L’occultisme nazi, de Stéphane François

Oui, je sais, c’est un thème qui me tracasse, et je vous en parle régulièrement. J’ai deux choses à dire pour ma défense. Déjà, j’essaye de choisir des bouquins qui ne donnent pas dans le sensationnalisme baveux, et ensuite, je ne suis pas tout seul : je me contente de puiser quelques seaux dans un immense courant qui traverse toute la culture populaire et savante depuis presque un siècle.


Bref.



 

Estampillé « sérieux » puisque publié aux éditions du CNRS, ce bouquin de 230 pages comporte deux grandes parties :

 

• quatre chapitres sur « les nazis et l’occultisme » ;

• les portraits de six « passeurs » qui, de 1945 au début du XXIe siècle, ont versé de la sauce brune là où ils en avaient l’occasion.

 

Ces dix chapitres sont en réalité autant d’articles distincts, revus et corrigés pour une publication en volume. Ce format entraîne quelques redites et, parfois, le survol de questions qui auraient mérité des développements plus poussés, mais il oblige aussi l’auteur à rester concis, voire percutant.

 

Et donc, les nazis et l’occultisme, prise douze millions six cent mille huit cent quatre (environ). 

 

Mein Kampf est-il un manifeste ésotérique ? Les nazis sont-ils sortis tout armés de l’arrière-cuisine d’une société secrète ? Le IIIe Reich a-t-il favorisé les néopaïens ?

 

Sur toutes ces questions, si vous êtes un disciple de Bergier, Pauwels et leurs successeurs, attendez-vous à ce que L’Occultisme nazi casse vos jouets. Hitler n’était ni médium ni initié à une Tradition occulte. La société de Thulé n’avait pas de projets de domination mondiale. Et ainsi de suite. Compliquée par le fait qu’on ne peut pas prouver une négative, la démonstration n’en reste pas moins convaincante.

 

Mais si vous êtes un rationaliste complet, la liste des hiérarques nazis ayant fricoté avec des groupes ésotérico-mystico-occultes, ou ayant fondé les leurs, risque de vous donner le vertige. Le nazisme est la synthèse d’un tas de choses qui mijotaient à la lisière de la conscience de l’Allemagne de 1900, et « les nazis » n’étant pas un bloc complètement homogène, ils comptaient aussi leurs ésotéristes…

 

Mais alors, comment en est-on venu à simplifier une réalité complexe ? À croire que la société de Thulé pouvait être autre chose qu’un groupuscule d’allumés ? Que les passe-temps atlantes ou néopaïens d’Himmler, qui faisaient ricaner son patron, étaient autre chose qu’un violon din… d’Ingres ? Qu’Hitler avait une ligne directe avec les Puissances des ténèbres ? Eh bien, parce qu’il y a eu des gens pour l’écrire, d’autres pour le lire et quelques-uns pour le croire.

 

Le dernier chapitre de cette partie, de loin le plus stimulant de tout le livre, retrace la mutation d’une partie de l’extrême-droite post-nazie vers l’occultisme après la guerre, dans l’espoir ténu d’offrir une revanche, au moins symbolique, à leur Führer. Qui préférez-vous suivre ? Un chef de guerre foireux qui s’est suicidé dans les ruines de sa capitale, ou un Authentique Héros Surhumain™ exilé dans une dimension parallèle d’où il continue la lutte en attendant l’heure de son retour triomphal[1] ? La réponse rationnelle est « aucun des deux, merci », mais si vous êtes de ceux pour qui c’est un choix existentiel, la seconde solution doit avoir ses charmes.

 

Tout ce chapitre est imprégné par l’idée de création de mythe, une notion qui a deux versants : des producteurs, mais aussi un public qui en redemande dans le registre « incarnation du Mal ». L’idée qu’Hitler et ses sbires aient pu obtenir une forme de transfiguration culturelle, rien que par le pouvoir de la croyance, est dérangeante... surtout pour des rôlistes qui passent leur vie à manipuler mythes et symboles sans forcément avoir conscience de leur puissance.

 

Avez-vous lu, dans votre folle jeunesse, les bouquins de la collection L’Aventure mystérieuse chez Robert Laffont ? Ou leurs concurrents, les petits bouquins rouges de chez J’Ai Lu ? Si oui, il y a de fortes chances que vous ayez dégusté sans le savoir les œuvres d’anciens SS français repeints en illuminés « présentables » à l’usage du public des années 60 et 70. Et comme ces bouquins ont eu, à leur tour, une postérité, on se retrouve à regarder d’un autre œil un certain nombre de créations inoffensives, mais dont les auteurs ont, en toute inconscience, puisés dans des thèmes toxiques.

 

Ce qui nous amène directement à la seconde partie, celle des « passeurs ». Vous y croiserez, entre autres, un ancien dadaïste évoluant aux marges de la SS tout en rejetant l’antisémitisme nazi[2] ; un diplomate chilien d’extrême-droite, hostile à Pinochet et convaincu que les Vikings ont fondé les civilisations sud-américaines ; un journaliste de Rock & Folk spécialiste de Michael Jackson et menant une vie parallèle d’auteur « nationaliste », etc.

 

Certains de ces gens sont des précurseurs antérieurs à Hitler, ou tout juste contemporains, que les intellectuels des générations suivantes ont intégrés dans la vaste nébuleuse des idées « nazies », sans trop se soucier de rester fidèles à leur pensée. 

 

D’autres sont des héritiers qui tentent de transmettre leur version des idées « nazies », pour une valeur étrangement diffuse de « nazi ». Aucun dignitaire du IIIe Reich n’a sans doute jamais pensé que les Vikings ont fondé des colonies dans la région de Lima, mais l’idée s’inscrit tout à fait dans le prolongement de notions qu’ils avaient fait inscrire dans les programmes scolaires allemands. 

 

Enfin, les plus récents sont des continuateurs, qui piochent dans le corpus nazi et s’en servent pour bricoler de nouveaux dogmes…

 

Que conclure de tout ça ? 

 

Déjà, mon habituelle recommandation de « pillez ce livre et utilisez-le comme matériaux pour du jeu de rôle » va directement à l’encontre du propos de L’Occultisme nazi. Quand on joue avec des mythes, comment recycler une démythification ?

 

Je vous fais confiance pour trouver une réponse, voici les miennes.

 

A minima, un paquet d’allumés rôde entre ces deux couvertures. Il n’y a même pas besoin d’imaginer que ces gens étaient membres de sociétés secrètes, la plupart ont fondé la leur, ou ont appartenu à celle de quelqu’un d’autre. Bien entendu, il ne s’agissait pas de complots efficaces, juste de groupuscules peuplés d’inadaptés, de frustrés ou d’illuminés, dangereux à leur façon, mais bien incapables de changer le monde.

 

En revanche, là où le complot tentaculaire n’existe pas, la notion de mouvance prend le relais. Il existe bien, à l’extrême-droite, une « collection d’individus qui sont plus unis par leurs idées que séparés par tout le reste ». Je ne suis pas sûr qu’un « païen aryen » de l’Alabama trouverait grand-chose à dire à un intellectuel parisien disciple de Julius Evola, mais ils appartiennent sans l’ombre d’un doute à la même galaxie et le savent. Combien d’autres idées, notions ou pratiques peuvent en dire autant ?

 

Secundo, parce que ça ne fait pas de mal de se rappeler que les idées ne sont pas des absolus platoniciens qui naissent sous une forme immédiatement reconnaissable. Avant leur cristallisation dans quelque chose de durable, on assiste à des tâtonnements, des échecs… Et bien entendu, celles qui survivent à leur créateur font parfois l’objet d’accommodements posthumes. 

 

Au-delà de l’idée isolée, on se promène au pays des dogmes, des corpus idéologiques plus ou moins solides, plus ou moins bien bâtis… et ces animaux-là sont également intéressants à observer. Eux aussi s’avèrent être d’une plasticité infinie, chaque individu ou groupuscule y puisant les aspects qui l’intéressent selon ses besoins. 

 

C’est sans doute avec cet aspect que je suis le plus entré en résonance. Je suis fasciné par les créations collectives. Cycle arthurien, canon sherlockien ou mythe de Cthulhu sont des entités que j’observe depuis quarante ans. Étrangement, et de manière assez horrible, tous trois partagent des processus d’évolution assez proche des dogmes nazis, néonazis ou post-nazis. Oui, je sais, il y a une nuance importante entre des créations littéraires et de l’idéologie, mais ça n’est qu’une nuance – tout ça sort de cerveaux humains sujets aux influences, aux effets de mode et aux querelles de chapelles.

 

Bref, c’est vous qui voyez, mais en définitive, je vous le conseille.

 

CNRS Éditions, 24 €



[1] Ou sur la face cachée de la Lune, ou dans les bases secrètes nazies de l’Antarctique, etc.

[2] Pas par humanisme, entendons-nous, mais parce que ce racisme biologique n’était pas raccord avec le sien.

Commentaires

  1. L'occultisme nazi, c'est un thème qui est intéressant, non pas parce que c'est vrai, mais parce que des gens pensent que ça l'est.

    Je me note la référence de côté, tout en me disant que si je le commande à ma librairie anarchiste préférée (qui a aussi un très sympa rayon SF), ça risque de faire tiquer…

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  2. Ah ben merde... Feu là collection "L'Aventure mystérieuse" fait partie de mes sources pour un projet rôlistique de longue date. Je savais ses auteurs un peu allumés... mais nazillants, que nenni. Fuck...

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    1. Pas tous les volumes. Certains d'entre eux.

      D'autres ont des auteurs foutraques : les bouquins de Lobsang Rampa sont écrits par un plombier britannique Cyril Henry Hoskin.
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Lobsang_Rampa

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