- Jonathan ! Dans mon bureau ! Immédiatement ! C'est quoi, cette chose ?
- Mais c'est mon super thriller psychologique, m'sieur Bob ! Ca vous a plu ?
- J'ai tellement adoré que je ne sais pas où commencer pour les compliments. Ah, si : ça m'a gonflé avant la fin.
- Mais ...
- Jonathan, mon petit, asseyez-vous. Il faut qu'on parle. Vous avez voulu faire un thriller psychologique que les gens classent en "comédie noire". Ce serait pas un problème ?
- Oh, moi, tant qu'on regarde mon chef d'œuvre.
- Ah oui, de suite, les grands mots. Déjà, pour un chef d'œuvre, il faudrait qu'il y ait au moins un personnage attachant. Le personnage principal est tellement haïssable que je souhaitais que son adversaire, un baron de la mafia russe, la bute. J'en avais mal pour lui. D'ailleurs, qu'est-ce que Dinklage vient faire dans ce naufrage ? Un bon acteur aussi mal dirigé, ça mérite un blâme.
- Mais attendez, l'héroïne, d'accord elle est méchante, vile, manipulatrice, procédurière et sociopathe. Ok, elle enferme des vieux dans des ehpad, sous tutelle à son nom avec un prétexte bidonné, dans le but de pomper leur fric jusqu'à ce qu'ils meurent mais elle a des qualités.
- Lesquelles, au juste ?
- Elle est belle. Pis elle est lesbienne, ça me fait des points, ça non ?
- Non. On est en 2021et un personnage principal LGBT, c'est normal, c'est sain, c'est souhaitable mais c'est pas ça à lui seul qui sauve un film. Il faut aussi, je sais que ça va vous surprendre, que le film soit bon ! D'ailleurs, parlons-en de sa copine : jamais vu un rôle aussi vide.
- Mais elle l'aime, et elle lui sauve la vie. Super classe, comme idée, le sauvetage ! C'est sa rédemption.
- Alors, déjà, c'est cliché à un niveau apocalyptique comme idée mais le personnage est censé être un détective/garde-du-corps/ancien flic sauf que ses interventions sont soit complètement mineures, soit à côté de la plaque. Dans le scénario, là, l'héroïne met en ehpad sous curatelle une vieille qui est la mère du baron de la mafia russe local (Dinklage). La copine fait une enquête et découvre que c'est une fausse identité impossible à détecter affinée sur 40 ans mais elle est tombée par hasard sur un vieux faire-part de décès d'un homonyme en 1939 et ça lui suffit à dire que l'identité de la dame est fausse malgré 40 ans de preuves du contraire ? Elle est tombée comment sur cet article ? Pis pourquoi au juste elle a enquêté comme ça ? Quand a-t-elle enquêté ? C'est balancé comme ça. Ah, c'était son seul grand moment d'action, au fait.
- Oui, mais attendez, y'a quand même toute la lutte entre le mafieux et l'héroïne, ces face à face, ce jeu du chat et de la souris ! Comme dans Breaking Bad. Ou HEAT ! Ou Volte-Face !
- Oui, alors j'ai eu l'impression de regarder, plutôt qu'un jeu du chat et de la souris, comme vous dites, un jeu entre deux Wile E. Coyote au fond de deux ravins. C'est quoi ces mafieux russes qui veulent que leurs meurtres aient l'air "naturel" ? On menace, on menace mais on fait rien. Et, au final, ils passent pour des bras cassés de seconde zone. Et quand ils décident de passer au meurtre, c'est pathétique. Le coup de "on l'endort, on la colle dans sa bagnole et on la balance dans un lac"... sérieusement ? Documentez-vous un peu. Si ces gens font peur, c'est parce qu'ils sont un petit peu plus ... vindicatifs que ça. Jetez un oeil sur les cartels mexicains, dans les vraies actualités. Là, on dirait que vous avez ouvert un colis "ACME - Mafia en spray" et que vous avez aspergé votre script.
- Bon, ok. Mais l'héroïne, elle est balaise, non ?
- En parlant de script, la réplique "J'espère que tu vas te faire violer." Et ceci au tout début du film m'a été particulièrement odieuse. Ok, le film parle d'une femme forte, je me suis dit que c'était pour montrer ce que vive les femmes en termes de harcèlement. Sauf que. Dès les premières secondes du film, l'héroïne est montrée comme odieuse et les premières répliques du film, elle se dépeint elle-même comme un requin (bon sang, on est plus en 1987, les Gordon Gekko sans rédemption, même au féminin, ça ne fait plus rêver personne). Donc en bon machiste vous ne pouvez dépeindre une femme forte sans en faire une manipulatrice odieuse, dénuée de sentiments etc. Et si, un instant, on oublie que c'est une ordure dénuée d'empathie et qu'on regarde ses actions, ça n'a pas plus de sens. Elle a l'identité de l'avocat véreux, elle se renseigne pas sur lui. Elle est menacée de mort par une mafia dangereuse, elle choisit de rester pour quelques diamants. Qu'elle va faire expertiser par les glandus du coin. Elle est bourrée de fric mais choisit de garder sa nouvelle cliente pour faire quelques dollars en plus. Elle ne va pas voir la police. Qui cherche pas plus loin quand ils arrêtent les nervis du mafieux (qui, lui, n'en a que trois à disposition). En plus de tous les défauts précités, votre héroïne a un syndrôme de toute-puissance. Tout le film, j'en pouvais plus de sa suffisante arrogance.
- Et les gags, ils sont drôles non ?
- Quels gags ? Celui où le mafieux mange un éclair à moitié en même temps qu'il menace son nervi de mort ? Déjà qu'il en a que trois... Ou celui où il fait des anneaux de gymnastique dans son bureau ? Euh, en quoi c'est drôle, au juste. Le premier est un truc banal vu et re-vu mais ici très mal amené. Le second est aussi de l'ordre du cliché mais tellement placé à l'arrache qu'on dirait qu'un stockshot d'un autre film s'est perdu. Bref, puisque vous aimez les stockshots et les clichés, vous allez me débarrasser le plancher et revoir toute la filmographie de Ed Wood. Vous ne lui arrivez pas à la cheville. I Care A Lot n'est pas un film, c'est une punition. Il n'est même pas assez mauvais pour être chroniqué par nanarland.
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