Fear’s Sharp Little Needles (et alentours)



Fear's Sharp Little Needles

En 200 pages, ce recueil de Stygian Fox contient 28 scénarios contemporains pour Call of Cthulhu 7thedition. Vingt-huit. Je crois que c’est un record. Bien sûr, ce sont des courts-métrages, qui font dans les 15 000 signes chacun. Pour vous fixer les idées, les « quatre pages » des anciens Casus Belliétaient des 27 000 signes et les scénarios actuels de la revue tournent plutôt autour de 35 à 40 000. Personnellement, j’ai tendance à penser que 40 000 représente un plancher si on veut s’amuser un minimum à l’écriture, mais ça m’est personnel, et ce qui se passe à l’écriture n’a pas forcément de rapport avec ce qui se joue ensuite.

Fear’s Sharp Little Needles offre donc un ensemble de situations qui auront besoin d’être développées si vous voulez en tirer quelque chose qui soit à votre goût. Ce n’est pas un reproche, tous les scénarios de jeu de rôle depuis l’aube des temps sont dans ce cas. Simplement, c’est plus prononcé ici : avec 15 000 signes, l’auteur peut vous donner le cœur, mais il vous appartiendra de poser des muscles autour. Et puis des os. Et de la peau. Et tout le reste. Mieux vaut le savoir avant d’investir. Et si un scénario ne vous plaît pas, bah, il ne fait que quatre pages, et vous pouvez toujours espérer une bonne surprise en tournant la page…

Certains sont jouables avec un seul joueur, d’autres sont juste des épures qui attendent d’être intégrées dans quelque chose de plus vaste – la vie de vos investigateurs ou les machinations des Grands Anciens, selon la manière dont vous envisagez votre rôle de Gardien.

Beaucoup jouent la carte de la situation « classique » réinterprétée à l’aune du XXIsiècle. C’est notamment le cas de Separation Anxiety, qui joue quelques arpèges sur le bon vieux thème du culte déplaisant qui vit à l’écart. D’autres font des efforts pour être originaux, sans toujours taper dans le mille.

Une revue de détail n’aurait pas tellement de sens, d’autant que chacun se fera son petit palmarès, mais sachez que vous serez confrontés, entre autres, à :
• un écrivain névrosé… ou faut-il dire hanté ?
• un clochard dément qui ressemble beaucoup à l’un des investigateurs en plus âgé ;
• un film de zombies dans une maison de retraite ;
• une partie de pêche au (trop) gros ;
• une vengeance sur fond d’accident de voiture ;
• un parc d’attractions fermé, mais pas aussi désert qu’il le devrait ;
• une application de jeu sur mobile qui ne fonctionne pascomme prévu ;
• un donjoncentre de recherches abandonné (pas pour tout le monde) sur une île perdue.

Le dernier quart du livre est occupé par un gros scénario complet, Phlebotomy, qui prolonge  Separation Anxiety. Les investigateurs y croisent le chemin d’une starlette à qui des gens veulent du mal… et Jeffrey Moeller réussit à poser une situation assez classique, puis à la gauchir de telle manière que les investigateurs ne sachent plus où donner de la tête, et finissent par être confrontés à des choix déplaisants. Détaillé, bien fait et intéressant, Phlebotomy justifie à lui seul l’achat du recueil.

Comme toujours chez Stygian Fox, la maquette est propre et les plans impeccables. Sur le front des illustrations, les pleines pages d’ouverture de chaque scénario sont chouettes. Je suis moins fan des demis ou tiers de pages de Reuben Dodd, mais c’est personnel : je trouve que son travail passe mieux en noir et blanc qu’en couleur.

Qu’en conclure ? Je n’ai pas un besoin urgent de ce recueil. Je me sens plus à l’aise dans les années 20 et en France, alors le XXIesiècle en anglo-saxonnie, ce n’est pas forcément mon truc. De plus, le format des scénarios impose un peu plus de travail que d’habitude. N’empêche, pour un Gardien des arcanes lancé dans une campagne contemporaine, c’est une mine d’or où il trouvera forcément une ou deux pépites. 

Disponible sur DriveThru, entre 15 et 42 € selon l’option choisie


Counterfeit Identities


Pack de documents gratuit qui reprend les aides de jeu et les cartes en plus jolis.

Disponible sur DriveThru


Aspirations



Un pdf de 44 pages contenant quatre mini-scénarios supplémentaires et des articles sur l’horreur moderne. Les noms des auteurs m’inspirent plutôt confiance, mais soyons honnête, je ne l’ai pas lu. 
Un truc m'a fait sourire dans le texte de présentation : la mention de True Detective, qui va bientôt devenir un moyen infaillible de détecter les textes datés du milieu des années 2010. Mais bon, il y a des  références pires.

Disponible sur DriveThru, entre 7,60 € et 13,60 € selon l’option choisie


Puncture Wounds


Le couplage entre une anthologie et un recueil de scénarios est tendance, en tout cas chez Stygian Fox et Golden Goblin. Puncture Wounds est donc le livre associé à Fear’s Sharp Little Needles. Là encore, on évolue dans de l’horreur contemporaine, plus noire et gore que ce qui se fait d’habitude dans les années 20. Certaines nouvelles placent dûment les petits cailloux non-euclidiens qui permettent de savoir que oui, on est bien dans du Que-tu-l’eus, d’autres s’en dispensent, ce qui ne les empêche pas forcément d’être sympas. Tour d’horizon de ses 10 nouvelles (qui occupent 190 pages) :

• The Struggle, par Oscar Rios, est la courte et douloureuse histoire d’un groupe d’investigateurs qui se rend compte qu’il nage dans des eaux un peu trop profondes pour lui. Très bon cru, intelligent et prenant.

• And The Stars Shall Sing Us Home, par Scott Dorward, nous raconte ce que ça fait d’être le fils d’un participant à un suicide collectif. Et donc, notre héros, qui n’a pas connu son père, revient sur le site d’où les membres de la Sagesse étoilée ont fait le grand saut… Mais vers où ? Elle se laisse lire très agréablement, même si elle est un poil prévisible.

• Burrowing, par Nicholas Nacario, est courte et dénuée de marqueurs cthulhiens. Elle appartient à un genre classique de l’horreur – la destruction du protagoniste – mais son exécution s’avère un peu maladroite. La dernière phrase, qui est censée amener un effet de choc, m’a fait pouffer. Je pense que ce n’était pas l’effet recherché.

• Lateral Genetics, par Andi Newton, joue la carte de la contamination par des trucs peu ragoûtants, vus par les yeux de trois experts du CDC. C’est un petit bout de thriller médical, avec microscopes, propagation et pulvérisations chimiques pour neutraliser l’infestation. Elle est honorable, sans plus, peut-être parce qu’on n’a pas le temps de s’attacher aux héros (trois personnages, c’était sans doute trop pour la place disponible).

• Change of Perspective, par Adam Gauntlett, joue la carte de l’orthodoxie cthulhienne, mais pas que. Elle se passe en partie à Paris, il y est question du comte d’Erlette et des catacombes, mais pas que. On y croise un apprenti cannibale et une jolie fille, mais pas que. Vous l’aurez compris, elle m’a bien plu, je lui colle un label « À déguster sans modération ».

• Bookworm, par Chris Halliday, tente une fusion entre pas mal de choses – le Lovecraft du Festival, l’Angleterre contemporaine et la bibliophilie, entre autres. Elle vise haut, n’atteint pas tout à fait son objectif parce qu’elle est juste « un peu trop » efficace, avec ses protagonistes qui disent toujours pile le truc qu’il faut au bon moment pour faire monter la tension d’un cran de plus[1], mais à cette petite réserve près, elle vous embarque.

• How Do Your Garden Grow ?, par Jo Kreil, se déroule dans un immeuble new-yorkais et on y entend des échos lointains de Rosemary’s Baby, en plus floral. La protagoniste, confrontée à une voisine trop sympathique, cauchemarde, et finit mal. Je suis assez indifférent au Grand Ancien choisi comme menace, et du coup, elle n’a pas eu l’effet escompté sur moi.

• Now Black Stars Rise, de George Cotronis, nous raconte la petite fête que s’organisent les derniers employés d’un centre commercial abandonné. L’univers lovecraftien est devenu si référencé qu’il suffit des mots « black stars » dans le titre pour avoir une idée de quoi il retourne, et effectivement… mais c’est fait intelligemment, et ça se laisse lire sans déplaisir.

• Victory Day, de Chad J. Bowser, nous raconte comment un agent américain s’infiltre dans une base secrète où les Soviétiques font des recherches pas catholiquespeu orthodoxes. Conformément au genre, elle contient une ou deux séquences d’action un peu too much, mais elle a le bon esprit de très mal se terminer. Au fond, c’est tout ce qu’on demande à ce genre d’histoire. Nous ne sommes plus des gamins, nous n’arrachons plus les ailes des mouches. Non, nous autres adultes voulons qu’un type les arrache à notre place et nous le raconte, si possible sous un format lisible en moins d’un quart d’heure. Et à condition qu’il ne prenne pas trop cher.

• The Terror of Seal Sands, de Glynn Owen Barrass, se déroule un peu après la fin des temps, dans un coin paumé de l’Angleterre d’où des adolescents survivants tentent de s’échapper. Elle repose presque entièrement sur un petit retournement final qui m’a bien plu, mais pour le reste, elle ne m’a pas passionnée.

• Dark Coulds Gather, de Brian M. Sammons, nous raconte un autre petit bout de fin du monde sauce à la menthe. La civilisation est en train d’être anéantie, et c’est le tour d’un petit village écossais, sauf que… elle est réalisée avec compétence, mais comme on sait dès le premier paragraphe où elle va nous emmener, et qu’on arrive à l’endroit exact que l’on anticipait, eh bien… on a vaguement l’impression d’avoir perdu son temps.

• What Dreams May Come, de Simon Brake, nous parle d’une artiste internée et surtout de son psychiatre. Elle se lit bien, son ambiance douce-amère fonctionne… mais au bout du compte, elle ne va pas très loin, et on se doute dès le début de sa destination. Le résultat est agréable, mais court en bouche.

Au bout du compte, Puncture Wounds n’est pas l'anthologie du siècle. On y retrouve des noms familiers, que j’en arrive à identifier comme les demi-sel du lovecraftisme : des gens qui sont dans toutes les anthologies, remplissent le contrat fixé, ont parfois de bonnes idées… et sont souvent vaguement chiants. Rien n’est vraiment mauvais, même si certaines histoires, comme Dark Clouds Gather, ne sont pas ma came. Et il y a aussi quelques bons moments, comme The Struggle ou Change of Perspective.

Disponible sur DriveThru, entre 7,27 € et 17,24 € selon l’option choisie


[1]Dans la réalité, quelles sont les chances pour que vous ayez pile sous la main le bibliophile qui vous dira que oui, vous avez chopé un grimoire rédigé en runes magiques de telle variété ? Vous arrivez avec votre bouquin maudit sous le bras, le gars le regarde d’un œil vitreux, vous dit « jamais rien vu de tel » et vous en sortez aussi peu savant qu’avant. Mais voilà, il faut faire avancer l’intrigue…

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