Terror on the Octobernomicon


Arrivé à peine en avance pour Halloween, ce recueil de sept scénarios s’articule autour de deux idées :

 

1)    Laisser s’exprimer des auteurs dont c’est la première publication, tout en révisant leurs textes afin que la qualité soit au rendez-vous. J’aime beaucoup l’idée qu’un auteur expérimenté (Oscar Rios, qui est également l’éditeur) transmette ses connaissances en matière d’écriture !

 

2)  Ne centrer les histoires que sur des monstres inédits, histoire de rendre un peu de fraîcheur à un jeu hypercodifié.

 

D’un pur point de vue pratique, on a affaire à un livret de 112 pages dont cent sont dévolues aux scénarios, le reste étant la traditionnelle reprise des plans et des aides de jeu.

 

Chaque scénario compte entre douze et quatorze pages denses, voire très denses. Le texte est en trois colonnes, avec un corps de caractères hésitant entre le « lisible » pour le texte principal, l’« un peu petit » pour les mentions techniques et le « ahhh, mes yeux » pour les encadrés (avec un supplément de « en blanc sur gris clair » pour certains). Pour finir sur les détails de forme, les plans sont de qualité, les typos peu nombreuses, et les illustrations pas à mon goût, sauf sur le dernier scénario.

Ces bases étant posées, passons à la revue de détail :

 

• Currency of Grief, de Daniel Purcell, est un scénario années 1920 situé entre Arkham, Kingsport et quelques autres lieux du Pays de Lovecraft. Embauchés par une riche veuve pour retrouver sa belle-fille dépressive, les investigateurs remontent une piste pas trop dangereuse, puis se retrouvent embringués dans des complications imprévues… Currency of Grief tient pleinement la double promesse du supplément, proposant à la fois un monstre original et un scénario bien construit.

 

• Suspended Pending Resolution, de Francesca McMahon, se situe sur la côte de Cornouailles, dans un pittoresque village de pêcheurs marqué par le spectaculaire naufrage d’un cargo mixte, cinq ans plus tôt. Le navire vient d’être renfloué, les assureurs prennent la main et demandent l’aide des investigateurs. Les gens du cru n’ont pas l’air d’être ravis de leur présence, l’accès à l’épave est compliqué… et le scénario ne fonctionne pas très bien. On ne comprend jamais comment le cargo a été renfloué, ni pourquoi c’est à ce point compliqué d’y accéder tant que les investigateurs ne s’y mettent pas. Détaillé dans une aide de jeu, le contenu des cales ressemble plus au contenu d’une grosse malle[1], et le monstre ne m’a pas impressionné plus que ça. Il n’a pas manqué grand-chose, juste une passe ou deux de plus, mais tout ça est un cran en dessous de ce que j’aurai considéré comme publiable, personnellement.

 

• Accounts of Violence, de Marek Golonka, se passe à Vienne, où les investigateurs sont envoyés par un groupe pacifiste afin de convaincre l’un de leurs chercheurs de ne pas s’approprier les résultats de l’enquête qu’il a mené pour leur compte parmi les vétérans de la Grande Guerre… Malheureusement, l’homme a déjà trouvé un éditeur, et ce n’est que le début d’une cascade de complications – y compris l’apparition d’un certain Dr Freud. J’ai eu du mal avec le début de ce scénario, mais une fois passée l’exposition un peu laborieuse, sa mise en mouvement est plutôt convaincante, avec plein de détails utiles au Gardien des arcanes. Je n’ai qu’un reproche mineur : le texte nous parle du « manoir » de l’un des PNJ et explique qu’on peut s’y perdre tellement il est vaste, alors que le plan nous présente une honnête villa de cinq ou six pièces…

 

• The Hounds of Sekhmet, de Helen Yau, nous envoie en croisière sur le Nil en 1929. Calme, luxe, volupté… et en fait, non, parce qu’en quelques heures, tout va déraper assez salement. Après une première scène dispensable au musée du Caire, le développement est solide, avec un casting de braves gens dont on devine vite qu’ils vont tous y passer dans d’horribles souffrances si le groupe n’y met pas bon ordre. Et conformément au contrat, le monstre est original et impose une résolution très particulière. Que faire contre une créature qui n’est perceptible que quand vous êtes à l’agonie ou que vous venez tout juste d’échapper à une mort certaine ? Les investigateurs vont devoir comprendre cette particularité, puis trouver des moyens de remplir cette condition en s’incapacitant juste assez. C’est tordu, mais ça peut donner lieu à des scènes assez drôles.

 

• Sun and Shadow, de Walter Attridge, est un scénario situé dans les années 1930 au nord de l’Australie, où les propriétaires d’une plantation de canne à sucre ont décidé d’introduire sur leurs terres des crapauds-buffles pour manger les scarabées qui ravagent leurs cultures. Cette introduction correspond à une réalité historique – au XXIe siècle, les crapauds-buffles sont devenus un problème écologique majeur dans la région – mais dans Sun and Shadows, elle se complique comme il se doit d’éléments surnaturels. Le scénario souffre au départ d’un léger déficit d’implication des personnages, qui devraient dire « bon voilà, on a livré vos caisses de crapauds, on se tire, merci », mais s’ils s’impliquent comme on s’y attend implicitement, ils se retrouvent à tâtonner entre les propriétaires, les ouvriers aborigènes, des disparitions, des bestioles anormales… et un décor australien qui, pour une fois, n’est pas un désert pelé mais une jungle pleine de saletés venimeuses, où le « monstre » ne sera pas forcément leur plus gros problème.

 

• There’s a Lowdown, Dirty Owlhoot, de William Adcock, est un scénario pour Down Darker Trails, la déclinaison Western de L’Appel de Cthulhu. Il m’a fait régresser à l’époque où je consommais des albums de Lucky Luke à la douzaine. Petite ville de l’Ouest, shérif, joueur professionnel, croque-mort, tueurs à gages, mine d’argent à moitié abandonnée… et bien sûr, un monstre qui rôde. L’intrigue est moins simple qu’il n’y paraît au départ, les investigateurs doivent agir avec un peu de pression…

 

Malheureusement, en plus de tous ces bons côtés, il présente un trou scénaristique assez gros pour faire passer une diligence. Le PNJ A contacte le PNJ B pour dire « j’arrive en ville, il faut qu’on parle ». B envoie des tueurs lui faire la peau, les investigateurs sauvent B. Jusque-là, tout va bien… mais ensuite, B engage le groupe pour qu’ils identifient A, qui vit en ville sous une fausse identité… ce qui soulève la question de savoir comment B a contacté A en premier lieu. Notez que ce n’est pas très grave. A et B partageant un lien surnaturel, A peut « sentir » l’approche de B et envoyer ses tueurs sur la foi d’un rêve, ce qui permet de retomber sur ses pieds assez simplement. Mon autre reproche, très mineur, est la différence entre la créature décrite dans le texte, authentiquement flippante, et ce qu’en a fait l’illustrateur…

 

• The Expedition, de Morgan Llewellyn, est un scénario pour Cthulhu Invictus. Nous sommes à Petra, et un jeune patricien recrute des aventuriers pour partir à la recherche d’une oasis mythique, quelque part dans le désert, au sud. Comme il se doit dans ces cas-là, il hérite d’un groupe où tout le monde a sa petite idée sur ce qu’il conviendra de faire lorsque l’oasis sera trouvée… et d’une oasis qui ne ressemble pas tout à fait à ce qu’il espérait, notamment parce qu’elle a des occupants très mécontents d’être dérangés. Tout ça fonctionne, même si à la lecture, on a l’impression que l’adversité est peut-être un peu surdosée… mais bon, chaque Gardien des arcanes fera sa sauce.

 

Au bilan, on a là un recueil de scénarios bien faits, de qualité assez homogène, Suspended Pending Resolution étant sans doute le plus faible et Currency of Grief le plus réussi. Les cinq autres se tiennent d’assez près. Après, à vous de voir si vous avez besoin d’un recueil de scénarios de plus pour L’Appel de Cthulhu. Personnellement, j’ai noté les noms des auteurs, et je suis curieux de voir si on les retrouvera dans le circuit professionnel au cours des prochaines années…

 

 

Disponible sur le site de l’éditeur. Compte tenu des frais de port pour la France, je vous conseille de vous en tenir au pdf à 15 $.

 




[1] Cent kilos de charbon ? Pour alimenter un cargo ?

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