Metal Hurlant v3 #1-2


 J'ai quasiment découvert la BD avec l'Incal. C'était l'une des quelques BD de la bibliothèque de mes parents, et j'ai dû le lire assez jeune, bien plus jeune en tout cas que l’âge auquel il se destine. J'en ai gardé un amour et une passion pour le travail de Jodorowski (en partie), pour celui de Moebius (surtout) et pour la génération Metal Hurlant en général.

Resituons. Dans les années 60, Pilote est la revue de BD phare, celle qui domine de la tête et les épaules le marché et celle par laquelle il faut forcément passer pour devenir un auteur de BD. Mais comme toutes les meilleures choses ont une fin, Pilote finit par péricliter, remplacé par trois revues créées par des auteurs de Pilote qui n'en pouvaient plus du paternalisme étouffant de Goscinny.

Ce seront Fluide Glacial, l'Echo des Savanes et donc, Metal Hurlant. Sa science-fiction débridée, entre poésie, humour et réflexions, s'impose rapidement comme une maitre-étalon. L'arrivée, dans une seconde période de sa vie, de Philippe Manoeuvre, renforce en outre son côté rock'n'roll. "La machine à rêver" sous-titre la revue ; c'est pompeux mais l'histoire montre à quel point cela s'avère juste. De sa création en 75 jusqu'à son apogée autour de 85, la revue bonifie le travail d'auteurs établis et découvre quantité de talents de premier ordre. Dans sa catégorie, Metal Hurlant est "the place to be".

L'histoire est inévitablement amenée à se répéter. Au mitant des année 90, Metal Hurlant est à son tour dépassé - en réalité, l'ensemble de la presse BD ne survie pas à la période, et devient pendant plusieurs années un simple organe de prépublication des albums librairies. Depuis cet âge d'or, les Humanoïdes Associés, créés pour publier les bandes de Metal Hurlant en albums cartonnés, rêvent de relancer la machine à cash rêver.

Il y a un bien eu une piètre tentative dans les années 2000. Foirade totale et arrêt après 13 numéros.

Comme les Humanos sont têtus (et n'arrivent pas à se dépêtrer de cet encombrant passé, aussi), voilà que Metal Hurlant revient de nouveau pour une troisième série, avec un concept un peu différent cette fois : une revue trimestrielle luxueuse et épaisse (280 pages dos carré) avec une alternance un numéro sur deux de nouveautés et de best of de la première version.

Le premier numéro est classieux. C'est de l'inédit avec pour thématique l'anticipation. Les cinquante premières pages regroupent l'éditorial. Les histoires courtes qui suivent comprennent des auteurs connus (Enki Bilal, qui a fait ses débuts dans Pilote mais a pour ainsi dire grandit dans les pages de Metal Hurlant première époque), des anglo-saxons (Mark Waid, Matt Fraction), des auteurs moins connus et des styles variés. Ça ressemble au Cahier de la BD nouvelle formule jusque dans la maquette, classe mais sérieuse, et pour cause, c'est le même homme derrière, Vincent Bernière.

Et ce n'est pas pour le meilleur, malheureusement. Que c'est pompeux ! Que c'est sage ! Entendons-nous bien : j'aime beaucoup les Cahiers de la BD dont je ne manque pas un numéro. Mais est-ce que cette direction éditoriale fonctionne avec Metal Hurlant ? Pas franchement. Aucune de ces histoires n’est vraiment mauvaises mais j'ai l'impression de les avoirs déjà lues plein de fois. C'est Black Mirror, l'ambiance cynique et dérangeante en moins. Ça ne fonctionne tout simplement pas.

A tel point que l'équipe éditoriale change rapidement, dès le numéro 2 en fait (1).

Selon la nouvelle logique, il s'agit d'un numéro de rediffusion. A quelques exceptions prêtes, c'est plutôt centré sur la première moitié de vie de la revue. La sélection est très classique, de Moebius (l'inévitable The Long Tomorrow, matrice de l'Incal que l'on retrouve d'ailleurs dans ce dernier quasiment à la virgule prêt) à Jacques Lob et Ted Benoit en passant par Caza, Bilal... et je vais arrêter de tous les citer car tous les classiques ont là, aux exceptions notables (et incompréhensibles) de Richard Corben (génie incontrôlable qui participe à la revue quasiment dès le début), Frank Margerin (le fameux côté rock’n’roll apporté par Manœuvre) et dans une moindre mesure Tardi (2).

Il n'y a rien à jeter. Tout y est, quoique dans des styles très différents, magnifique. Quel plaisir de (re)découvrir Bilal ou Caza en noir et blanc ou le trait méticuleux de Jean-Claude Gal. Rien n'était interdit, il suffit de voir les délires érotico-fasciste (mais fascinant néanmoins) de Voss pour s'en convaincre. A noter que la période retenue oriente naturellement vers la SF, assez peu vers l'esprit rock'n'roll qu'apportera Philippe Manoeuvre un peu plus tard dans l'existence de la revue.

Chaque histoire est introduite par un petit éditorial qui resitue son auteur et son implication dans Metal Hurlant. C'est bien foutu, et à vrai dire c'est l'une des meilleures histoires de la revue qu'on puisse trouver parce qu'elle permet d'accéder directement au matériel source.

Ceci posé, peut-on construire une revue uniquement sur le passé ? J'attends le numéro 3, le premier numéro d'inédits de la nouvelle équipe éditoriale. Mais je crains bien d'avoir déjà la réponse...

(1) Je passe toutes les polémiques autour de ces changements, des délais explosés, des livraisons (soit disant) jamais honorées de la PP, que je n’ai suivi que de loin, mais sachez qu’elles existent.
(2) Faut-il vraiment revenir sur son transfert, jamais pardonné par Manœuvre, chez Casterman et sur l’affaire « Ici-même » ?

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