place » sur les monuments de Providence ?

• Trophy, de Melanie Tem, plonge dans le porno-gore tendance mutilations, snuffs movies et autres bricoles du même ordre. C’est assez léger pour être grand public, plutôt bien fait… et grave pas ma came. Merci, mais non merci, donc.

• Contact, de John Pelan et Stephen Mark Rainey, raconte les malheurs d’un groupe de géologues qui arrive sur Pluton pour exploiter un champ de minerai rare, et qui découvre que la place est déjà prise. La fin est prévisible, mais le reste est plaisant.

• Cult of the Dead, de Lois H. Gresh, nous parle des catacombes sous un monastère péruvien, de l’antagonisme entre Indiens et Espagnols, et de cosmogonie inca. Je suis ambivalent : elle vise à un effet coup de poing et l’atteint, mais c’est au détriment de trop d’autres choses…

• Dark Redeemer, de Will Murray, est une histoire du CEESP, où des agents d’un organisme gouvernemental américain se promènent hors de leur corps et découvrent la vérité sur Nyarlathotep – une « vérité » hérétique, mais bien trouvée. D’une anthologie à l’autre, je commence à avoir lu assez d’histoires du CEESP pour réaliser qu’il subvertit joyeusement le cliché des « supers G-Men qui sauvent le monde ». Delta Green, mais Delta Green qui rate ses missions et enfonce encore plus le monde dans les ennuis…

• In the Event of Death, de Simon Stranzas, redescend d’un ton, avec une histoire à trois personnages : un écrivain qui vient de perdre sa mère, son épouse et sa tante. Bonne histoire, peut-être un poil trop allusive à mon goût.

• Revival, de Stephen Woodworth, est aussi courte que prévisible, et m’a donné l’impression d’un truc déjà lu des dizaines de fois – y compris dans des suppléments de jeu de rôle, et cette fois, ce n’est pas un compliment.

• The Wall of Asshur-sin, de Donald Tyson, nous parle d’archéologie, du Yémen, et d’un monument improbable. Encore sectateurs, cérémonie d’invocation, monstres et décor insolite et grandiose, elle veut aller vers l’action, mais tombe à plat : certaines scènes m’ont donné l’impression de sortir d’un OSS 117, humour décalé en moins. Toutefois, les deux dernières phrases rachètent ses faiblesses.

Fear Lurks Atop Tempest Mount, de Charles Lovecraft, relève de la poésie, genre pour lequel je me déclare une fois encore incompétent. Cela dit, que vous inspire un type qui change son nom pour se faire appeler légalement « Lovecraft » et qui réécrit La peur qui rôde en dix courts poèmes ?

Je garde avec plaisir Artifact, Black Ships Seen South of Heaven et Broken Sleep. Sealed by the Moon, Night of the Piper, Contact et Dark Redeemer sont également sympathiques. Le reste se tient un cran en dessous, même s’il n’y a pas de vrais loupés.


(Titan Books, 400 pages, 17 nouvelles et un cycle de poèmes, environ 15 €)

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