Agon

 


La première édition d'Agon était un bijou. Et pas seulement parce que la Boîte à Heuhh en avait édité une VF parfaite : c'était un excellent jeu qui n'avait pas besoin d'une nouvelle édition. Je n'ai hélas jamais pu faire tourner le jeu à ma table, mais je l'ai lu à plusieurs reprises en me disant à chaque fois que c'était un petit bouquin malin qui démontrait bien qu'une bonne idée ludique n'avait pas besoin de tartiner des pages et des pages de background et de règles. Et donc, fort logiquement, j'ai acheté la seconde édition d'un jeu que je trouve parfait et pour lequel je n'ai jamais trouvé l'occasion de jouer.

Pour les ceusses qui ne connaissent pas Agon, on y incarne des grecs qui à sandales qui errent d'île en île. À chaque étape, ils tombent sur une situation compliqué (un monstre qui menace les habitants de l'île, un complot politique, une guerre qui n'en finit pas...) et les dieux leur demandent de résoudre le problème. Sauf qu'à Agon, on joue tous ensemble (il s'agit de résoudre le problème local dans la camaraderie) tout en essayant de tirer au maximum la couverture à soi car on veut être le plus glorieux des héros de la Grèce antique. C'est un drôle de jeu coopéro-compétitif qui s'appuie sur les images d'Épinal qu'on a tous en tête à cause des peplums et de Xena.

Premier point, on se dit qu'Agon va nous hurler « This is SPARTA! » à la gueule : perdu. En fait, dans la liste des inspirations (ainsi que dans le corps du texte), on nous parle de... Fast & Furious. Et c'est une bonne idée car c'est une oeuvre qui met très bien en scène la démesure décomplexée dans ses scènes d'action (un combat entre des voitures de course et un sous-marin nucléaire ? Oui, c'est possible) et dans ses relations humains (le drama à deux balles avec le mot « Famille » qui revient dans une réplique sur deux, évidemment). Évidemment, le bouquin liste des oeuvres bien plus peplumesques, mais j'ai apprécié cette dédramatisation du décor dès le départ.

Je ne vais pas comparer la V1 et la V2 point par point, mais tenez-le pour dit : ce n'est pas une simple réédition : les règles ont drastiquement changé. Elles sont devenues bien plus abstraites. Ainsi, finies les 16 compétences différentes : désormais on se contente de gérer 4 grands domaines (Arts & Oration, Blood & Valor, Craft & Reason et Resolve & Spirit). Idem, oubliez le combat tactique où l'on se demande ce qu'on tient dans sa main droite et comment on va se déplacer sur le terrain car il y a des impacts en fonction de la distance entre nous et l'adversaire... Désormais, un affrontement se fait en trois jets de dés : un pour savoir qui prend l'ascendant stratégique, un pour déterminer les conséquences du combat et un dernier pour déterminer qui gagne. La baston n'est plus un jeu dans le jeu : c'est une péripétie comme les autres. Et, bien sûr, on peut appliquer cette mécanique à un concours oratoire, à un procès, à un complot...

Alors, bien sûr, si vous aimiez déplacer votre figurine d'hoplite sur le plateau de jeu et changer d'arme au bon moment pour priver un copain du coup victorieux, vous allez être tout déçu de cette simplification drastique car c'était effectivement une mécanique ludique bien marrante. Mais ce que le jeu perd en tactique, il le gagne en accessibilité.

En dehors de ça, vous allez vous retrouver en terrain connu : le MJ continue de jeter les dés pour connaître la difficulté de l'opposition. Mais une mécanique vicieuse vous fait espérer que le MJ obtiendra un gros score : la difficulté indique également le nombre de points de Gloire que le PJ qui réussira la plus grosse réussite gagnera (les PJ ayant moins bien réussi gagneront la moitié de ce score et ceux qui ont râté leur jet gagneront 1 unique point). Bien sûr, on continue d'assembler sa poignée de dés comme avant (L'épithète de mon perso est « Sans peur » donc je prends 1d6. Mon nom est Xanathos, donc j'ajoute 1d8. Et j'ai 1d8 en Resolve & Spirit, donc je jette 1d6+2d8 pour résister à la peur que provoque ce monstre), on coche des cases de Destin qui débloquent progressivement des améliorations mais nous amènent vers la fin de notre parcours de vie.

D'ailleurs, il y a de nouvelles mécaniques qui gèrent les moments entre deux îles. On développe des liens entre PJ mais également envers les dieux. On fait des sacrifices. On peut gagner un souvenir. Les PJ s'attribuent entre eux des points qui détermineront au final comment on se souviendra de votre personnages... En fait, comme bon nombre de jeu à la Blades of the Dark ou à la Apocalypse World, tout est très encadré par les règles. Et il tout à fait possible de lire le livre en pensant qu'il n'y a pas de place pour le roleplay. C'est évidemment faux, il y a beaucoup de place pour jouer son personnage, mais c'est vrai qu'il est tout à fait possible de jouer à ce jeu en mode mécanique pur. D'ailleurs dans les exemples de partie proposés dans le livre, le MJ pose ouvertement des questions fermées à la fin de ses scènes d'exposition, ça donne un petit côté LDVELH.

Ah oui : les règles ne représentent que 60 pages sur les 160 du livre : le reste est bourré de conseils pour le MJ mais également d'une collection de 12 îles (chacune décrite en 3 pages) qui permet de jouer toute une campagne rien qu'avec ce petit bouquin. Les situations sont variées, il y a une belle progression dramatique, c'est épique en diable...

Bref, cette V2 est une proposition un peu différente. Je ne serais pas étonné qu'une partie des amateurs de la V1 rechignent devant cette proposition car leur édition préférée tournait bien et n'avait pas besoin d'une mise à jour. Mais ça reste une lecture intéressante pour mesurer ce que les auteurs ont estimé être des améliorations nécessaires. Pour les nouveaux lecteurs, moi je trouve que c'est une édition plus facile à appréhender. C'est désormais mon édition préférée, c'est cette V2 que je ne vais pas faire jouer dans les années à venir.

Comme elle est plus abstraite, il est encore plus facile d'adapter cette mécanique pour jouer dans une ambiance viking ou africaine. Je maintiens que ça serait un moteur topossime pour faire du Scion façon Surnatural : chaque petite ville américaine que les frères Winchester visitent est l'équivalent d'une île grecque, si on y pense bien.

Si vous possédez la V1 et que vous vous posez des questions sur cette V2, je vous conseille la lecture de la feuille de personnage : elle assez éclairante sur les modifications apportées. Mais vous pouvez très bien continuer de jouer avec votre V1, hein.

Commentaires

  1. Très belle expérience de jeu avec ma table, le système et les missions par îles sont bougrement efficaces pour donner du rythme. L'accumulation des points de gloire et les règles de distribution de la parole en fonction du score obtenu permettent là encore de dynamiser les différentes scènes qui s'enchaînent. Bref, un vrai succès qui mériterait une traduction pour toucher plus de monde.

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  2. Une revue très intéressante d'un jeu de John Harper à côté duquel j'étais passé :)

    Le principe de l'enchainement d'aventures d'île en île est séduisant, et rappel le mécanisme des Jobs / Scores de Blades in the Dark.

    Merci pour ce billet ;)

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