Je ne vais pas m'en cacher, je suis généralement bon client des jeux de John Grümph (aka LG) même si certains thèmes récents m'ont moins parlé (Terra X ou Raj Victoria, par exemple). Le seul reproche d'ensemble qu'on pourrait leur faire, c'est qu'une fois un jeu publié, l'auteur passe à autre chose, il y a généralement peu de suivi sur ses gammes, et peu de service après-vente.
Mais son dernier né, les Cahiers du Vastemonde est un projet que LG porte en lui depuis longtemps, il avait même fait l'objet d'un Patreon il y a quelques années. Et cette continuité se ressent à la lecture. C'est d'autant plus appréciable que LG a dores et déjà prévu de publier des suppléments, développant une logique de gamme qu'il a peiné à mettre en oeuvre pour l'instant sur ses jeux.
Mais tout cela ne nous dit pas ce qu'est Vastemonde. Il s'agit avant tout d'un univers de jeu inspiré du dungeonverse mais pourtant d'une grande originalité à la fois dans sa géographie et dans ses thématiques et factions.
Le Vastemonde n'est pas un univers géographique continu, mais une constellations d'univers de poches reliés par des portails dont nul ne connaît plus bien l'origine. Tous ces domaines sont suprlombés par l'Astral où vivent les Dragons, et ont sous leur pied les Abysses d'où viennent les Démons.
Les Géants furent les premiers seigneurs du Vastemonde, mais les peuples nés ultérieurement finirent par se liguer pour se défaire de leur joug. Plus récemment, des familles de Dragons ayant fui l'Astral ont fondé un empire dans les Domaines, qui a lui aussi fini par s'éteindre mais a laissé des traces importantes culturellement et économiquement. On lui doit les routes qui relient les portails, l'urbanisation, bref, la civilisation telle qu'elle existe.
Les joueurs incarnent des aventuriers, explorateurs ou mercenaires. Le parti pris du jeu est que ce sont des hommes et des femmes d'action, pas des érudits plongés dans leurs livres : par conséquent les rôles de prêtres et de magiciens sont réservés au maître de jeu.
Le système associé à Vastemonde (appelé Princes et Vagabonds) est inspiré de l'OSR tout en s'en démarquant fortement. C'est un lointain descendant de Searchers of the Unknown de Nicolas Dessaux, assez similaire dans les concept au système qui motorise La Lune et Douze Lotus. Princes et Vagabonds est toutefois plus étoffé que ce dernier, faisant fi de la ligne de vie au profit d'une structure de caractéristiques et de classes typiques de l'OSR. Les joueurs pourront donc incarner des Bardes, Barbares, Guerriers, Maîtres de Guerre, Moines, Paladins, Rôdeurs ou Voleurs. Ces classes se distinguent essentiellement par un bonus qui s'applique à tous leurs jets de dés et qui dépend de la versatilité des pouvoirs conférés à ladite classe. Ainsi, Bardes et Paladins qui ont accès à des sorts ont un bonus plus faible que le Rôdeur ou le Voleur, plus spécialisés.
Les joueurs peuvent évidemment choisir parmi tout un panel de peuples: hauts elfes, humains, nains, gobelins, orques, hobgobelins, gobelours, tinigens et halfelins. Si les impacts mécaniques du choix de peuple sont limités, les cultures de chaque peuple sont détaillées et réellement intéressantes et originales. Ainsi, les orques sont hermaphrodites: elles naissent femelles, mais certaines deviennent mâles avec l'âge. Cette biologie particulière crée des dynamiques sociales plus qu'intéressantes, on s'en doute.
Mécaniquement, le système reste la base simple de SoTU à savoir un jet de dé modifié qui doit être au-dessus de 20 pour une réussite franche, est une réussite partielle (un "oui, mais") en dessous de 20 et un véritable échec sur un 1 ou moins. Le niveau de jeu est donc relativement héroïque puisque l'échec est rare. En combat toutefois, seules les réussites franches assènent des dégâts conséquents, ce qui fait qu'on peut quand même devoir serrer les fesses face à des adversaires coriaces.
Histoire de vous donner une idée du contenu des Cahiers du Vastemonde, on commence par une grosse centaine de pages de description de l'univers, des factions et des enjeux. S'ensuit une autre grosse centaine sur la création de personnages et les mécaniques de résolution. On a ensuite un magnifique bestiaire sur une cinquantaine de pages et des détails sur les prêtres et les magiciens (PNJ par définition). L'ouvrage se termine par plus d'une centaine de pages de scénarios sous divers formats au nombre de quatre.
Ces quatre scénarios montrent diverses facettes de l'univers et ce qu'elles permettent en termes de jeu.
- On commence par Sortir les Griffes un scénario assez classique d'enquête et de confrontation, mais avec des enjeux bien pensés. Idéal pour prendre le système en main et découvrir les aspects saillants de l'univers (portails, routes, factions...)
- S'ensuit un petit bac à sable au nom poétique de C'est ce qu'on appelle avoir le Cul entre le Marteau et l'Enclume : les personnages déboulent dans une situation tendue entre un envahisseur aussi maléfique que mystique et les forces disparates qui se liguent contre lui. Les communautés locales, elles, ne savent pas bien qui est le pire des deux. Pas mal d'action à prévoir, beaucoup de négociation et des choix moraux intéressants avec un (probable) final tactique et compliqué.
- Le troisième scénario est également un bac à sable, mais beaucoup plus ouvert que le précédent, Entre Gris et Rouge. Il met en avant le côté science-fantasy de l'univers puisqu'il se déroule dans l'Astral, sur une sorte de station pénitentière. Beaucoup d'intrigue, sans doute pas mal de violence également, et des enjeux intéressants avec de gros impacts sur les lieux où se déroule l'action.
- Enfin, Par la volonté du Munerarius Magnus est un méga-donjon succinctement décrit, mais largement assez pour être jouable sans travail supplémentaire. Les personnages doivent retrouver des villageois enlevés par des habitants de abysses. On va bien au-delà de l'enfilade de salles sans cohérence, avec de gros aspects sociaux, des alliances à constituer et une dynamique à comprendre avant de pouvoir s'en sortir par le haut (sans mauvais jeu de mot).
Bref, vous l'aurez compris, il y a de quoi jouer au moins des mois, sinon des années dans ce premier Cahier du Vastemonde, et John Grümph a dores et déjà parlé sur Casus NO de futurs opus qui étofferaient l'univers et, pourquoi pas, proposeraient d'autres scénarios et bacs à sables de la même qualité que ceux-ci. On espère bien qu'il s'y tiendra.
Les Cahiers du Vastemonde propose un univers riche et foisonnant, où les marqueurs habituels des donjonneries sont présents mais pris à contrepied, voire déformés de manière excitante et originale sans toutefois tomber dans le gonzo. Vous en avez marre du Donjon à Papa mais vos joueurs veulent du Donjon ? Le Vastemonde est fait pour vous !
Je n'ai franchement pas beaucoup de réserves sur ce dernier ouvrage Chibi. La principale, c'est que la description de l'univers manque un peu à mon goût de dynamique: on comprend le passé de l'univers, on voit à peu près son présent, mais on ne voit pas de lignes de forces notables qui pourraient former la colonne vertébrale d'une grande campagne, par exemple. Les factions sont décrites, mais on a du mal à percevoir où elles vont. C'est d'autant plus frustrant que la nature fragmentée de la géographie rend les trames classiques de conquêtes plus difficiles à concevoir. Rien qu'un peu de jus de cerveau ne puisse produire, mais quand même une petite frustration pour moi.
Au niveau de la mécanique, venant le La Lune et Douze Lotus ça me semble un peu plus compliqué, mais franchement rien de lourd par rapport à un D&D classique ou même pas mal d'OSR. Certains choix, comme celui de réintroduire les alignements D&D m'ont surpris, et je n'en vois pas bien l'intérêt, mais bon, c'est très facile à ignorer.
Par bien des côtés, ces Cahiers du Vastemonde me donnent l'impression d'être l'aboutissement des travaux de John Grümph depuis de nombreuses années. Que ce soit au niveau de l'univers ou des mécaniques, on perçoit bien si on connaît le travail de l'auteur les filiations avec des projets précédents (publiés ou non), que ce soit Oltrée!, La Lune et Douze Lotus, Mantel d'Acier, ou encore Titan et Fils. Mais ce n'est pas un vulgaire best of des idées de l'auteur, c'est un tout très cohérent et bien construit, conçu pour jouer rapidement avec une très grande liberté.
Ah, un dernier mot : je commente rarement les illustrations des jeux que je chronique, mais je dois ici faire une exception. Les planches en pleine page des Cahiers du Vastemonde sont tout simplement magnifiques, comme des fresques naturalistes qui décrivent tous les aspects de l'univers tout en appuyant fortement sur la symbolique. C'est de toute beauté et pour tout dire, je verrais bien certaines d'entre-elles encadrées dans ma salle de jeu le jour où j'en aurais une.
Commentaires
Enregistrer un commentaire