Faerie Noire

Depuis le temps que je lis des jeux de rôle et que j'en parle, je me rends compte que je n'ai jamais trop réfléchi à la meilleure manière de structurer le propos pour que ce que je dis soit le plus utile à un lecteur qui voudrait se faire une idée. 

Du coup, j'inaugure un nouveau format avec cette critique de Faerie Noire axé autour de trois éléments clés de mon appréciation d'un jeu: 

  • la proposition ludique, c'est à dire qu'est-ce qu'on nous propose de jouer, et à quel point ça me parle;
  • la mécanique et comment elle sert la proposition ludique; 
  • la prise en main et les outils proposés pour faciliter le jeu au MJ et aux joueurs. 

La proposition ludique de Faerie Noire est assez simple: les horreurs de la Grande Guerre ont détruit le Royaume des Fées. Alors que celles-ci ne venaient qu'occasionnellement chez les hommes, elles se retrouvent projetées dans notre monde. Les fées sont connues des hommes, et ostracisées comme on sait si bien le faire. Poussées en marge de la société, elles prennent le contrôle de la pègre pour survivre et prospérer. Cinq espèces de fées se détachent du lot (il peut y en avoir d'autres) : Elfes, Orcs, Nains, Gnomes et Cornus, appelés dans le langage de la pègre Pointus, Gravos, Galibots, Nabots et Dahus. Le jeu se déroule autour des années 50-60. 

Dans Faerie Noire, on raconte donc des histoires de pègre, mais plutôt la pègre ouvrière des années d'après-guerre. On parle l'argot de San Antonio, et on est loin de Ocean's 11, clairement plus inspirés par Audiard. Des losers magnifiques, quoi. 

La mécanique est construite pour être à la fois thématiquement adaptée (on utilise un jeu de 52 cartes plutôt que des dés) et simple. Concrètement, les personnages ont quatre caractéristiques (représentées par les quatre couleurs du jeu de cartes), Jactance, Punch, Brio et Baraka. Leur score dans ces caractéristiques leur permettent de réussir automatiquement les actions dont la difficulté est inférieure ou égale à ce score. Pour des actions plus difficiles, il faut soit se surpasser, ce qui revient à piocher des cartes et espérer qu'elles soient de la couleur de l'action, soit à envoyer la sauce, ce qui narrative ment correspond à de la magie. Dans ce cas on investit ses points de vie (qui sont représentés par une main de cartes) dans des combinaisons de poker pour des effets vraiment spectaculaires. A noter que c'est la seule matérialisation de la magie dans le jeu (pas de sorts, de pouvoirs, etc.), ce qui a le mérite d'être élégant mais risque de défriser les adeptes du Vancien à la D&D. 

Pas grand chose à ajouter, le système est simple, le jeu propose pas mal de déclinaisons de la mécanique de base liée au thème (courses poursuites, combats, etc.) mais sans tomber dans le piège des sous-systèmes aux règles spécifiques. Je ne peux pas vous dire comment ça tourne en jeu, n'ayant pas eu l'occasion de tester, mais sur le papier ça semble carré et fluide.

On en arrive à la prise en main, et là il faut reconnaître que pour un jeu à la pagination aussi succincte il y a un vrai effort d'ergonomie, au moins du côté des joueurs. La création de personnage se fait sur base de cartes dans un classique Race/Classe qui s'appellent ici Rejetons et Gagne-Pains. Ces cartes (à imprimer, fournies dans le jeu et le PDF) se combinent pour indiquer le score dans chaque couleur en lecture directe, le train de vie et quelques autres informations clés qui permettent de camper le personnage. En d'autres termes, la création de perso dure littéralement le temps de décider quel rejeton et quel gagne-pain on souhaite. Allez, 5 minutes, quoi.

Côté MJ je suis un tout petit peu moins enthousiaste, car sorti de la proposition ludique et d'un scénario (au thème classique mais plutôt ouvert, ce qui n'est pas pour me déplaire) on reste un peu sur sa faim. Ça aurait mérité un petit chapitre "quoi faire avec Faerie Noire", et/ou une ou deux pages de pitch de scénarios en un paragraphe. On a certes des éléments d'univers (en particulier les principaux gangs de cette pègre féérique), mais pas beaucoup d'os à ronger quand il s'agit de construire un enchaînement de scénarios qui aille au-delà du one-shot. Espérons que la promesse de matériel supplémentaire sur le site www.faerienoire.com se concrétise rapidement (il y a pour le moment un scénario de prise en main). 

Est-ce que je vais y jouer? Pas impossible, même si peu probable à court terme. La plupart de mes joueurs ici à Hong-Kong sont anglophones, et pour le coup la saveur proprement Française de Faerie Noire leur passerait au-dessus de la tête. Mais l'avantage des jeux à la prise en main aussi rapide, c'est qu'on est jamais à l'abri d'organiser un one-shot au débotté. En tous cas, c'est séduisant, et pour un premier jeu du tandem Fred Boot et Johann Krebs, c'est plutôt un succès. Et ça a l'avantage d'être peu onéreux. Donc à votre place, je me laisserais tenter si le thème vous parle. 

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