50 Ans de Solitude au confluent des rivières Perdido et Blackwater - Michael McDowell

J'ai passé l'été à Perdido, où je suis resté de 1919 à 1970. Vous ne connaissez probablement pas : c'est une petite ville du sud des Etats-Unis au confluent des rivières Perdido et Blackwater, riche de la présence de nombreuses forêts et de trois scieries les exploitant.

Je ne vais pas mentir : je ne connaissais rien de la destination. Comme d'autres, ce sont les prospectus de l'agence de voyage qui m'ont convaincu de prendre mon billet. Ces couvertures chatoyantes, à mi-chemin entre des tatouages et des illustrations de cartes à jouer, donnent à la fois à la série son harmonie et à chaque tome son caractère distinct. Tenir ces livres, toucher ce papier, lire ces pages amoureusement composées est déjà un plaisir en soi.


Revenons-en à Perdido. A priori, rien ne la distingue des autres bourgades de la région : de grandes maisons coloniales avec leurs vérandas et leurs sièges à bascule, une rue principale bordée de commerces où l'on se salue élégamment en se croisant, un quartier populaire habité par la main d'oeuvre noire maintenue dans un rôle de citoyens de seconde zone, des rivières et marais aux eaux lentes et troubles...

Ces eaux sont justement au centre de ce feuilleton en 6 tomes, comme le premier et le dernier des titres le laissent deviner (la crue et pluie) et le chapitre d'ouverture le montre d'emblée. Dans celui-ci, Oscar Caskey, l'héritier d'une des grandes familles de Perdido, trouve dans les maisons abandonnées et ravagées par une crue Elinor, une énigmatique jeune femme aux cheveux rouges comme l'argile de la rivière, qu'il ramène dans sa barque en la couvant déjà amoureusement du regard. Bien que sa mère, Mary-Love, la terrible matriarche régnant d'une main de fer sur le clan, lui voue immédiatement une antipathie féroce et instinctive, il ne tarde pas à la courtiser officiellement. 

Si les motivations de la nouvelle arrivée restent longtemps mystérieuses, sa nature fantastique est immédiatement révélée par le récit et c'est d'abord comme un roman d'horreur gothique que l'on lit Perdido, en cherchant à savoir comment la famille Caskey va réagir aux événements qui ne manqueront pas d'arriver. 

Comme si l'on descendait une rivière aux méandres paresseux, les boucles et les détours nous font traverser des paysages différents : les années passent, des enfants naissent et grandissent, et le récit se transforme en grande saga familiale. Les caractères se heurtent, des drames éclatent, des événements heureux ou difficiles surviennent, tandis qu'en arrière-plan se devinent les grands moments de l'Histoire.

Au centre de tout cela, la famille Caskey vit, souffre ou prospère, et ses membres sont tour à tour attachants ou inquiétants : Mary-Love est-elle une marâtre impitoyable ou la fondatrice visionnaire de son clan ? Elinor apporte-t-elle des menaces ou insuffle-t-elle un sang neuf et vigoureux dans la famille ? Oscar est-il sage et réservé, ou faible et dominé par sa mère ?

Ca et là, au détour d'une boucle du récit, alors que l'on était pris par les dynamiques des relations entre ces femmes puissantes, on est surpris par la survenance d'un événement brutal ou fantastique qui ramène  l'horreur au premier plan. La menace de la violence, bien que tapie, est permanente, comme l'eau de la rivière Perdido qui coule de façon menaçante derrière la digue tentant de la contenir. Peu de personnages meurent paisiblement dans leur lit.

Avec un talent de feuilletoniste consommé (son initiative de parution en épisodes donnera envie à Stephen King de se prêter à l'exercice avec la Ligne verte), Michael McDowell change sans arrêt la focale de son récit, nous intéressant tour à tour à la ville, à la famille, ou à un de ses membres, et intègre à la puissante thématique centrale de transmission et d'héritage de nombreux autres motifs.

On peut évidemment faire quelques reproches au récit : quelques méandres du récit deviennent des bras morts. Le traitement des personnages secondaires est parfois plus que sommaire. La domesticité noire se complait dans un rôle subalterne dont elle semble ne même pas imaginer sortir. Mais le courant du récit finit toujours par l'emporter, et on continue à tourner les pages pour vivre avec les Caskey en oubliant ces défauts mineurs. 

Une histoire familiale sur plusieurs générations, des touches fantastiques jamais expliquées, des explosions de violence aussi rares que brutales : c'est un peu comme si on lisait une version américaine de 100 ans de solitude retouchée par GRR Martin. Toujours surprenant, jamais prédictive, la descente de la rivière Blackwater n'est pas un long fleuve tranquille. 

NB : je suis content d'avoir découvert une maison d'éditions, Monsieur Toussaint Louverture, à l'éthique professionnelle inégalée et dont le prochain ouvrage est la réédition du fabuleux la Maison des feuilles - dont je m'aperçois avec honte que ce blog n'a jamais parlé alors qu'il en constitue une des grandes inspirations. Un oubli qui sera certainement sûrement probablement peut-être prochainement corrigé.

Commentaires

  1. Merci pour cette critique, qui m'a convaincu de m'attaquer à la serie.
    Surtout bravo pour le nouveau thème du site, bien plus clair, sans froufrou.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire