L'éditeur Lapin Marteau, à qui l'ont doit la traduction française de Ryutaama et la collection d'ouvrages Sortir de l'Auberge, vient d'ajouter une boutique en ligne à son site et d'y faire apparaître la gamme Partir à l'aventure. Il s'agit pour l'éditeur de mettre en avant, sous un format PDF faisant sans doute courir moins de risques financiers, des jeux qu'il présente comme difficilement publiables de façon classique.
Pour l'instant 7 jeux sont disponibles et, à l'exception du court J'y suis pour rien qui n'avait à ma connaissance jamais été traduit, il s'agit de jeux qui faisaient partie du catalogue de La Boite à Heuhh. Entre 2010 et 2013 cet éditeur a participé à faire connaître au public français plus d'une dizaine de jeux issus de la scène indie anglophone notamment ceux d'auteurs fréquentant le forum The Forge. Dans mon article sur Démiurges et Dogs in the Vinyard je parlais de ce courant ludique produisant des jeux très variés qui cherchaient (presque) tous à réinventer la façon de narrer collectivement des histoires. Il en ressortait des jeux parfois bancals mais très variés, dans leurs mécanismes comme dans leurs thématiques.
C'est une excellente nouvelle de voir ces jeux, devenus difficilement trouvables en version physique, à nouveau disponibles. Retours rapides à partir de souvenirs de parties et de lecture parfois un peu lointains...
Remember Tomorrow
Jeu cyberpunk qui fonctionne sans meneur de jeu. Dans un univers où la compétition est plus importante que la collaboration, chaque joueur incarne à la fois un personnage et une faction. La narration est découpée en scènes et elle avance au fil des conflits entre les protagonistes, on se croise, on convoite les mêmes ressources, on s'affronte, on se fuit, on sympathise. En découvrant ce jeu je pensais que ce fonctionnement ludique, qui évoque un peu le Polaris de Ben Lehman, allait devenir la norme dans les JdR indépendants. J'avais tort. Tant pis.
L'univers de jeu n'est que peu décrit si ce n'est par l'idée que les cultures locales n'occupent plus qu'une place décorative dans un monde connecté où les corporations globales ont remplacé les états. L'ambiance qui en ressortait était à la fois évocatrice et glacée. Peut-être faut-il cependant que tous les joueurs connaissent bien le genre cyberpunk pour en profiter.
Superclique
Particularité éditoriale de Superclique : les règles du jeu y sont expliquées sous la forme d'une bande-dessinée. C'est amusant lors de la première lecture et suffisamment bien fait pour ne pas poser de difficulté à l'usage.
Mécaniquement on est dans la famille des jeux utilisant un système abstrait (sans doute inspiré de Wushu), les dangers rencontrés - qu'il s'agisse d'un ennemi ou d'une catastrophe naturelle - sont résumés à un score d'adversité nécessitant plusieurs réussites aux jets de dés pour être vaincus. On est invité à faire preuve d'inventivité en décrivant l'effet des pouvoirs (une tornade peut à la fois servir à voler, à faire venir un objet à soi et à attaquer un ennemi par exemple) mais mécaniquement qu'importe la façon dont on s'en sert, la seule caractéristique importante d'un pouvoir est sa valeur chiffrée indiquant le nombre de dés qu'il permet de lancer.
Je ne suis pas immensément fan de cette approche qui plaira aux joueurs aimant avoir une grande liberté de narration mais mais qui me donne le sentiment de produire des descriptions vides de sens car ayant toutes le même impact mécanique. C'est cependant un jeu que je ressortirai avec plaisir pour jouer avec des enfants.
Sweet Agatha
Jeu d'enquête déconcertant qui repose sur la présence au milieu de la table du journal d'Agatha, une femme disparue sur laquelle on enquête. On est invité à utiliser ses textes (et à y découper des indices ce qui me fait dire que la version PDF à imprimer est plus adaptée que la version physique difficilement réutilisable) pour imaginer des théories.
L'enquête n'est pas ici un problème à résoudre, il n'y a pas d'explication à la disparition d'Agatha, mais un prétexte à l'invention d'histoires. J'étais à l'époque resté dubitatif sur cette vision de l'enquête mais je me dis qu'elle parlera aux amateurs de jeux solo (Sweet Agatha est jouable seul ou à deux) et à ceux qui aiment l'idée du JdR comme support à l'imagination et à la création.
Agôn
Sans avoir lu d'interview de l'auteur, je me dis qu'Agôn est sans doute né des discussions autour de la théorie LNS et notamment de la définition du "ludisme" comme d'une pratique de jeu où les joueurs se battent pour avoir le droit de se vanter de leurs exploits.
Situé dans une antiquité grecque mythologique et fantasmée (celle de Jason et les Argonautes plus que celle des textes d'Homère), Agôn est un jeu qui met en avant la compétition et la rivalité entre les joueurs. Ils se battent certes contre les mêmes menaces mais vont constamment chercher à tirer la couverture à eux (on pense à Gimli et à Legolas faisant un concours du nombre d'ennemis tués dans le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson).
Face à eux le meneur de jeu doit jouer une adversité équilibrée : les règles le contraignent dans la difficulté des obstacles qu'il met sur la route des joueurs. Ainsi, pour tout le monde à la table, Agôn a des allures de jeu de société régenté par des règles très carrées mais assurant que personne ne se sente lésé.
On Mighty Thews
Même s'il se joue avec un meneur de jeu, On Mighty Thews propose de raconter collectivement une histoire de Sword and sorcery : le jeu commence par une phase de création du monde où chaque joueur est invité à ajouter des éléments sur une carte, réussir un jet de dés est l'occasion de prendre temporairement le contrôle de la narration, les jets de savoir permettent d'inventer des faits sur le monde pendant la partie,...
Aujourd'hui beaucoup de jeux, notamment issus du courant OSR, proposent des outils similaires mais partagent beaucoup moins équitablement la narration. Je pense notamment à Beyond the Wall avec son supplément Further Afield qui comporte une phase de création collective d'une carte et de rumeurs mais qui, une fois la partie lancée, redonne la plupart des pouvoirs narratifs au meneur de jeu.
Même si je lui préfère ces alternatives plus modérées dans le partage de narration, On Mighty Thews est une expérience de jeu à faire. Une partie peut se terminer relativement rapidement et on se rend compte qu'il est tout à fait possible de jouer en partageant très largement l'autorité autour de la table.
J'y suis pour rien !
Aujourd'hui beaucoup de jeux, notamment issus du courant OSR, proposent des outils similaires mais partagent beaucoup moins équitablement la narration. Je pense notamment à Beyond the Wall avec son supplément Further Afield qui comporte une phase de création collective d'une carte et de rumeurs mais qui, une fois la partie lancée, redonne la plupart des pouvoirs narratifs au meneur de jeu.
Même si je lui préfère ces alternatives plus modérées dans le partage de narration, On Mighty Thews est une expérience de jeu à faire. Une partie peut se terminer relativement rapidement et on se rend compte qu'il est tout à fait possible de jouer en partageant très largement l'autorité autour de la table.
J'y suis pour rien !
Seul jeu qui ne vient pas du catalogue de la Boite à Heuh, J'y suis pour rien ! est issu de la scène expérimentale norvégienne de Nørwegian Style que l'on connaissait pour son stimulant recueil de courts jeux publié en 2011. J'y suis pour rien !/It wasn't me! en faisait partie.
On pourrait presque le rapprocher de Sweet Agatha en tant que jeu d'enquête dont le coupable n'est pas décidé à l'avance. Chaque joueur incarne le suspect d'un meurtre et va devoir improviser un alibi. Les joueurs les moins crédibles seront ceux qui auront le plus de chance d'être tirés au sort comme coupable à la fin de la partie.
Avec son fonctionnement très scripté et sa focalisation sur un scénario précis, J'y suis pour rien ! pouvait sembler très experimental en 2011 mais il s'agit du jeu qui évoque le plus la scène du jeu narratif/storygame actuelle. Sa courte durée et son principe amusant pourraient attirer les amateurs du jeu de société Petits Meurtres et Faits Divers.
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