The Beetwen


The Between est un jeu de rôles qui propose d'incarner des gens anormaux qui chassent des monstres dans un Londres victorien. Ils travaillent pour la Maison Hargrave (dont le propriétaire reste mystérieux) et peuvent être aussi bien confrontés à un vampire, un tueur en série qu'un loup-garou. En fait, les PJ interviennent quand Scotland Yard est incapable d'agir. Sauf que bien évidemment, comme ils sont eux même monstrueux, les PJ sont tiraillés entre leur devoir et leurs pulsions inquiétantes. Le jeu est lourdement inspiré par la série télévisée Penny Dreadful, mais on reconnait bien sûr des parfums de From Hell, La Ligue des gentlemen extraordinaires, Dracula et autres joyeusetés gothiques. On est en territoire connu.

Mécaniquement, le jeu est la suite logique de Brindlewood Bay, du même auteur (Jason Cordova). On retrouve donc les mêmes outils, mais qui ont bénéficié de l'expérience de Jason. Ainsi, s'il n'y avait qu'un playbook pour incarner une petite vieille amatrice d'enquête et qu'il était simplissime, dans The Between on retrouve 7 playbooks différents :
- l'Intermédiaire, qui est le réceptacle de pouvoirs magiques impies
- l'Explorateur, un riche globe-trotter sans scrupule dont les actes vont avoir des conséquences
- l'Américain, qui dégaine son Colt en faisant Pew, pew, pew, Merica'
- la Mère, une scientifique de génie qui a perdu quelqu'un de cher
- l'Indéniable, dont la beauté est si envoûtante qu'un culte londonien la révère
- le Serviteur, qui fait le sale boulot
Le septième playbook (l'Orphelin) n'est disponible qu'en cours de jeu, quand certaines conditions sont remplies.
On est là dans des playbooks traditionnels du PbtA : ils contiennent tout ce qu'il faut pour créer son personnage, la joueuse n'a qu'à faire des choix. Et contrairement à Brindlewood Bay, chaque personnage a accès a plusieurs pouvoirs spéciaux à mesure qu'il évolue.

À l'instar du premier jeu de Jason, c'est un jeu d'enquête mais où le MJ ne connait pas le nom du coupable à l'avance. En fait, il ne sait pas grand chose de plus que les PJ car il est là pour découvrir la menace en même temps que les joueuses. Il dispose d'une situation de départ, de questions à poser aux joueuses en cours d'enquête, d'une brochette de suspects et d'une liste d'indices flottants, mais il va improviser tout du long. Oh, pas de panique : il n'est pas en roue libre pour autant. En fait, le jeu est très ritualisé : il y a des phases précises (l'Aube, le Jour, le Crépuscule, la Nuit) qui déclenchent des éléments narratifs qui structurent une histoire de monstres. C'est comme suivre une recette tout en expérimentant en changeant les ingrédients. On est donc paradoxalement hyper encadré tout en ayant beaucoup de liberté.

Dans les idées géniales qui n'étaient pas présentes dans Brindlewood Bay, il y a les Unscenes, des moments qui sont narrés par les joueuses et qui n'ont rien à voir avec l'intrigue du moment. Ce sont juste des vignettes qui donnent vie au décor de jeu. C'est un peu l'équivalent de "Pendant ce temps-là, ailleurs dans Londres...". Mais les joueuses peuvent gagner des XP supplémentaires si les thématiques de ces scènes d'ambiance recoupent symboliquement leurs actes pendant l'enquête. Ainsi, si un PJ enquête sur un étrange personnage torturé par son addiction à l'opium, on pourrait imaginer des vignettes qui parlent d'un ouvrier père de famille qui dépense ses dernières pièces pour acheter son tabac plutôt que de ramener à manger à la maison. Mettons.

Je sais que les scénarios d'enquête, c'est très clivant en JdR. Certains joueurs aiment jouer contre le scénario : ils apprécient le fait qu'il y a un mystère préétabli et qu'il va falloir tout faire pour rétablir la vérité que seul le MJ connaît. Et je l'avoue, ça a été mon mode opératoire depuis toujours. J'écris des trucs très scriptés. Mais en jouant à Brindlewood Bay, j'ai découvert le plaisir de jouer une enquête à l'aveugle. C'est vraiment plaisant de jouer des scènes sans avoir d'arrière-pensée de MJ derrière la tête. Je n'essaye pas de manipuler ma table pour aller dans le sens que je veux : je joue véritablement pour découvrir où va nous emmener cette histoire en construction. Les joueuses introduisent un nouvel élément ? Parfait, on dit oui (ou même « Oui, mais... » pour être fidèle aux grands principes de l'impro théâtrale) et on voit ce que ça donne. Et la magie des jeux de Jason Cordova, c'est qu'il y a une mécanique prévue en jeu pour que les joueuses assemblent tous les indices récoltés en une théorie unificatrice avant de lancer les dés pour vérifier si c'est bien ça. Ça demande un peu de gymnastique mentale, mais ça fonctionne : on est capable, collectivement, de justifier tous les éléments qu'on a imaginés autour de la table de jeu. Notre esprit humain est fait pour trouver des liens entre des choses séparées en apparence.

Bien sûr, les indices flottants, c'est pas si nouveau que ça. Tous les MJ le font instinctivement quand ils déplacent un indice sans rien dire pour maintenir l'illusion du scénario qui prévoit tout. Mais avec The Between, on ne ment pas aux joueuses : on est toutes présentes autour de la table pour construire ensemble une enquête un peu glauque tout en jouant des gens pas vraiment nets. On bricole collectivement une histoire en suivant les consignes, et tout ça nous mène vers une intrigue satisfaisante. Moins de préparation pour le MJ, plus d'agentivité pour les joueuses : tout le monde y gagne. Le livre de base est d'ailleurs livré avec 6 menaces qu'il suffit de lire 5 minutes avant la séance de jeu pour que tout le monde s'amuse. Et d'enquête en enquête, on découvre que ce ne sont pas des histoires indépendantes et qu'il y a un génie du mal derrière tout ça. Là encore, le jeu propose des outils simples pour que ce Grand Méchant émerger le plus naturellement du monde de la fiction que l'on crée ensemble.

Bref, si vous trouviez Monster of the Week ou Urban Shadows un peu trop complexes, The Between est bien plus abordable. Par exemple, il n'y a pas de règles de combat spécifiques. Donc pas d'arme faisant tel type de dégât ou bien des PJ capables d'encaisser tant de blessures. En cas de bagarre, on utilise une manœuvre générale, et en cas de 6-, le MJ va sans doute annoncer à la joueuse que son personnage meurt dans d'atroces souffrances. Mais pas de panique : un système de point de destin va permettre à la joueuse de rembobiner la narration et d'éviter la catastrophe. Sinon il y a une mécanique de conditions (des traits, donc) qui permet de décider "On disait que ton bonhomme, il est (blessé)".

Ah oui : ne vous attendez pas à devoir lire une ligne de background sur la version victorienne de Londres : on est là pour s'amuser avec les clichés du genre. Donc on précise le décor au fur et à mesure qu'on joue. On a besoin du nom d'un ministre ? On l'invente sur le pouce. Encore une fois, tout est fait pour que le jeu soit accessible. Pas besoin d'avoir une maîtrise en Histoire et de se taper un supplément de 256 pages pour avoir un aperçu du décor : on précise autour de la table les éléments dont on a besoin pour la fiction. Le reste, c'est du bruit.

Sur Twitter, Jason a émis l'envie de faire une variante versaillaise de The Between. Ça serait une excellente idée. Moi aussi, Le Pacte du Loup est mon film historique préféré. Il a également en tête de produire un SRD pour permettre à d'autres créateurs de proposer des variations autour de sa proposition ludique et de hacker son jeu. C'est vraiment agréable de découvrir qu'un Texan qu'on ne connaissait pas il y a un mois propose du matériel de jeu qui correspond à 253 % à mes besoins et ma manière de maîtriser (à la cool, on va dire). J'espère qu'il y aura un éditeur qui se saisira de ce The Between car c'est un petit jeu malin qui propose beaucoup de choses en peu de pages. L'auteur ne se gargarise pas pendant des pages sur le pourquoi du comment il propose un tel gameplay : son jeu démontre très clairement ce qu'il cherche à émuler sans pour autant proposer une énième usine à gaz.

Bref, The Between, c'est 15$ sur DriveThruRPG.

Commentaires

  1. "joueuse" ah ah wokistan ! serieux shame !

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  2. Euh on va pas rentrer dans du débat à la Cyril Hannounah. Il y a eu pendant longtemps un vrai problème pour avoir des filles en JdR. Si aujourd'hui certains féminisent en montrant par cela que même s'il y a encore une majorité de gars on fait attention à la place des filles. Et que ceux-ci préfèrent mettre tout au féminin plutôt qu'en écriture épicène (dans Rune Quest aussi) et ben je m'en fous, je trouve même ça sympa. Et pis chacun fais ce qu'il lui plaît sur son blog...

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