Paris – Mémoires des rues 1900-1940

« Je vous parle d’un temps
Que les moins de cent ans
Ne peuvent pas connaître… »


… mais qui sert de cadre de jeu aux amateurs de Crimes, de Maléfices, de L’Appel de Cthulhu et sans doute de pas mal d’autres.



Nous sommes au début du XXe siècle. Faute d’avoir accès à Internet, MM. les commerçants disposent d’un moyen simple de se faire de la publicité : faire imprimer des cartes postales représentant leur magasin et les distribuer à leurs clients. La mode passée, les images sont restées, formant un gigantesque fonds photographique qui n’attendait que d’être exploité.

C’est chose faite pour Paris.

Les éditions Parigramme y consacrent vingt volumes, soit un par arrondissement ou, plus précisément, par groupe de quatre quartiers. Comme chacun sait (ou pas), chaque arrondissement compte quatre quartiers, continuateurs des quartiers de l’Ancien Régime, des sections révolutionnaires ou des villages annexés par Haussmann. Il y a un siècle, cela comptait encore, parfois, chaque quartier ayant ses particularités géographiques, historiques… ou tout simplement une spécialisation héritée d’un lointain passé, comme la fripe autour du Temple.

Les bouquins ont beau faire entre cent cinquante et deux cents pages, le texte y est réduit à sa plus simple expression : une présentation historique de l’arrondissement et de chaque quartier. La première est complétée de deux annexes précieuses : un plan datant des années 20, et un tableau démographique indiquant la population de l’arrondissement, recensement après recensement. Le plan a un intérêt immédiat, mais la démographie est de loin plus intéressante si on veut réfléchir sur le long terme : on y découvre qu’en un siècle, la population des arrondissements centraux a été divisée par trois et celle des arrondissements du milieu de la spirale par deux. Seuls quelques arrondissements périphériques ont connu une légère croissance. Autrement dit, la ville s’est étalée en banlieue, et le centre est désormais presque vide.

Une fois le chapitre d’ouverture expédié, on attaque le dur, autrement dit les photos. La maquette n’est pas follement imaginative : elles sont généralement quatre par double page, accompagnées d’une petite légende. Leur ancienne vocation d’image publicitaire implique beaucoup de gros plans sur des devantures, mais on découvre aussi de nombreuses vues plus générales, montrant des rues, des carrefours ou des événements particuliers comme un bal du Quatorze Juillet.

Je n’ai pas fait de statistiques, mais dans les volumes dont je dispose, je dirai qu’une petite moitié des images date de la Belle Époque, avec des messieurs moustachus et des dames en manches gigot qui posent fièrement devant leur épicerie. Le reste, pris dans les années 20 et 30, permet de réaliser que le progrès n’est pas uniforme – oui, il y a beaucoup plus d’autos dans les Années folles, mais il reste aussi des omnibus tirés par des chevaux. Soit dit en passant, les auteurs s’autorisent parfois de petites excursions dans les années 40 et 50 : on reconnaît bien les si conviviaux panneaux de signalisation en allemand dans les premières, et dans les secondes, les voitures sont caractéristiques.

Selon les volumes et les moments, les légendes des photos oscillent entre le pas inspiré, du type « M. Dugenou, blanchisseur, devant son magasin », ou l’intrigant « cet immeuble insalubre rasé en mars 1926 remontait au Moyen-Âge et présentait les particularités architecturales suivantes… »

Au gré d’une série, on a parfois le plaisir de voir évoluer une rue : les commerces changent, le lettrage des enseignes suit la mode, etc. De plus, les premiers volumes consacrent des « gros plans » à tel ou tel lieu emblématique de l’arrondissement, par exemple les Grands boulevards pour le 2e ou le quartier juif du Marais dans le 4e.



Culture générale mise à part, amour de Paris mis à part, « à quoi est-ce que ça peut servir ? », me demandent les obsédés de l’utilitaire du premier rang. C’est une bonne question, même si ça fait déjà deux gros « à part ».

Leur utilité la plus évidente est d’aider un meneur de jeu à se mettre « au parfum » d’une époque. Il suffit d’acheter un ou deux volumes pour se rendre compte que le Paris d’il y a un siècle n’était pas encore un grand musée sinistre et pollué, peuplé de bureaucrates qui n’en connaissent qu’une station de métro, un immeuble et un restau pour le midi. Il grouillait de vie, et ressemblait plutôt à une collection de villages aux ambiances typées, y compris dans le centre.

Seconde possibilité, ces photos vous donnent un réservoir de lieux et de PNJ prêts à servir en cas de besoin. Les personnages ne s’arrêtent pas dans « un café-restaurant », mais chez « M. Gentil, déjeuner à 1,50 F », et en prime, vous avez la tronche du patron, de la patronne et de tous les serveurs.


Enfin, troisième exercice, le plus compliqué : rien ne vous empêche de prendre une photo et bâtir une amorce de scénario autour. Mis en mots, un énoncé comme « un groupe d’enfants en blouse sort de l’école communale de la rue Beautreillis » n’est pas follement sexy. En revanche, l’image fourmille de détails qui soulèvent autant de petites questions, et de réponse en réponse… hop, vous tenez une amorce d’histoire !


Éditions Parigramme, 9,90 € le volume

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