Alexandre le Grand, d’Arthur Weigall

Cela fait longtemps que n’avais pas commis de billet. Une petite sortie d’hibernation s’impose, pour moi comme pour ce blog.

Sous l'emballage moderne...
.... en réalité, il y a ça.
J’ai pris ce petit poche un peu par hasard, parce que le sujet m’intéresse et qu'il n’était pas cher. J’aurais dû lire la quatrième de couverture plus attentivement, ça m’aurait permis de repérer que l’auteur était mort en 1934, et de me douter que sa biographie risquait d’avoir un petit parfum de naphtaline. De fait, elle est de 1924.

Une fois passé un petit temps d’adaptation pour s’acclimater au style – car la traduction est d’époque, elle aussi – on découvre un bouquin pas pire qu’un autre, où coexistent deux niveaux de lecture. Allez, disons trois.

• Un résumé de ce que toutes les sources antiques racontent d’Alexandre et de ses conquêtes. Weigall fait son boulot honnêtement, pointe les contradictions entre historiens, explique qu’il préfère suivre celui-ci plutôt que celui-là sur tel point, et pourquoi, etc. À ce niveau, rien à dire, on n’est pas volé, c’est bien écrit et bien fichu. Le lecteur découvre la cour de Macédoine, sympathise (plus ou moins) avec Philippe II, le père du héros, suit l’enfance et l’adolescence de ce dernier, puis Philippe meurt et la grande aventure commence. Le jeune et brillant élève d’Aristote se lance à la conquête de l’empire perse, environ vingt fois plus gros que son propre royaume. À la surprise générale, il le pulvérise en deux campagnes. Ensuite, il use le reste de sa vie à pacifier sa conquête et meurt à trente-deux ans alors qu’il préparait l'annexion de l’Occident et l’instauration d’un empire universel.

C’est plein de sièges, de batailles, de trahisons, d’exécutions… et quelques des moments qui font mesurer l’abîme qui nous sépare du IVsiècle, notamment lors de l’arrivée à l’Indus (« oh, un fleuve avec des crocodiles et des lotus… c’est forcément un affluent du Nil, c’est le seul fleuve au monde où il y a à la fois des crocos et des lotus. Si on le descend, on rentre chez nous »). On sourit en notant qu'en bon Anglais de son temps, l’auteur s’intéresse tout particulièrement aux campagnes afghanes et indiennes d’Alexandre.

• Une esquisse de portrait psychologique d’Alexandre, au sens où l’entendaient les auteurs d’il y a un siècle – Stefan Zweig portera ce genre biographique à la perfection un peu plus tard. Ce versant apporte des éclairages intéressants… sur les attentes des lecteurs britanniques de 1924. Philippe et Olympias, les parents d’Alexandre, sont dépeints comme prisonniers d’un mariage de convenance entre tempéraments incompatibles, selon un schéma familier aux lecteurs de l’époque : la jeune femme sensible et imaginative attelée à un ivrogne brutal aux mœurs dissolues[1]. Ensuite, le jeune Alexandre est repeint en jolly gallant gentleman, avant que Weigall consacre de longues pages à son équilibre mental, qu’il juge incertain, et à son caractère, qu’il estime pétri de contradictions[2]. Une mention spéciale au thème de l’homosexualité d’Alexandre, abordée avec de considérables précautions oratoires et sans aucune mise en perspective, comme si Alexandre était un sujet du roi George V plutôt qu’un Grec d’il y a vingt-quatre siècles (et en général, la question n'est abordée que par le biais de sa santé mentale, ce qui est bon marqueur d'évolution des mentalités).

• Un niveau théologique, enfin. L’auteur insiste beaucoup sur la question de la divinité d’Alexandre. Olympias, sa mère, était initiée à des cultes à mystères et a toujours soutenu qu’il était le fils de Zeus Amon[3]. Alexandre lui-même ne s’est pas privé de jouer la carte « fils de Dieu » partout où il a pu, et lorsqu’il a conquis l’Égypte, il s’est autorisé un long détour jusqu’à l’oasis de Siwa, dans le désert occidental, où il s’est entretenu avec les prêtres de son « père » divin.

Lu au premier degré, tout cela relève du mysticisme de l’époque, voire de la politique appliquée, mais regardez mieux… Nous avons là le fils d’un dieu syncrétique gréco-égyptien, qui libère l’Égypte des Perses, puis s’entoure de prêtres de ce pays. En leur compagnie, il pratique des invocations au « dieu de la peur » à la veille d’une bataille décisive. Il fait preuve d’une force, d’une endurance et d’un charisme surhumains, mais son règne est un long bain de sang[4], et il meurt dans des circonstances troubles juste avant d’accéder à l’empire universel. Alors oui, je sais, je suis formaté, et même déformé, mais il m’est difficile de ne pas penser « hybride de Nyarlathotep ». À la lecture des derniers chapitres, un scénario où vous jouez des membres de son entourage résolus à l’empoisonner avant qu’il ne dévore le monde entier s’écrit pratiquement tout seul.

Bref, tout cela a beau avoir un petit goût de poussière, je ne regrette pas mon achat, même si j’envisage sérieusement de le compléter par quelque chose de plus moderne.

Éditions Payot, 10,90 €



[1]Par la suite, Olympias se signalera par une tendance à assassiner tout ce qui pourrait faire de l’ombre à son fils : les autres épouses de Philippe, leurs enfants, et ainsi de suite. Si elle a été un jour une jeune fille sensible, elle s’est vite laisser pousser les crocs.
[2]Comment pourrait-il être cohérent, alors que nous le voyons par le prisme d’une vingtaine d’historiens antiques dont les œuvres s’étalent sur cinq siècles ?
[3]Dès l’Antiquité, certains auteurs mauvaises langues parlent d’un Égyptien en exil à la cour de Macédoine.
[4]Weigall ne le précise pas, mais en Orient, « Alexandre » charrie le même genre de connotation qu’« Attila » chez nous.

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