Wu-Tang: An American Saga est une série télévisée qui raconte la création du Wu-Tang Clan, l'incontournable collectif de rap qui a su faire la fusion entre la culture de la rue new-yorkaise et l'imagerie des films de kung-fu. Tout débute dans les années 90, alors que New York est en proie avec le crack. Alors qu'ils dealent tous plus ou moins, les futurs membres du Wu-Tang sont rivaux dans la rue. Car en plus de la rivalité liée au trafic de drogue, il y a la guerre des egos du quotidien, un clair manque de communication entre ces jeunes hommes et bien évidemment des frictions constantes entre quartiers limitrophes. Et dans cette ambiance délétère, Bobby Diggs est un doux rêveur qui aspire à vivre de sa musique. Il sample des vieux albums de la Motown dans le sous-sol familial et en oublie souvent d'aller épauler son frère, qui deale pour faire vivre la maisonnée.
Rien ne va aller de soi pour le futur Wu-Tang : il y a des règlements de compte, des producteurs un peu véreux, la faute à pas de chance, la réalité sociale qui va invariablement leur revenir dans la gueule... L'essentiel des 5 premiers épisodes de la première saison sert à poser les personnages et le contexte social : ça parle du crack, à un tel point qu'on se demande parfois quand ça va finir par parler rap. Les choses vont se décanter dans la seconde moitié de la saison quand soudainement Bobby Diggs va devenir Rakeem, un pur produit du rap commercial qui va bien évidemment échauder Bobby fasse à cette industrie.
C'est donc une série qui se veut réaliste. Des pères absents. Des mères qui cumulent deux ou trois emplois. Des gamins qui deviennent trop vite des adultes. Des sœurs qui font tourner la boutique... Avant de devenir un groupe de musique emblématique, les membres du Wu-Tang vont mener des vies de galère. On retrouve bien sûr des échos des gamins de Baltimore qui dealent au coin des rues dans The Wire. MAIS. Il ne faut pas oublier que la série a été co-créée par RZA, et que son nom au civil est... Bobby Diggs. Donc tout ce que nous est raconté est scripté et produit par le protagoniste central de l'histoire. Ça ne veut pas dire qu'il ment (je ne connais pas l'histoire du groupe, je ne peux donc pas pointer des erreurs ou des manquements) mais il est évident que ça teinte la série. Bobby D. est un joli personnage, qui fait les bonnes choses, qui ne touchent pas tant que ça à la dope... J'ai eu l'impression (peut-être à tort) de me faire raconter une version édulcorée de sa vie.
Pour le reste, c'est vraiment intéressant de voir d'où vient le Wu-Tang. Ce sont de jeunes hommes qui sont arrivés à transcender la violence de leur milieu en adoptant une culture étrangère pour y puiser une philosophie de vie. La rivalité de Shaolin et du Wu-Tang trouve un écho dans l'absurde combat entre les gars de Park Hill et leurs voisins. C'est à la fois une histoire de famille (car on suit les proches de RZA avec du drama très classique) et l'histoire de la création d'une famille (car petit à petit, le groupe va se cristaliser autour de Bobby). La série n'échappe pas à quelques clichés (dont un acteur des Sopranos qui incarne... un mafieux italien) mais force est de constater que la réalité est parfois une parodie d'elle-même.
Bref, si vous appréciez quand ça vient de la rue, que vous voulez savoir comment était Ol' Dirty Bastard dans ses jeunes années, que vous vous demandez comment des personnalités aussi éparses ont pu collaborer sur des albums aussi mythiques, Wu-Tang: An American Saga se déguste avec plaisir. Une seconde saison est actuellement en cours de diffusion, donc ne paniquez pas si vous trouvez que la première saison s'arrête quand tout commence. Par contre, il faut aimer les surnoms qui changent à tout bout de champ, car non seulement il y a beaucoup de personnages, mais en plus ils donnent des petits noms différents à chaque fois. Dennis Coles se fait appeler D-Love, donc souvent D. mais deviendra Ghostface Killah, par exemple.
Mention spéciale aux personnes responsables du sous-titrage pirate sur lequel je suis tombé malgré moi : c'est hilarant. Un mélange d'incompétence et de Google Translate donne des sous-titres décalés où quand Bobby va chez son disquaire pour acheter un "record", c'est traduit par "dossier". J'ai beaucoup ri grâce à eux.
Pour finir, il y a quelques années, un jeune homme blanc s'est permis de reprendre en version acoustique l'immense Shame on a Nigga. Ça aurait pu tourner au vinaigre, c'est un sujet plus miné que la frontière entre les deux Corée, mais le Wu-Tang lui-même a adoubé cette reprise. Comme quoi, tout est toujours une affaire de contexte et d'intention.
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