TÉLÉGRAMME
Découvert
jeu génial – passé complètement inaperçu en France – à vous procurer d’urgence
– détails suivent – Tristan Lhomme
L’essentiel
étant dit, passons aux détails.
En
mots
Rocket Age est un jeu de Cubicle 7, paru en 2013. Je suis tombé dessus à moitié
par hasard l’an dernier dans un bundle of
holding… et après un coup d’œil sur les pdf, j’ai acheté toute la gamme en
version papier. Pour le coup, oui, c’est encore un jeu de Cubicle 7, et c’est
la preuve que l’image de marque paye encore, je ne m’y serai sans doute pas
intéressé s’il avait été édité par d’autres.
En
images
• Des
fusées Art déco chromées affrontent des soucoupes volantes au milieu d’un champ
d’astéroïdes.
• Des
héros vêtus de scaphandres spatiaux moulants en lamé argent, surmontés d’une
sphère en verre agrémentée d’antennes, brandissent des pistolets à rayon
terminés par une petite parabole chromée.
• Une
chasse au lézard géant dans les jungles de Vénus, alors que résonnent les
tambours de guerre des hommes-singes.
• Une
cantina poussiéreuse en bord de canal, où l’on écoute du jazz martien en
sirotant un pastis pendant que Maurice, le patron, vous raconte où, quand et
comment il a baroudé avec la Légion.
• Des
dirigeables géants flottent dans la (très) haute atmosphère de Jupiter, où ils cataloguent
ses formes de vie aériennes.
Si l’une de ces images fait « tilt » dans votre tête, vous pouvez déjà craquer !
Le
prétexte
Au
début des années 30, Albert Einstein, Nikola Tesla et John Goddard inventent un
moteur de fusée au radium. Les deux premiers, accompagnés d’un certain
Armstrong, mettent le cap sur Mars et y découvrent des canaux, une civilisation,
et quelques merveilles technologiques supplémentaires. À leur retour, ils offrent
les clés de l’espace à toute l’humanité.
Avance
rapide d’une petite dizaine d’années.
Nous
sommes maintenant en 1938. Toutes les grandes puissances et pas mal de petites
se sont dotées de flottes spatiales. Le système solaire est en bonne voie d’exploration
et, dans certaines régions, de colonisation. Il faut dire que nous avons de la
chance : presque toutes les planètes ont une gravité proche de 1 g et
une atmosphère respirable. Ah, bien sûr, il y a aussi des formes de vie
indigènes, qui vont de l’humanoïde bipède à des choses plus étranges comme les
plantes intelligentes de Ganymède. Il abrite aussi au moins une espèce plus
avancée que l’humanité : les Europans, qui vivent sur l’un des satellites
de Jupiter maîtrisent soucoupes volantes et désintégrateurs. Ils n’hésitent pas
à s’en servir lorsqu’on les contrarie, et observent l’humanité d’un œil
incertain : faut-il écraser ces rivaux potentiels dans l’œuf, ou les
laisser se développer ?
Évacuons
tout de suite un malentendu : Rocket
Age n’a pas la prétention d’être une uchronie. Il n’existe aucun chemin
plausible pour relier la divergence et le point d’arrivée, d’autant que le jeu
évacue en quelques lignes l’impact de tous ces bouleversements sur notre bonne
vieille Terre.
En
revanche, comme décor sur lequel
projeter des histoires, c’est un bijou, sans doute l’un des plus beaux qu’il
m’ait été donné de voir.
De g. à d., un Vénusien, une paire de Martien, un Terrien qui se la pète, deux autres Martiens, et un Ganymédien dans le fond |
Le
genre
L’auteur,
Ken Spencer, définit prudemment son jeu comme un « pulp d’aventure
rétrofuturiste », ce qui le situe assez bien, quelque part du côté de Flash Gordon, des aventures de John
Carter ou de Sky Captain and the World of
Tomorrow. Dans les critiques, je suis tombé ici et là sur le mot
« radiumpunk ». Normalement, les étiquettes qui déclinent la
terminaison « – punk » me donnent des boutons. Dans ce cas précis,
elle a l’intérêt d’attirer l’attention sur la volonté de l’auteur de ne pas se
limiter à un décor en quadrichromie avec des batailles et des explosions, même
si elles sont présentes.
Rocket Age a des choses à dire, mais il les dit de manière plus subtile que,
disons, un jeu White Wolf. Là où les wolferies prêchent pesamment, Rocket Age mentionne par exemple en
quelques lignes le problème de l’alcoolisme chez les Vénusiens, et glisse dans
un scénario un trio de brutes qui sont prêtes à n’importe quoi pour leur ration
d’alcool à 80°. Étrangement, c’est plus efficace qu’un long encadré où l’auteur
vous explique qu’il a tenu à Courageusement Prendre Position contre la
destruction des sociétés indigènes par les vilains colonialistes. Et ça mange
moins de signes.
Au
bout du compte, comme Rocket Age est bien
pensé, on se retrouve avec un jeu parfaitement jouable au premier degré, où des
aventuriers sauvent une princesse martienne d’une machination nazie avant
d’aller explorer une cité perdue dans le désert… et un arrière-plan qui permet d’insérer tout ça dans des
Problématiques Sérieuses si vous en avez envie.
Bon,
mais alors, on raconte quoi ?
Le
seul angle d’attaque mis en avant est « mouvementé et héroïque ». Pour le reste,
vous jouez ce que vous voulez et vous faites ce que vous voulez. Rocket Age est un jeu à spectre large.
Vous
voulez incarner un prêtre guerrier martien qui vagabonde de principauté en
principauté à la recherche
de torts à redresser ? C’est possible. Un
homme-singe vénusien parti dans les étoiles pour accomplir son rite de
passage ? Absolument. Un agent du Komintern venu fomenter une révolution
anti-aristocratie sur Mars ? Pas de souci. Des idéalistes ?
Certainement. Des salauds ? Bien sûr. La seule possibilité fermée se
trouve du côté du IIIe Reich[1].
Comme
de juste, le foisonnement de possibilités imposera un peu de boulot en amont,
et un accord préalable entre joueurs et MJ, mais j’ai toujours préféré ça à
l’approche étroite qui aurait consisté, par exemple, à ne faire jouer que des
Martiens d’une certaine caste, ou que des Terriens d’une certaine nationalité…
Et
on le raconte comment ?
Dans
des scénarios découpés en « bobines », comme les vieux films
d’aventure des années 30. Ces actes, parce que c’est bien de ça qu’il s’agit,
sont eux-mêmes divisés en scènes.
Celles-ci sont organisées autour de jets de dés cruciaux (les aventuriers
parviendront-ils à échapper à ce glissement de terrain ?), et elles
expliquent systématiquement ce qui se passe en fonction de chaque type de
résultat, du succès exceptionnel au désastre. Mine de rien, cela apporte un
grand confort au MJ, qui a moins de choses à improviser.
Deux
mots du système
La
technique n’est pas le propos de Rocket
Age : les règles proprement dites tiennent en une vingtaine de pages
sont rejetées aux alentours de la page 200 (sur 250) du livre de base. Il
paraît que le système est le même que celui de Doctor Who. Ça parlera peut-être à certains d’entre vous, mais je
dois admettre que ce n’est pas mon cas.
Pour
résumer : le résultat de « 2d6 + Caractéristique + Compétence +/-
Modificateurs » doit dépasser un niveau de difficulté. Il n’existe pas de
points de vie, les dégâts sont appliqués directement aux caractéristiques. Un
personnage mal en point est « Sorti de l’histoire », ce qui n’est pas
forcément synonyme de « mort ». Tests simples, tests en opposition, niveaux
de succès ou d’échec, points d’héroïsme… le vieux rôliste est en pays de
connaissance et les nouveaux ne seront pas noyés.
La
création de personnage est rapide. Choisissez un package d’espèce, ajoutez-y un
package de profession, dépensez les points de création restants pour vous doter
d’avantages ou choisissez des défauts pour récupérer des points de création, ajoutez-y
d’un peu d’équipement, et roule !
Je
n’ai jamais été un grand fan des systèmes à points, mais dans ce cas, les
auteurs se limitent à six caractéristiques et douze compétences, ça va donc
assez vite. Quant aux avantages/défauts, ils servent en premier lieu à simuler
les « traits d’espèce », et secondairement à typer les personnages.
La liste n’est pas si longue, même si
chaque supplément en rajoute. J’imagine qu’un optimisateur y trouvera matière à
abus, notamment s’il fouille du côté des pouvoirs psi (présents notamment sur
Mars, mais pas que).
La
gamme
Sorti
en 2013, Rocket Age dispose d’une
gamme relativement fournie, à laquelle il ne manque qu’un écran.
Le
guide du joueur
Ce
livret de 117 pages n’est absolument pas indispensable, mais il se lit avec
plaisir, ce qui est déjà pas mal. Il se divise en quatre chapitres :
• Sophonts of the Solar System revient
sur les espèces déjà présentées dans le livre de base, et apporte des
précisions diversement utiles sur leurs physiologies, leurs us et coutumes,
etc.
• Newcomers to the Rocket Age présente
quatre nouvelles espèces. Deux d’entre elles se trouvent dans le système de
Jupiter : les Joviens eux-mêmes, qui volent dans la haute atmosphère de la
géante gazeuse, et les Metisiens, vassaux des Europans, originaires d’une
petite lune. Ils seront surtout intéressants dans le cadre d’une campagne
jovienne. Les deux autres sont exploitables de manière plus générale, mais
réservés aux pervers… pardon, aux joueurs qui ont envie d’un angle différent. Qui
veut jouer un Robomen martien, issu d’une civilisation éteinte et que personne
ne sait plus programmer ? Ou un singe-lézard vénusien ? Ces bestioles
sont sapientes, mais personne ne s’en est encore rendu compte, et ils ont
compris qu’ils avaient intérêt à se faire passer pour des animaux. Oui, ça
revient à jouer le singe apprivoisé d’un autre personnage.
• Solar System Organizations couvre dix
groupes susceptibles d’engager nos héros, d’intervenir comme alliés, de servir
d’adversaires, etc. On y trouve des organisations extraterrestres (les
Observateurs europans, la Garde metisienne, la Seconde éclosion des singes-lézards
et les Harvitiori vénusiens) qui permettent de cadrer des PJ non-humains. Une
agence de détectives et une agence de presse multiplanétaires ont des gueules
de futurs employeurs. J’ai une petite faiblesse pour le Comité International
pour la Coopération Intellectuelle, d’aimables pacifistes de gauche égarés dans
un univers hostile. Les Rocket Rangers et le Corps spatial des États-Unis sont
utiles comme exemples d’organisations militaires. Quant au Komintern
Interplanétaire, qui fomente des révolutions sur Mars et Vénus pour la plus
grande gloire du prolétariat soviétique et du camarade Staline, il s'avère rigolo
comme tout.
• Character Traits est exactement ce
qu’annonce le titre : une grosse quinzaine de pages de nouvelles capacités
allant du folklorique à l’intéressant.
Bilan :
je conseille, surtout pour les chapitres 1 et 3. Le reste est plus anecdotique.
Les
guides planétaires
Ce
supplément de 160 pages présente le principal décor de Rocket Age : la planète Mars. Au menu, déserts, canaux, mers
de poussière, principautés, Martiens exotiques mais tant que ça, au fond,
merveilles technologiques des âges perdus… et un immense choc culturel sous
fond de colonialisme et de rivalités impériales.
Les
Anglais voient les principautés martiennes comme une Inde revue et amplifiée, et
y appliquent les recettes qui ont marché avec les maharadjahs. Les Américains,
qui envisageaient de simples alliances au cas par cas, se retrouvent à gérer
l’empire que leur taillent les généraux McArthur et Patton, qui sont trop loin
de Washington pour être contrôlables. Les Français jouent du « soft
power » et des alliances économiques dans une ambiance assez
« Françafrique ». Les Italiens ont opté pour la conquête militaire
accompagnée du pillage des trésors culturels martiens. Les nazis se taillent un
« espace vital » à grands coups de machines de guerre de l’ancienne
Mars, rétro-ingéniérées à l’usage des humains. Quant à l’URSS, elle maudit tous
ces impérialistes et encourage des « révolutions prolétariennes » qui
se terminent systématiquement par la mise au pouvoir de
« conseillers » soviétiques. Et puis, il y a aussi des initiatives
privées – des anciens des Brigades internationales viennent abolir l’esclavage,
des aventuriers se taillent des fiefs… et bien sûr, les Martiens n’attendent
pas passivement de se faire dévorer.
Près
de la moitié du supplément est consacrée à une liste de principautés. Toutes
sont décrites selon le même format : un encadré résumant les lieux en
trois phrases, dont un « thème » et une « complication »,
une présentation en quelques paragraphes, un PNJ (sans technique), et un
encadré final proposant trois idées d’aventures. C’est à la fois varié, clair
et synthétique.
On
enchaîne sur un copieux chapitre d’organisations, qui couvre aussi bien les
religions et les alliances locales que la Ire Légion Martienne[2],
la déclinaison locale de la Légion étrangère. On y croise aussi les Royal
Martian Rifles, organisés par le Gouvernement de Sa Gracieuse Majesté ou le
Département d’État américain, très occupé à saboter les conquêtes de ses
propres généraux.
La
caméra se déplace ensuite dans le désert, où l’on découvre les Frem… les Chanari, les Martiens qui ont refusé le
système de castes de leurs cousins sédentaires et vivent en nomades, pillant
villes et caravanes quand l’envie leur en prend. Le chapitre ne m’a pas
passionné, mais avec trente secondes de réflexion, on peut en tirer quelque
chose avec Lawrence d’Arabie et des nomades martiens et des nazis à la place
des méchants Turcs.
Les
quinze pages suivantes sont dédiées à la faune. Elles sont suivies de dix pages
de technique, alliant traits et matériel. Enfin, un scénario de vingt-cinq pages
termine le livret. Son titre, The Stolen
Artifact, dit tout ce qu’il y a en savoir : un type douteux met aux
enchères un gadget technologique vieux-martien, et tout un tas de gens tentent
de s’en emparer. Pensez à la scène d’ouverture d’Indiana Jones et le Temple maudit et vous serez dans le bon état
d’esprit.
Bilan :
un très bon supplément, à la fois riche et facilement exploitable.
The Lure of Venus
Ce
copieux livret de 148 pages a été imprimé sur un papier plus épais que son
grand frère martien, et donne l’impression d’être plus gros alors qu’il compte
douze pages de moins. Il suit grosso modo le même plan.
Le
premier chapitre est consacré à la géographie vénusienne : de grandes
chaînes de montagnes et des plateaux émergent d’une mer de brume dont on ne
sait rien. Dans les régions tempérées, à haute altitude, on vit presque comme
sur Terre – enfin, comme en Amazonie ou au Congo. Quant à ce qu’il y a sous les
brumes, le meneur de jeu reçoit quelques billes, à l’usage des explorateurs
intrépides qui voudraient aller découvrir une cocotte-minute grosse comme une
planète.
On
continue par un tour d’horizon des différentes cultures vénusiennes. Les
« hommes-singes » un peu clichés du livre de base prennent de
l’épaisseur. D’une chaîne de montagnes à l’autre, ils oscillent entre l’âge de
pierre et l’âge du bronze, entre l’animisme et les premières religions
organisées – l’ensemble fait sens, et élabore sur un secret révélé dans l’un
des petits scénarios en pdf…
On passe ensuite
aux implantations terriennes, moins organisées et plus variées que celles de
Mars. La chaîne d’Isthar est le théâtre d’une « ruée sur le radium »,
les nazis se sont approprié une chaîne de montagnes écartée, les Japonais sont
en train de forger une « sphère de coprospérité » avec certaines
tribus. Au sud, des colonies grecques, mexicaines ou hollandaises prospèrent
tant bien que mal avec le soutien sporadique de leurs mères patries respectives.
Quant à l’URSS, elle a converti certains Vénusiens au communisme[3],
et exporte des gardes rouges de trois mètres de haut vers Mars…
Le lecteur découvre ensuite la faune et de la flore, composée de
végétaux carnivores, de pseudolézards carnivores et de quasi-insectes carnivores.
Oui, il y a une thématique.
On a ensuite droit à un panorama des groupes et organisations qui
sévissent sur Vénus. C’est classique, mais l’United Venusian Mining Consortium
mérite une mention. Cette entreprise minière profite du vide juridique de Vénus
pour se doter d'une armée de mercenaires et se comporter comme… eh bien, à peu
près comme United Fruit dans les républiques bananières du monde réel. Ou comme
une corporation cyberpunk, la référence fonctionne aussi.
Tout cela est complété par un scénario, The Downey Creek War. Nos héros y prennent sous leur aile l'héritière
d'une concession aurifère perdue dans un coin où la loi, c'est… personne. Ils
vont devoir affronter des voisins pénibles, des mercenaires encombrants… et gérer
la concession. Cette introduction aux joies de Vénus est drôle à lire et regorge
d'idées, au point où je me vois tenir une soirée entière avec une simple ligne.
Le livre se termine par de nouvelles options de personnage et par la
liste du matériel évoqué dans le reste du supplément.
L’ensemble
se lit avec beaucoup de plaisir. En revanche, une relecture supplémentaire
aurait été la bienvenue. Ce n’est pas bien gênant, mais par moments, ça pique
un peu…
Bilan : un peu plus court que son grand frère martien, mais
tout aussi jubilatoire.
The
Asteroid Belt
Ce
mini-supplément pdf de 24 pages nous fait visiter les débris d’Eris, la planète
qui, comme chacun sait, se trouvait jadis entre Mars et Jupiter. Il n’insiste
pas trop sur la géographie, se concentrant sur les occupants. L’endroit est
peuplé de mineurs indépendants venus chercher fortune, d’une multiplanétaire
décidée à les évincer[4],
de pirates dont la base s’appelle New Tortuga. Il y a aussi un peu de matériel,
quelques bestioles. Ah, et le truc le plus indispensable du jeu : le
package professionnel « xéno-archéologue nazi », parce que bon, on a
toujours besoin d’un Bellocq pour vous souffler la relique.
Bilan :
petit, costaud et dense, il a le défaut d’être trop court.
La
campagne
The
Trail of the Scorpion
Oui,
une campagne, ce qui n’est pas si fréquent pour un « petit » jeu. The Trail of the Scorpion compte 117
pages, annexes comprises. Elle a du potentiel, mais il faudra un peu de boulot
pour en tirer quelque chose de vraiment intéressant. L’argument est d’une
simplicité biblique : après s’être étendu à tout le système solaire, le cartel
criminel du Scorpion Rouge commence à avoir des idées de domination
interplanétaire. Il appartient à nos héros de lui botter les fesses. Il leur en
faudra six épisodes pour en venir à bout. Notez qu’ils ne sont pas forcément à
jouer les uns à la suite des autres. Au contraire, mieux vaut intercaler un ou
deux scénarios « normaux » de temps en temps.
• In the Scorpion Claws se déroule sur
Vénus et commence par l’habituelle expédition dans la jungle. Il ferait une
bonne suite à Bring ‘Em Back Alive (dont
il sera question plus bas). Il est surtout là pour jeter les bases d’une solide
inimitié entre le Scorpion Rouge et les PJ. Les joueurs devront s’en souvenir
et accepter de laisser leurs personnages se faire entuber.
• Tesla’s Torch est le seul scénario de la
gamme qui se déroule entièrement sur Terre, et plus précisément à New York. Tel
quel, il ne m’a pas enthousiasmé : c’est une enfilade de scènes d’action,
avec poursuite, fusillades, encore des poursuites, le tout tourné sans une
seule pause, comme un seul très long plan-séquence. Je reconnais que c’est dans
le ton, et à condition de muscler un peu l’acte I, des opportunités de roleplay
se présentent d’elles-mêmes.
• Walk Right and Steal ‘Em Blind est une
aventure martienne où il est question d’archéologie et de tensions entre
Martiens et Terriens. Elle propose de bonnes scènes, des possibilités de
développement intéressantes, et fait passer dans le champ de vision des joueurs
un trio de PNJ très inattendus qui…
disons qu’une fois ma mâchoire raccrochée, je me suis bien marré.
• Scorpion’s Sting se déroule sur
Ganymède, où nos héros se lancent à l’attaque de l’un des repaires du Scorpion
Rouge, où il prépare une arme secrète. Sans être exceptionnel, il est bien fait.
• Escape from the Arena of Death repose
sur un postulat très pulp :
ayant surpris une espionne, le Scorpion Rouge l’a vendue à un prince martien
qui compte la faire participer aux jeux qu’il donnera bientôt pour célébrer son
anniversaire. Dis, petit, est-ce que tu aimes les films de gladiateurs
interplanétaires ?
• Heart of the Scorpion commence… au café
de Flore, à Paris, où nos héros retrouvent la plupart de leurs alliés des
épisodes précédents et fixent les détails de l’offensive contre le Scorpion
Rouge, dont l’antre se trouve sur l’une des lunes de Saturne. Le groupe embarque
à bord d’un vaisseau expérimental piloté par un prototype d’intelligence
artificielle… et c’est parti pour une scène de combat spatial à hypergrand
spectacle.
• Une
paire d’appendices présente l’organisation du Scorpion Rouge, d’autres groupes
intéressés par son cas, du matériel et des bestioles… Au fait, qui est le
Scorpion Rouge ? Le livret ne tranche pas et propose une paire de
solutions. À la lecture, une troisième m’a sauté aux yeux… et j’imagine qu’on
pourrait en trouver d’autres.
Au
bilan, j’ai lu Trail of the Red Scorpion
avec beaucoup de plaisir. À condition de faire un minimum d’efforts pour bien y
intégrer les personnages, d’intercaler des épisodes sans rapport pour garder un
peu de fraîcheur et de soigner la mise en scène, c’est très bien !
Les
scénarios
Sept
scénarios sont disponibles en pdf. Ils font tous entre vingt et trente pages,
et couvrent des sujets comme « la grande course autour du système
solaire » ou « l’expédition anglo-française sur Vénus ».
Rocket
Racers
Le
diabolique Ghost Racer tente d’extorquer une fortune aux organisateurs de la
course Indianapolis-Vénus-Mars-astéroïdes-Indianapolis ! Nos héros
parviendront-ils à déjouer ses plans et/ou à gagner la course ?
Ces
vingt pages sont pleines à craquer : un petit bout d’enquête sur
Terre, une scène d’action sur Mars, le fonctionnement de la course[5],
plus des tas d’autres bricoles. Bizarrement, la seule chose qui y manque est une
scène où le méchant ricane et explique ses plans, mais elle peut s’ajouter
assez facilement.
À
la lecture, je me suis dit qu’on pouvait se passer le Ghost Racer par le sas et
se concentrer sur le décor : une « course d’endurance » de
plusieurs jours à bord de fusées outrageusement bricolées par les concurrents,
qui mélange transat en solitaire et 24 Heures du Mans. Cette option impose un
peu de bricolage et vous oblige à donner un peu de personnalités aux autres coureurs,
à ajouter des rivaux, et sans doute à lire quelques albums de Michel Vaillant,
mais elle peut s’avérer payante.
No Good Deed
Ce scénario de 26 pages s’ouvre sur un grave
accident de fusée, qui en occupe environ la moitié. Ce chapitre s’avère
indispensable : elle permet de visualiser à quoi ressemblent les fusées de
Rocket Age, avec un plan et la liste
de toutes les pièces qui peuvent griller / exploser / fondre[6].
Dans la seconde partie, nos héros, naufragés
sur une lune de Saturne, se dépêtrent des complications locales. Elle aurait
mérité un peu plus de place. Mais comment détester une histoire qui se termine
par un banquet au clair de Saturne, en attendant l’arrivée de la fusée de
secours ?
Mind
Dunes of the Moon
Ce
court scénario (18 pages) repose sur une idée qu’un type sain d’esprit et à
jeun n’aurait pas pu avoir. Je ne sais pas ce que prennent les responsables, mais j’en veux
bien un peu. C’est à double tranchant : certains joueurs apprécieront,
d’autres trouveront l’expérience trop étrange.
Commencée sur Terre, l’aventure se déplace rapidement vers la Lune, d’abord vers une colonie industrielle, puis… euh, ailleurs. Le résultat est assez archétypique de la gamme : bien fichu, plus d’action que de parlote, et beaucoup de nawak emballé dans un peu de plausible. Au cas où vous auriez un doute sur cette dernière phrase, oui, c’est un compliment.
Bring’em back alive
En 18 pages, ce scénario vénusien donne à nos héros
l'occasion de participer à la 5e expédition vénusienne
franco-britannique, organisée conjointement par la Royal Geographic Society et
l'Académie des Sciences. Je vous le demande, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
Il n'y a que cent cinquante
kilomètres de jungle hostile à parcourir pour arriver à un site de fouilles où
il sera possible de rester quelques jours, les tribus locales l’ont promis. Du
gâteau !
Ce scénario souffre un peu d'être une balade,
et aurait gagné à être un peu long dans sa partie « fouilles », d'autant
que la découverte finale est… spectaculaire. On y retrouve ce qui me séduit
dans la gamme, le sens du détail vraisemblable et l’art de l'exploiter pour en
faire un élément de jeu. C'est ballot, mais les objets extraterrestres dotés
d'un compte à rebours ne décomptent pas en secondes, ni dans des symboles
lisibles…
The
Lost City of the Ancients
Encore
une histoire d’expédition, mais cette fois, elles sont plusieurs : quatre groupes
s’enfoncent dans le désert martien à la recherche d’une cité perdue pleine de
merveilles technologiques. En plus des PJ, il y a une expédition nazie, une
française financée par l’Académie des sciences, et une privée (de
scrupules, entre autres).
Le
point fort du scénario est le petit système de gestion de la logistique, qui
permet de savoir ce que les aventuriers embarquent sans devoir se coltiner
d’interminables listes d’équipement. Ensuite, la balade dans le désert martien
est sympathique, et la découverte finale rigolote – le scénario laisse les
probables confrontations entre expéditions rivales aux tendres soins du meneur
de jeu, mais elles peuvent sérieusement pimenter les dernières scènes.
A Prince’s Ransom
L’héritier d’une principauté martienne a été enlevé, les personnages
sont engagés pour ne pas payer la
rançon. En revanche, ils doivent retrouver les coupables. Il y a un petit bout
d’enquête, beaucoup de scènes d’action… et une solide dose de comédie sur la
fin. L’ensemble évolue sur le fil du rasoir. La situation est telle qu’il est à
peu près impossible de ne pas rire, mais c’est le genre de gag qui exige un
sérieux imperturbable pour bien fonctionner, ce qui très difficile à obtenir en
jeu de rôle. Cela dit, il y a moyen de réécrire l’ensemble pour qu’il soit un
peu plus… j’allais dire « tragique », mais « dramatique »
correspond sans doute plus. A Prince’s
Ransom ne fait que vingt pages, et un peu plus de place aurait été la
bienvenue.
Warlord of the Gravitic Portal
Scénario de vingt pages, où les héros sont
embauchés pour traquer un guerrier qui a trahi sa souveraine – et
malheureusement, le guerrier en question a des ressources, des troupes et un
plan.
L’auteur choisit de commencer in media res par une scène de combat
dans le désert, et déroule ensuite une longue suite de rencontres d’intérêt
variable, qui donneront pour la plupart lieu à des affrontements, apprenant au
passage aux héros à détester leur adversaire. Le troisième acte donne
l’impression d’une greffe qui n’aurait pas complètement pris. À force de
vouloir faire du grand spectacle, le scénariste bascule dans l’Ouverture d’un
Portail et le Déchaînement de Forces Incontrôlées Hou-la-la Ça Craint façon Appel de Cthulhu mâtiné de science
étrange. Bref, il y a à boire et à manger là-dedans, mais tout n’est peut-être
pas à consommer dans le même repas…
Truc
Signature
Characters
Consacrez
une page à la description d’un héros : deux paragraphes d’histoire
personnelle et une illustration, ça ne vous prendra pas des siècles. Ajoutez-y
une feuille de personnage remplie. Multipliez ça par treize, et vous avez un
microsupplément vite lu, qui permet de se fixer les idées sur les occupants du
système solaire aussi bien que beaucoup de bouquins de background rédigés en
corps 5. Premier point intéressant : il y a en tout et pour tout un
humain, le reste est composé d’extraterrestre. Second point intéressant :
il y a un représentant de chaque caste martienne, ce qui le rend plus utile
pour une campagne située sur la planète rouge.
Et la suite ?
Imperial Jupiter, un supplément sur le mini-système jovien, serait dans les tuyaux et sortirait à une date indéterminée. Ensuite, il est question d’un supplément sur le système extérieur, de Saturne à Pluton.
Conclusion
Voici
des années que je répète que les pulps me
sortent par les yeux, mais c’est surtout parce qu’en jeu de rôle,
« pulp » est généralement une catégorie qui sert à excuser des tas de
choses qui me sortent par les yeux, scénarios qui ne tiennent pas debout,
univers dessinés à gros traits et mépris à peine voilà pour la vraisemblance.
Rocket Age est du pulp intelligent, avec de bons scénarios, un univers fouillé
et de gros efforts pour emballer le délire dans du vraisemblable… et soudain,
je découvre que j’aime le pulp.
Enfin,le néo-pulp des années 2000 –
un vrai pulp des années 20 ou 30 ne
se serait pas posé de questions sur les bienfaits de la colonisation.
Au bout du compte, Rocket Age a été mon coup de coeur ludique de 2016.
[1] Et
encore, ce n’est pas explicite, c’est juste que l’unique carrière spécifique à
l’Allemagne nazie, celle de pilote de robot de combat martien, part du principe
que le personnage est un déserteur.
[2] Bon, en
fait, c’est la « 1e Légion Martien », en approximatif dans
le texte.
[3] Sans
trop de mal, parce que « mettons en commun nos ressources face à un monde
hostile » est quelque chose qui parle aux Vénusiens.
[4] La
branche locale de l’UVMC dont il est question un peu plus haut, parce qu’un bon
méchant, ça se recycle de décor en décor.
[5]
Techniquement, c’est une longue
« scène de poursuite ».
[6] À défaut, imaginez
la fusée d’Objectif Lune, et le tour
sera joué.
Moi qui aime bien la SF rétro, ça fait longtemps que je me dis qu'il faut que je jette un oeil à ce Rockage Age. Avec un aussi beau portrait de famille, j'ai maintenant comme le besoin urgent de me commander ça ^-^
RépondreSupprimerEn matière de SF rétro, mais avec une approche bien différente, je vous conseille aussi fortement Cosmic Patrol, l'un de mes coups de coeur de ces dernières années. C'est un jeu avec une narration légèrement partagée (selon vos gouts, vous pouvez mettre le curseur plus vers du jdr traditionnel avec MJ, ou plus vers une vraie narration partagée) qui me donne sacrément envie d'y raconter des histoires, et qui n'a qu'un défaut, celui de ses avantages: il faut des joueurs dans le trip SF à Papa, ce qui n'est pas forcement facile à trouver de nos jours.
Slawick