Antivax, de Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud

Au moment où j’écris ce billet, j’ai une légère douleur dans le haut du bras droit : j’ai été vacciné contre la Covid-19 hier. Il se peut que cela colore ma perception de ce livre, même si pour être honnête, je l’ai commencé bien avant de prendre rendez-vous.

Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais je n’ai jamais vraiment pensé aux vaccins. J’ai été vacciné gamin. Depuis, de temps en temps, ma généraliste me dit « ah, il faudrait penser à faire les rappels », je les fais et puis voilà. Et maintenant que j’arrive aux rives… pas exactement de la vieillesse, mais de la plus-tout-jeunesse, je reçois des courriers de la Sécu pour m’inciter à me faire vacciner contre la grippe, ce que je ne faisais pas tous les ans.

 

Ce livre, sous-titré « la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours », est sorti quelques mois avant le début de la pandémie. Écrit à quatre mains par une virologue et un historien, il suit un plan chronologique. Tout commence donc avec les premières tentatives européennes d’immunisation contre la variole, et progresse de chapitre en chapitre jusqu’en 2018, année marquée par une polémique sur l’extension de la vaccination obligatoire en France. C’est une femme, Lady Mary Montagu, qui ouvre le bal, suivie par Jenner, Pasteur, Koch, et une foule de noms moins connus, associés à une cohorte de maladies largement oubliées sous nos rivages.

 

Au passage, on apprend plein de choses sur la vaccination elle-même, le mouvement antivax se nourrissant en grande partie des erreurs des médecins, puis des laboratoires pharmaceutiques et des gouvernements.

 

On évolue à l’intérieur d’un mouvement diffus, qui se métamorphose selon les pays et les décennies, dont le noyau dur oscille de la droite à la gauche et change de terrain selon les publics, mettant en avant des principes légaux ou moraux, des données scientifiques diversement bidouillées, ou se contentant de la culture intensive de la trouille. Son audience prospère lorsque tout va bien et se dégonfle à chaque épidémie. Au cours de ses trois siècles d’histoire, certains arguments disparaissent, mais ils sont peu nombreux. (Ainsi, la dénonciation des « pratiques de bonne femme » par les médecins s’efface peu à peu après Jenner.)

 

L’argumentaire mute pour rester dans l’air du temps. Notre époque toquée de « naturel » voit des parents développer des discours sur le fait qu’il vaut mieux être malade et développer « de vrais anticorps » plutôt de s’injecter des produits « suspects ». Je suis resté sur le cul en découvrant qu’il existait en Grande-Bretagne et aux États-Unis un marché d’occasion pour des jouets contaminés… En revanche, il n’est plus acceptable de dire « si mon fils est mort de la rougeole, c’est qu’il était faible, or il faut que la race soit forte, sa disparition est donc une bonne chose », qui a été audible du milieu du XIXsiècle au milieu du XXe.

 

L’ouvrage se termine par une longue réflexion sur l’antivaccinisme en France à la fin des années 2010, qui met en évidence les fractures nourries par des logiques opposées, les pouvoirs publics s’appuyant sur des logiques statistiques et une bonne partie des antivax faisant appel à des logiques individuelles…

 

Le plus intéressant est le chapitre qui ne s’y trouve pas, celui consacré à la résistance aux vaccins contre la Covid-19. J’ai lu le chapitre sur la vaccine de Jenner au moment où des prophètes de malheur expliquaient que les vaccins à ARN messager allaient engendrer des mutations atroces, et j’ai eu une sensation d’irréalité en voyant qu’il y a plus de deux cents ans, leurs devanciers prédisaient que l’injection d’un sérum prélevé sur des vaches allait conduire à la minotaurisation des vaccinés[1].

 

Antivax est à la fois une étude historique et un ouvrage de vulgarisation scientifique. Pour un profane, le premier aspect est plus accessible que le second. Et, alors qu’il est sorti juste avant la pandémie, il vient d’un temps où l’on pouvait encore, par exemple, citer le Pr Raoult comme une autorité[2]. Je l’ai trouvé stimulant au possible, et il donne sans doute des clés pour repérer les futures mutations du discours antivax – qui ne va pas disparaître même si le Covid-19 finit par ne plus être qu’un mauvais souvenir, même s’il baisse de volume pendant quelques années.

 

Bref, si le sujet vous intéresse, c’est une lecture conseillée.

 

 

Éditions Vendémiaire, 350 pages, 23 €



[1] Horrible et mal définie, cela va de soi.

[2] Parmi beaucoup d’autres, mais cela rappelle que les deux petites années qui nous séparent de sa publication ont été fertiles en événements.

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