Tout juste sortie en pdf, cette campagne pour Pulp Cthulhu se déroule en 1935. Elle repose sur un ressort peu exploité dans L’Appel de Cthulhu, les pouvoirs mentaux, au point de présupposer qu’au moins une partie des personnages sont médiums ou clairvoyants (c’est le cas de deux des prétirés). Et tous sont censés s’intéresser de près ou de loin à la science toute neuve de la parapsychologie, par opposition au bon vieil occultisme, même si celui-ci pointe le bout de son nez ici et là[1].
A Cold Fire Within puise dans des pans peu exploités de l’œuvre de Lovecraft. Il n’en reste plus des masses, mais on en trouve encore, à condition de chercher un peu. Christopher Smith Adair, l’auteur, s’est servi de Par-delà le mur du sommeil, Polariset surtout Le Tertrepour composer son histoire, sans oublier quelques petits emprunts à d’autres textes.
Adair a aussi eu l’immense mérite ne pas utiliser d’hommes-serpents, qui jouaient les premiers rôles dans The Two-Headed Serpent. Avec 180 pages dont 137 pages utiles plus une quarantaine de pages d’aides de jeu, de cartes, de prétirés et autres annexes, A Cold Fire Within est très nettement plus court que cette dernière, qui en comptait 270. Cela se ressent aussi dans le nombre de scénarios : six pour A Cold Fire Withincontre neuf pour le serpent bicéphale[2].
Attention, à partir de ce point, je divulgâche.
• Past Lives, Future Death (22 pages), le premier scénario, est une mise en bouche classique, avec un petit bout d’enquête et une scène d’action gravement barrée qui m’a bien plu à lire mais que j’aurai sans doute un peu de mal à présenter à des joueurs. On y croise, entre autres, des laissés pour compte de la Grande Crise qui sont tout prêts à se laisser utiliser par des gens peu scrupuleux.
• Wandering Minds (17 pages) déplace la focale vers le nord de la vallée de l’Hudson, et incite les personnages à se disperser un peu : vont-ils rester sur la piste soulevée dans le premier scénario, ou s’intéresser aux événements qui se déroulent dans l’institut de parapsychologie voisin ?
• Into the Wilds, Into the Depths (10 pages) est un scénario de transition dans lequel les investigateurs progressent dans l’environnement difficile des monts Castkill et se frottent à la faune sauvage et à une population locale peu accueillante. Ils y croisent un PNJ éminemment antipathique dont ils devraientcasser la gueule, mais qui pourrait leur être plus utile en état de marche, un thème qui revient à plusieurs reprises dans la campagne et augure de gentils dilemmes moraux si elle est bien mise en scène.
• Lost Word in Blue (32 pages), est le morceau de bravoure de la campagne, et contrairement aux scénarios précédents, qui étaient tous relativement linéaires, c’est un gros bac à sable. Nos héros débarquent dans un monde perdu souterrain, habité par plusieurs factions dont certaines ravalent les Melnibonéens au rang de Télétubbies et d’autres sont… encore pires. Ils doivent s’orienter, éviter de se faire découper en très fines rondelles par les uns ou les autres et dénouer quelques intrigues secondaires avant de continuer leur périple. J’aurais aimé plus de choses, plus de factions, plus de matière, plus de tout, mais je suis un goinfre, il y a déjà de quoi tenir plusieurs bonnes séances.
• Black Sun Rising (12 pages) conclut la campagne par une scène d’action à méga grand spectacle que même Peter Jackson hésiterait devant une telle orgie d’effets spéciaux. Largement conditionnée par les faits et gestes des héros dans les scénarios précédents, elle est très ouverte, et ne sera donc pas particulièrement simple à mettre en scène.
• Enfin, Time Rescue (26 pages) couvre une paire de voyages onirico-astraux qui peuvent s’intercaler n’importe quand entre le premier et le cinquième scénario – et comme leur déclenchement sera provoqué par les joueurs, autant les mettre là. Le premier est optionnel, le second ne l’est pas du tout et son résultat conditionnera largement la manière dont Black Sun Rising va se dérouler.
Bon, que penser de tout ça ?
Déjà, que l’histoire a beau être un mash-upsauvage entre des histoires de Lovecraft très différentes les unes des autres, elle fonctionne, et le meneur de jeu devrait pouvoir créer d’amusants effets de contraste, avec des scènes ancrées dans le quotidien de la Grande Crise, des bagarres avec des brutes déboussolées par des populistes à grande gueule, des vignettes préhistoriques contenant de la réincarnation et des scènes d’exploration d’un monde perdu…
Ensuite,A Cold Fire Withintient d’un bout à l’autre son focus sur les « pouvoirs mentaux ». Elle est probablement jouable avec des jets de POU à la place des jets dans les compétences dédiées, mais ça serait dommage. Du coup, je regarde la section « science étrange » de Cthulhu Pulp d’un autre œil, un œil dans lequel une petite voix me dit[3]« un jour, peut-être ? »
Troisième enseignement, il y aura sans doute une grosse différence entre ce qui est écrit et ce qui sera joué. Les trois premiers scénarios, qui s’enchaînent vite à la lecture, offrent de nombreuses occasions de faire demi-tour pour s’équiper en prévision de la suite et une piste optionnelle qui peut prendre des jours… Ensuite, une fois arrivés dans le bac à sable, ce sont les joueurs qui ont la main. Prudents ou fonceurs ? Diplomates ou pas ? Le moment où ils déclencheront Time Rescuechangera sans doute aussi pas mal de choses. Les quatre premiers scénarios offrent tous des occasions de le faire, et les joueurs s’en créeront sans doute d’autres.
A titre personnel, si j’avais une critique à formuler, ce serait une légère overdose de « et là, faites un jet Difficile de telle compétence », qui en viennent à dominer la narration plutôt que de la structurer, mais c’est sans doute un effet secondaire du pulp.
Je ne vois pas A Cold Fire Withinrejoindre le petit groupe très fermé des « grandes campagnes » pour L’Appel de Cthulhu, mais il se place très honorablement dans celui des « bonnes campagnes jouables sans y consacrer deux ans de sa vie ». Ce n’est déjà mal du tout, comme résultat.
Disponible en pdf sur le site de Chaosium. Prix : 17,99 $.
La version papier devrait arriver cet automne.
[1]Ce n’est pas le cœur du propos de l’auteur, mais il sème ici et là des noms comme « Agartha » et « Shamballa » que je me ferai un plaisir d’exploiter si un jour je la fais jouer.
[2]Encore que le 2escénario ignore les unités de lieu et d’action au point qu’il s’agit plutôt de deux scénarios reliés par la seule unité de temps.
[3]Oui, cette métaphore est pourrie. Non, je ne la changerai pas.
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