Falcó


C'est ma faute : je venais de lire Cher connard de Virginie Despentes, alors j'étais rempli d'un légitime dégoût pour tout. Elle a le don pour me faire haïr mon prochain, la Virg. Et empli d'une envie de continuer sur cet élan de bonne littérature, je me suis tourné vers ce petit bouquin acheté pour 1$ dans un distributeur automatique. Pérez-Reverte et la guerre d'Espagne, c'était l'assurance de passer un bon moment.

1936, la République a chuté sous le travail de sape franquiste. On suit donc Lorenzo Falcó, un électron libre qui a fait dans le trafic d'armes et qui grenouille chez les Phalangistes. Les services secrets lui demandent de se rendre en zone ennemi pour fédérer une brochette de miliciens et aller libérer le fondateur de la Phalange, emprisonné à Alicante. Cloak & Dagger, comme disent les Anglais. Faux papiers, rendez-vous  discrets, repérages, double-jeu... vous voyez le truc. Je me suis surpris à me rendre compte que je savais si peu de choses sur la guerre civile espagnole. Le roman n'offre pas non plus des tonnes d'informations, mais le contexte est étonnamment proche et lointain à la fois. Les brigades internationales, le Caudillo, tout ça c'est finalement mal connu dès qu'on dépasse les clichés. Bref, ce Falcó offre un décor dépaysant pour un ostrogoth comme moi.

Mais pour s'émerveiller du contexte historique, il faut se fader le pire des personnages : Falcó. Il est ténébreux, il est sans cœur, il est froid comme la table en métal d'une morgue. C'est un empilement de clichés : son amoralité fini par être risible. Et l'auteur est d'une immense complaisance avec son personnage. Non seulement il culbute de la bourgeoise à tour de bras, mais c'est raconté avec beaucoup de putasserie par le narrateur omniscient qu'est Pérez-Reverte. Sérieux, c'est même pas du cul de bas étage, c'est du cul de sous-sol. Je ne me souviens plus exactement du phrasé, mais au cours d'une énième partie de jambes en l'air façon SAS, l'académicien nous dit en substance "elle avala tout ce qu'il y avait à avaler dans l'anatomie masculine". Ah, qu'en termes élégants , ces choses-là sont dites. Et vous devriez lire les descriptions qu'il fait des femmes que Falcó harponne au cours de ses aventures : c'est l'équivalent littéraire d'un male gaze d'une lourdeur éléphantesque. Je comprends évidemment que l'auteur s'amuse avec les clichés du récit d'espionnage d'époque, mais c'est fait avec un manque de classe et un machisme vraiment écœurant. Je ne percevais pas ce malaise en lisant Alatriste.

Et pour enfoncer le clou, l'intrigue se termine par un retournement scénaristique qui annule toute la tension installée pendant les premiers chapitres. On termine le livre en se disant "Tout ça pour ça ?" car l'auteur dégonfle lui-même toute la narration avec un twist que j'aurais pu voir venir si seulement j'avais mieux connu l'Histoire espagnole.

Dès lors, un peu dégoûté par cette lecture qui pue le récit viriliste, je suis allé voir si c'était un élément qui teintait le reste de l'oeuvre de Pérez-Reverte. Et j'ai découvert qu'au quotidien, il pourfend le politiquement correct, le wokisme, le langage inclusif, et qu'il considère les réfugiés comme une invasion barbare. Ah. Bon, ben ça m'évitera de perdre mon temps avec les deux ouvrages suivants de la série dédiée à Falcó.

Un lecteur hispanophile pourrait-il me recommander un bon roman sur la même période qui fasse l'impasse sur les galipettes systématiques de son Marty Sue ? À la même époque, Bernie Gunther lui aussi croisait des femmes fatales, mais Philip Kerr n'avait pas besoin de les décrire comme des choses tout juste bonnes à satisfaire les besoins primaires de son héros.

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