Les Oubliés: Livre de base et Encyclopédie du Petit Peuple


J'ai profité de la sortie d'un nouvel ouvrage dans la gamme pour sortir de ma pile de lecture la première fournée des Oubliés, charmante publication des XII Singes dans laquelle vous incarnez de petites créatures (gnomes, farfadets...) ne dépassant pas 10 cm de haut et exilées dans le monde des géants - j'ai nommé: les humains!

Les deux premiers ouvrages constituent clairement un diptyque de base indissociables. Je me concentrerais sur ces derniers, qui sont sinon complétés par un énorme ouvrage de contexte géographique, un écran et sa mini-campagne et les Carnets Fragmentés d'Antinus Merrin, petits bonus de 16 pages regroupés depuis dans un recueil.

Tous les ouvrages arborent un noir & blanc intégral jusqu'à la couverture qui sied merveilleusement bien à l'ambiance. Quelques illustrations sont un peu plus faibles, mais la plupart sont absolument superbes. Les bouquins sont organisés de manière très propre, avec un sommaire clair bien que peu détaillé. Ce qui ne serait pas un problème si ce n'était l'absence d'index, mon seul regret de taille sur la forme. Pour s'y retrouver dans ces plus de 800 pages très denses en information, c'est rude!

Globalement, les bouquins sont un peu sec d’une manière générale. Pas d’annexes, pas d’introduction… Le livre de base rentre ainsi directement dans le vif du sujet, sans présentation des principes du jeu, avec un chapitre qui n'a de "préambule" que le titre. Il ne s'agit en effet rien de moins que la partie univers du livre de base, 50 pages sur l'histoire du Petit Peuple, ses différentes espèces et tribus...

C'est très bien écrit, avec un potentiel qui saute immédiatement aux yeux et un angle d'attaque ludique précis: les joueurs incarnent une compagnie d'Oubliés, des Petites Gens qui ont gardés la mémoire de leur peuple. Ils arpentent la Terra à la recherche d'un moyen de combattre le Néant qui a rongé leur monde d'origine et des portes qui leur permettrait d'y retourner. Le Cauchemar, issu d’un monde opposé au leur, ne va leur faciliter la tâche…

C'est clairement un univers riche de plusieurs années de développement qui a nécessité un effort palpable pour rendre ce passif publiable, même s'il subsiste quelques problèmes - des références à des points d'univers non décrit, des aspects fondamentaux noyés dans la masse qui auraient mérités d'être mieux mis en exergue. N'espérez donc pas vous lancer après un simple survol du bouquin, les Oubliés est avant tout un jeu de campagne.

Le second ouvrage, l'Encyclopédie du Petit Peuple, est à ce titre indispensable. Il détaille de manière plus approfondie chaque race et peuple, leur vie courante (fêtes, nourriture...), propose un catalogue de PNJ et de créatures… C'est rempli de matériel pratique et d'ingrédients pour mitonner une intrigue, un scénario, une campagne.

Même ainsi, je reste toutefois un peu sur ma faim pour mettre tout ça en scène. Il me semble en particulier manquer d’outils et conseils pour maitriser les effets d'échelle entre les PJ et le monde dans lequel ils évoluent - certains rapports de taille dans les descriptions m'ont semblé inconsistants, je ne vois pas comment il serait possible de voyager autrement que par le planchers de vaches - on évoque des trajets par les toits, mais pas comment passer d’une maison à une autre... Bref, il manque une section MJ digne de ce nom pour accompagner ce dernier dans un univers aussi complexe.

Il convient enfin de signaler l'extrême noirceur de ce monde. Beaucoup de jeux qui se revendiquent de "dark fantasy" devraient en prendre de la graine! Le Petit Peuple est au bord du précipice, la Terra d'une dangerosité extrême et la plupart des clans se sont repliés sur eux-mêmes. Cette noirceur ne sert pas toujours le propos du jeu, malheureusement. A trop vouloir en faire, elle s'avère même contre-productive par endroit, avec des redites (plusieurs communautés sont présentées comme étant "l'une des plus solitaires") et parfois des incohérences - tel que décrit, le Petit Peuple semble depuis longtemps avoir sombré du côté du Cauchemar, ce qui n'est pourtant pas le cas. Enfin, il y a parfois confusion entre sombre et glauque, à l'image de ce viol dans le scénario du livre de base jeté de manière banal entre deux autres événements.

Ceci posé, ce n’est pas insolvable, loin de là. Il n'y a rien de plus facile que de retirer ou d'atténuer les éléments les plus sombres à la volé, en fonction de votre sensibilité et de celle de votre groupe - même si ça n'en fera bien sûr pas un Minipousse RPG.

Côté règles, c'est à la fois simple et complexe. Les personnages sont définis par une race, une tribu et un métier qui définissent des valeurs de compétences. Les tests se résument à d12 + compétence + éventuelle difficulté (positive ou négative), le total devant dépasser 12.

Particularité, il faut lancer systématiquement deux d12, symbolisant respectivement les Songes et le Cauchemar, et choisir lequel utiliser. Mais si le dé retenu ne correspond pas à son caractère dominant du moment, Songes ou Cauchemar, cela octroi un point de dette qui force le joueur à investir des points d'expérience dans ce caractère. Enfin, les valeurs de Songes/Cauchemar se déclinent en points  de Songes/Cauchemar qui permettent d'obtenir un troisième dé d’un type ou l’autre. Plus l’écart entre Songes et Cauchemar est élevé, plus les points correspondants sont importants…

Ce système à deux fois trois étages (Songes et Cauchemar, avec valeur, point et dette) est assez intéressant dans l'équilibre qu'il introduit. Ne miser que sur le côté Songes ou Cauchemar est tentant pour maximiser les points correspondants. Mais arrivera forcément un moment où, pour vous se sortir d'un mauvais pas, un joueur sera amené à choisir le dé opposé, réduisant ainsi l'écart entre les deux valeurs au passage... C'est un équilibre subtile difficile à comprendre et l'une des rares complexités du système - avec l'initiative. Contrairement à de nombreux commentaires que j'ai pu lire ici et là, je ne trouve cependant pas que cet aspect du jeu trop problématique. Quelques séances devraient suffire à n’importe quelle table pour être à l’aise avec.

L’Initiative est le seul autre aspect un poil touffu du jeu, avec trois niveaux d’engagement (engagé, en garde, en retrait) dans lequel les protagonistes évoluent au gré des actions et des blessures. Un système tactique de primes et pénalités permet de s’octroyer un ou des bonus dans un domaine (initiative, dégâts, défense…) au prix d’autant de pénalités. La magie enfin repose sur une liste de sorts réduite (en comparaison de D&D et consort en tout cas) mais tout à fait suffisante.

Terminons par le scénario proposé dans le livre de base. Après l'avoir secouru un marchand en difficulté, les PJ escortent ce dernier jusqu’à une colonie mourante. A eux de convaincre ses habitants de se réfugier dans la ville la plus proche, et de les accompagner dans ce périple. C'est une aventure solide mais à l'image du jeu : sombre, très sombre.

Qu'en conclure? Les Oubliés est un chouette jeu, vraiment. C'est un univers riche et bien écrit, et un support ludique de premier ordre. Curieusement, ce ne sont pas les aspects généralement remontés sur le jeu qui me gêne le plus : la complexité des règles est réelle mais circonscrite et maitrisable, la noirceur de l’univers n’est pas tant un défaut qu’un choix de design – à vous de voir si cela en fait un jeu pour vous ou non.

Non, si j'ai une critique, c'est vraiment sur le manque d’accompagnement pour mettre en scène un monde à la hauteur d’un lutin de quelques centimètres de haut. De quoi me donner bien envie de me plonger dans les 400 pages du guide géographique de l’univers, l’Atlas de la Terra, troisième ouvrage de la gamme. Je vous en parle donc très vite !
 

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